| Le « printemps arabe » et les médias : maljournalisme, mensonges et mauvaise foi par  Ahmed  Bensaada | ||||||
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| Mondialisation.ca, Le 26 septembre 2011 | ||||||
| « La propagande est à la démocratie ce que la violence est à la dictature » N. Chomsky Il  est vrai que nous vivons à l’ère de la « société de l’information ».  Jamais notre quotidien n’a autant été influencé par les flots de  nouvelles drainées par ce que nous appelons, désormais, les technologies  de l’information et de la communication (TIC). Journaux, télévisions,  radios, téléphones mobiles, ordinateurs : tous charrient inlassablement  un inextricable déluge d’informations. Internet, Tweeter, Facebook,  Google, Youtube et autres créatures du cyberespace ont radicalement  changé notre façon de communiquer et de nous informer. Tout est scruté,  commenté, analysé et diffusé en temps réel. Mais  il reste cependant une constante qui n’a pas été affectée par cet essor  technologique : le mensonge, la propagande et la manipulation  médiatique sont toujours là, plus présents que jamais, tels ces virus  informatiques de plus en plus sophistiqués, de sorte qu’ils sont  constamment plus performants que les logiciels qui sont sensés nous en  protéger. Les médiamensonges (terme si cher à Michel Collon) n’ont  jamais autant proliféré, surtout en période de troubles comme celle que  nous vivons actuellement. Petit vade-mecum d’illustres médiamensonges La  propagande et la manipulation de l’opinion publique ne sont pas des  techniques nouvelles. Elles s’articulent autour d’une médiacratie  omnipotente qui ne laisse guère de place aux opinions différentes de la  pensée unique véhiculée par les médias majeurs. Pire encore, dès qu’un  point de vue diffère légèrement de ceux imposés par les  « bien-pensants », il est systématiquement enfoui dans une boîte sur  laquelle est mentionné : « Théories du complot ». L’histoire a montré  que, dans de nombreux cas, c’est plutôt la pensée imposée qui est  conspirationniste. Un  exemple typique de mensonge présenté comme réalité par les médias  majeurs est celui connu sous le nom des « couveuses koweïtiennes »,  supercherie planétaire de haute voltige qui s’est déroulé en 1990, lors  de la première guerre du Golfe. Je me rappelle avoir été ému et choqué  par une jeune koweïtienne en pleurs, nommée Nayirah, témoignant devant  une commission du Congrès des États-Unis. Elle affirmait, entre autres,  avoir vu de ses propres yeux, dans un hôpital koweïtien, des soldats  irakiens retirer des bébés des couveuses et les laisser mourir sur le  sol. Ce témoignage, retransmis dans le monde entier, a eu un impact  considérable sur l’opinion publique et a contribué à créer un soutien  indéfectible à cette guerre. Il  s’avéra par la suite que la demoiselle en question était en fait la  propre fille de l’ambassadeur du Koweït à Washington et que toute cette  comédie a été orchestrée par la compagnie américaine de relations  publiques Hill & Knowlton pour la rondelette somme de 10 millions de  dollars [1]. La vérité sur cette affaire ne fut connue qu’après la fin  de la guerre. J’avais pensé, à l’époque, que cette Nayirah serait  promise à un brillant avenir de comédienne, tellement la théâtralité de  son intervention était comparable à celle des meilleurs acteurs  d’Hollywood ou de Broadway. D’autres  manipulations médiatiques de cette envergure peuvent être mentionnées.  Citons, par exemple, l’affaire dite des "charniers de Timisoara" qui  s’est déroulée lors de la chute du régime Ceausescu, en décembre 1989,  juste avant Noël pour accentuer l’horreur. Les médias occidentaux, en  particulier français, ont montré, images à l’appui, les cadavres de  victimes de la Securitate. On parla alors de 4630 morts dans une seule  fosse commune à Timisoara. On exposa des cadavres devant les caméras  dont celui d’un bébé posé sur le corps d’une femme sans vie. La  monstruosité d’un régime sanglant qui trucidait ses propres enfants  dévoilée au grand jour ! Le monde entier fut horrifié. Il  s’avéra, par la suite, que les cadavres étaient ceux de morts déterrés  du cimetière des pauvres, que le bébé avait été victime de la mort  subite du nourrisson et que la femme sur laquelle il gisait n’était pas  sa mère, mais une personne morte d’une cirrhose du foie quelques  semaines auparavant. La nécrophilie télévisuelle dans toute sa splendeur  comme l’a si bien nommée Ignacio Ramonet [2]. D’autres  exemples peuvent être cités mais la liste risque d’être longue.  