Alain Gresh : « Il faut s’interroger sur les intérêts de l’Arabie Saoudite et du Qatar dans l’aide à l’opposition syrienne »
samedi 3 mars 2012 - 08h:49Brice Barrillon - RFI
          Que va-t-il se passer en Syrie ? Est-ce la fin de la  rébellion ? Ce vendredi 2 mars 2012 marque un « vendredi de  l’armement », une journée pour réclamer que l’Armée syrienne libre (ASL)  puisse recevoir des armes de l’étranger. Alain Gresh, animateur du blog Nouvelles d’Orient et spécialiste du Proche-Orient est l’invité de RFI. 
 RFI : Alain Gresh, vous  êtes l’animateur du blog Nouvelles d’Orient. Mais avant de parler de la  situation en Syrie, d’abord un mot sur ce retour programmé en début de  soirée des deux journalistes français dont on avait cru qu’ils ne s’en  sortiraient peut-être jamais.
 Alain Gresh, spécialiste du Proche-Orient, animateur du blog Nouvelles d’Orient.
DR
Alain Gresh : C’est une  bonne nouvelle pour nous, pour les confrères d’abord, évidemment et tant  mieux. Cela rappelle que le métier de journaliste n’est pas toujours  facile. C’est une bonne nouvelle, mais en même temps il faut savoir que  couvrir des zones de guerre a toujours été une charge et comporte des  risques qui nous concernent tous.
RFI : Le  retour est prévu ce soir. En début de soirée, un avion les prendra à  l’aéroport, et les deux journalistes sont en route pour cet aéroport de  Beyrouth. Quant à la situation en Syrie, avec le retrait tactique des  militants opposés au régime de leur quartier historique de la ville de  Homs, qu’est-ce que cela va changer pour eux ?
A.G. : Il faut d’abord  rappeler que depuis quelques semaines nous sommes concentrés autour de  Homs et des affrontements qui, en partie, sont des affrontements  militaires. La rébellion a commencé maintenant depuis un an. Elle a  couvert tout les pays, elle a été pour l’essentiel pacifique et elle  continue. Et Homs ne changera pas ça.
Homs montre peut-être que la militarisation n’est pas la  solution pour l’opposition, que c’est les manifestations pacifiques qui  permettent pour l’essentiel, malgré la répression terrible du régime,  d’ébranler ce régime. Mais que la militarisation, au contraire, sert au  régime pour dénoncer les extrémistes, les militants qui viennent d’Irak  et du Liban, des militants d’al-Qaïda. Ce qui est vrai d’ailleurs.
Dans tous les cas, ce qui est sûr, c’est que la  rébellion ne s’arrêtera pas, que la capacité du pouvoir de contrôler  l’ensemble de la Syrie me semble compromise très durablement.
RFI : Aujourd’hui  sur place, c’est un « vendredi de l’armement » de l’ALS, réclamé par  ces militants. Les débats sur ces armements durent depuis quelques mois,  quelques semaines. Pensez-vous qu’il y a une relation de cause à effet,  entre la chute de leur quartier à Homs et cette journée de vendredi ?
A.G. : Je ne suis pas sûr  de savoir comment sont pris les mots d’ordre, ni si ces mots d’ordre  sont vraiment des mots d’ordre repris partout en Syrie.
RFI : Il a été annoncé sur le net que vous connaissez bien.
A.G. : Oui, mais je ne  suis pas sûr que cela représente aujourd’hui ce que veulent les Syriens.  Il faut bien comprendre : la militarisation voulue par un certain  nombre de forces intérieures et extérieures, puisque c’est le Qatar et  l’Arabie Saoudite qui sont quand même derrière cette campagne pour  l’armement de l’opposition, cela se joue pleinement dans les mains du  régime. Et le régime s’en sert, à la fois pour dire : mais nous n’avons  pas affaire à une opposition politique et pacifique, nous avons affaire à  des terroristes, premièrement. Mais surtout elle sert parce qu’elle  effraie une partie de la population syrienne, à la fois tous les gens  qui ont peur de la guerre civile mais aussi un certain nombre de  communautés dont on sait qu’elles sont inquiètes. Et je pense aux  chrétiens, aux alaouites, mais même aux Kurdes. Par exemple, les Kurdes,  qui ont été un des éléments déclencheurs de l’opposition, ont pris leur  distance à l’égard du Conseil national syrien parce qu’ils trouvent que  ces orientations, à la fois sur la plan de l’utilisation de l’armement,  mais même politiques, sont très peu claires.