Souvenons-nous de la saga des armes de destruction massive imaginaires  de Saddam Hussein qui ont été à l’origine de l’invasion de l’Irak ou du  génocide fictif des Kosovars albanais (500 000 morts !) qui a justifié  l’intervention de l’OTAN dans la guerre du Kosovo [3]. Cas du « printemps arabe » Les  récentes révoltes qui ont ébranlé la rue arabe ne sont pas exemptes de  propagandes, mensonges et autres manipulations médiatiques, loin s’en  faut. En effet, comme dans tous les bouleversements politiques sérieux,  les médias majeurs y ont mis leur grain de sel. En plus, dans ce cas  précis, il faut aussi tenir compte des médias sociaux et de la  blogosphère qui ont été de la partie. À  mon sens, le médiamensonge commun aux révoltes « printemps arabe » est  celui de la spontanéité des soulèvements populaires. De nombreux  documents montrent qu’il n’en est rien et que dans la plupart des pays  arabes, les cyberactivistes ont été i) identifiés, ii) mis en réseau  entre eux et avec des experts des nouvelles technologies et iii) formés  par des organismes occidentaux « d’exportation de la démocratie », en  particulier américains [4]. Cette méconnaissance de la réalité relève  autant d’un maljournalisme patent pour certains professionnels des  médias que d’un mensonge par omission pour d’autres. En  Tunisie, le symbole de la « révolution du jasmin » a été rapidement  déboulonné, quelques mois à peine après la fuite du président Ben Ali.  Présenté comme un universitaire sans emploi, travaillant comme vendeur  ambulant, Mohammed Bouazizi s’est immolé par le feu devant le siège du  gouverneur, geste qui a mis le feu aux poudres en Tunisie. Son  spectaculaire suicide a été expliqué par le fait qu’une policière  municipale, Fayda Hamdi, lui aurait non seulement confisqué sa balance,  mais aussi administré une gifle, geste encore plus intolérable car  venant d’une femme. L’enquête  a montré que Mohammed Bouazizi n’était pas un universitaire, qu’il  avait insulté Fayda Hamdi après qu’elle lui ait confisqué sa balance et,  surtout, que la gifle était une pure invention. Autre précision  troublante : le propre frère de la policière, militant syndicaliste, a  participé à créer la légende autour de l’icône de la « révolution »  Mohammed Bouazizi, légende à laquelle il est difficile d’être insensible  et qui a fait les choux gras d’une presse qui se repaît de ce genre  d’histoires [5]. « A  Gay Girl in Damascus » est le blog d’une jeune syrienne homosexuelle se  nommant Amina Abdallah Arraf. Opposante « en ligne » du président  Bachar Al-Assad, ses écrits ont été suivis pendant plusieurs mois par  des milliers de personnes à travers le monde et ses témoignages ont  régulièrement été relayés dans la presse mondiale. Des médias majeurs  comme CNN ou The Guardian lui ont consacré des reportages sans jamais la  rencontrer. En juin dernier, la nouvelle tombe. Amina n’existe pas : le  blog est la création d’un certain Tom MacMaster, étudiant américain  habitant en Écosse [6]. Le  maljournalisme, la propagande et « la circulation circulaire de  l’information » ont été d’usage en Libye. En mars dernier, tous les  médias majeurs ont repris en boucle une information selon laquelle les  forces loyalistes de Kadhafi auraient fait pas moins de 6000 morts dans  les populations civiles. Ce nombre a été à l’origine de la justification  de la résolution 1973 et, ensuite, de l’intervention de l’OTAN en  Libye. Pourtant, un rapport d’Amnesty International montre que ce nombre  ainsi que tous ceux avancés par le CNT sont largement exagérés : « S’il  ne fait aucun doute, donc, que les forces loyalistes ont bien commis  des crimes, le bilan de ces crimes semble avoir été surestimé, selon  Amnesty. "Le nombre de morts a été grandement exagéré. On parlait de  2000 morts à Benghazi. Or la répression a fait dans cette ville de 100 à  110 morts et à Al-Baïda une soixantaine" » [7]. Concernant  les accusations de viols et la présence de mercenaires, l’observatrice  d’Amnesty International note : « Il y a eu beaucoup d’informations qui  ont circulé mais dont on n’a aucune preuve aujourd’hui. On a parlé par  exemple de viols systématiques par les loyalistes, mais on n’a jamais  rencontré un seul témoignage direct, ni nous ni d’autres organisations.  