Il faut quand même s’interroger sur le poids que jouent  aujourd’hui l’Arabie Saoudite et le Qatar dans l’aide à l’opposition  syrienne, cela laisse planer quelques doutes. On a du mal à croire que  l’objectif essentiel de l’Arabie Saoudite soit la démocratie en Syrie  quand on sait qu’il n’y avait pas d’élections en Arabie Saoudite. Il  faut quand même voir aussi le cynisme de certains partis extérieurs qui  sont prêts à jouer avec l’avenir du peuple syrien pour des raisons  géopolitiques, à savoir l’affaiblissement de la Syrie et, par la suite, à  travers l’affaiblissement de la Syrie, l’affaiblissement de l’Iran.
RFI : Il y a donc un enjeu régional ?
A.G. : Tout à fait. La  Syrie est au cœur du Proche-Orient, à la fois en partie au cœur de  conflits israélo-palestinien et arabes, et aussi l’allié le plus fiable  de l’Iran dans le monde arabe. Il est évident que la politique  saoudienne ou celle du Qatar est basée sur ces points et non pas sur  l’instauration d’une démocratie représentative en Syrie.
RFI : Bachar el-Assad a-t-il gagné réellement quelque chose aujourd’hui ?
A.G. : Non. Il a gagné  tactiquement et il a gagné parce qu’il maintient son régime pour  l’instant. Je pense que la chute du régime, en tous les cas la  transition, risque d’être longue. Mais il n’a pas gagné dans le sens où  je pense qu’on ne peut plus retourner à la situation qui était celle  d’il y a un an où il y avait un régime qui contrôlait l’ensemble du  pays, qui contrôlait l’ensemble de la société. Donc je crois que c’est  une page qui est tournée. Le problème est de savoir comment assurer une  transition sans sombrer dans la guerre civile. C’est très difficile,  cela demande beaucoup d’efforts. Mais je pense que la communauté  internationale a plutôt intérêt à jouer dans ce sens plutôt que dans le  fait d’attiser les conflits internes.
RFI : Qui a  de l’influence réellement aujourd’hui sur Damas, sur le régime syrien ?  Nous avons vu aujourd’hui Poutine prendre un peu ses distances et qu’il  n’a pas de relation particulière avec Bachar el-Assad.
A.G. : Oui, mais on entend  dire que la Russie est émue par ses intérêts, par le fait qu’elle vend  des armes à la Syrie, ce qui est vrai. Mais je pense qu’elle ne verra  pas l’ombre d’un dollar sur les armes qu’elle vend aujourd’hui à la  Syrie. Donc la Russie comme toutes les puissances extérieures prennent  en compte leurs intérêts de grande puissance. Aucune grande puissance  n’agit uniquement pour des raisons morales. Je pense que la Russie comme  la Chine sont inquiètes de l’évolution en Syrie et peuvent jouer un  rôle pour faire pression sur le régime. Cela fait longtemps que les  Russes disent qu’il faut une réforme de ce régime. Ils ont fait des  propositions pour une négociation entre le régime et l’opposition. Ils  ont proposé que cela se tienne à Moscou. Donc, ils peuvent jouer un  rôle. Ils ont appelé, hier, avec le Conseil de sécurité, pour avoir un  accès aux populations, pour des raisons humanitaires. Ils font pression  pour que Kofi Annan puisse y aller. Je pense qu’il faut travailler avec  eux. 
D’Alain Gresh :
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