Et bien sûr il y a l’histoire des mercenaires", précise-t-elle. "On en a  beaucoup parlé mais on n’a aucune preuve de cela. Quand j’ai quitté la  Libye la semaine dernière, entre Benghazi et Misrata, il y avait 9  prisonniers étrangers sur environ 350 prisonniers et a priori il  s’agissait de simples travailleurs immigrés » [8]. La  couverture télévisuelle des situations libyenne et syrienne pose des  problèmes flagrants d’éthique journalistique. En effet, en Libye, les  images ne relatent que les faits d’armes des rebelles alors que les  militaires pro-Kadhafi sont absents des écrans. D’autre part, les  milliers de bombardement des forces de l’OTAN ne sont que rarement  filmées donnant l’impression d’une guerre « chirurgicale » sans aucune  bavure. En Syrie, les images véhiculées par les médias majeurs tendent à  ne présenter que les méfaits des forces gouvernementales. Jamais les  exactions des « révoltés » ne sont mises de l’avant alors que, sur ce  sujet, des témoignages dignes de confiance ont été publiés dans les  médias alternatifs et de nombreuses vidéos ont été mises en ligne. À  propos de l’OTAN, nous avons récemment appris qu’en plus de son  engagement militaire dans le conflit libyen, voilà qu’elle s’est mise à  réaliser et distribuer gratuitement des vidéos d’une Libye pacifiée,  merveilleuse et où il fait bon vivre. De la pure propagande : « il  suffit de demander les séquences vidéos auprès du service presse de  l’OTAN ou de les télécharger directement sur des sites relais  professionnels destinés aux journalistes et documentalistes. Des images a  priori neutres, sans présence de militaire ou de porte-parole de l’OTAN  …. Le système est pratique. Les rédactions accèdent à des contenus  gratuits et parfaitement formatés pour la diffusion sans devoir dépêcher  de reporters sur place et financer leurs déplacements. Et l’OTAN  distille discrètement sa communication au détour d’images bien  choisies » [9]. Dans  cette large entreprise de mensonges et de manipulations des médias,  l’Algérie a eu sa part. Dans le dossier libyen, par exemple, elle a été  accusée par le CNT d’avoir envoyé des mercenaires se battre aux cotés  des forces loyalistes de Kadhafi. Cette « croustillante » nouvelle a  fait le tour des médias du monde entier, non sans susciter réactions  enflammées et discussions byzantines. Pourtant, cette accusation a été  battue en brèche par Amnesty International, organisme qui n’a pas de  sympathie particulière pour l’Algérie. Bien  qu’il soit récent, force est de constater que le « printemps arabe » se  révèle déjà truffé de manipulations, de propagande et de mensonges. Et  ce n’est probablement que la pointe de l’iceberg. S’il  est vrai que nous vivons à l’ère de la « société de l’information », il  faut se rendre à l’évidence que nous vivons aussi dans celle, plus  sournoise, de la désinformation. Ahmed Bensaada Montréal, le 21 septembre 2011 Cet article a également été publié sur le site Le Grand Soir du 22 septembre 2011. Références 1. Phillip Knightley, « The disinformation campaign », The Guardian, 4 octobre 2001, http://www.guardian.co.uk/education/2001/oct/04/socialscienc... 2. Ignacio Ramonet, « Télévision nécrophile », Le Monde diplomatique, mars 1990, http://www.monde-diplomatique.fr/1990/03/RAMONET/18658 3. Serge Halimi et Dominique Vidal, « Chronique d’un génocide annoncé », Le Monde diplomatique, mars 2000, http://www.monde-diplomatique.fr/cahier/kosovo/halimi 4. Ahmed  Bensaada, « Arabesque américaine : le rôle des États-Unis dans les  révoltes de la rue arabe », Éditions Michel Brûlé, Montréal (2011). 5. Christophe Ayad, « La révolution de la gifle », Libération, 11 juin 2011, http://www.liberation.fr/monde/01012342664-la-revolution-de-... 6. The Telegraph, « “A Gay Girl in Damascus” : how the hoax unfolded », 13 juin 2011, http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/middleeast/syria/8... 7. Céline  Lussato, « Libye : Amnesty conteste le nombre de victimes et accuse les  rebelles », Le Nouvel Observateur, 17 juin 2011, http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/monde/20110617.OBS5... 8. Ibid. 9. Le Nouvel Observateur, « VIDEO. Le Tripoli merveilleux de l’Otan », 14 septembre 2011, http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/monde/20110914.OBS0... | ||||||
26 septembre 2011
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