Le cas d’Edith Bouvier et les filières clandestines
Soraya HélouQu’est-il donc arrivé à la journaliste française Edith Bouvier ? Le président français Nicolas Sarkozy avait commencé par annoncer son arrivée saine et sauve au Liban avant de se rétracter. Naturellement, la presse française, pourtant toujours en alerte dès qu’il s’agit de la Syrie, s’est bien gardée de commenter ce cafouillage officiel du président de la France, d’abord, parce qu’elle est, en grande partie, contrôlée par les autorités officielles et d’autre part, parce qu’il s’agit d’une affaire humanitaire, la journaliste étant blessée et il faut rester discret pour faciliter son transport. Mais, ce que la presse française a pris soin de taire, c’est le fait que l’affaire d’Edith Bouvier met en évidence les réseaux clandestins établis à partir du Liban vers la Syrie et en particulier vers Homs auxquels des agents des services français participent activement.
Les visiteurs de Wadi Khaled savent parfaitement ce qui se passe là bas et comment cette région est devenue une passoire vers la Syrie et à partir de la Syrie en se basant sur les réseaux des contrebandiers reconvertis dans le passage clandestin des personnes et des armes. Pour près de 1000 dollars américains, payés en cash, les contrebandiers font passer sous couvert de journalistes tous ceux qui souhaitent pour une raison ou une autre traverser la frontière. Les contrebandiers ne sont d’ailleurs pas trop regardants, l’essentiel est que l’argent soit prêt et en plus, ils ont le sentiment de réhabiliter leur activité en lui donnant une dimension « morale ». Le point de passage favori est le jurd du village de Hneider, à 20 minutes de Homs. En dépit de l’hiver rude, le village connaît une activité inhabituelle, surtout la nuit. Les étrangers y affluent et ils ont tous beaucoup d’argent à dépenser. La moindre bicoque s’y loue désormais à 400 dollars par mois, du jamais vu, dans cette région difficile d’accès. Des ONG inconnues jusqu’alors s’y sont établies, en principe pour assurer des structures d’accueil aux déplacés syriens, mais en réalité pour bien surveiller le passage et recruter des espions et établir des contacts avec les combattants de l’opposition. Sans qu’on le dise clairement, le nord du Liban est ainsi devenu une base arrière pour l’opposition armée syrienne. Les journalistes, en général de vieux baroudeurs avertis ou des jeunes pleins d’ambition et d’enthousiasme arrivent sur place et sont aussitôt pris en charge par les réseaux des ONG et des contrebandiers. C’est ainsi qu’Edith Bouvier mue par son sens journalistique a voulu se rendre en Syrie et a réussi son passage vers Homs. Le passeur l’a remise aux combattants de l’Armée libre de Syrie de l’autre côté de la frontière qui l’ont aussitôt emmenée à Baba Amr, pour pouvoir l’utiliser dans leur campagne médiatique. Car c’est certainement plus percutant d’envoyer la vidéo d’une journaliste femme, jeune et blessée pour sensibiliser l’opinion publique internationale. Pour cette raison, l’opposition syrienne n’a pas vraiment intérêt à ce que la journaliste française quitte Baba Amr et celle-ci est désormais à la merci des réseaux plus ou moins mafieux qui l’ont menée jusqu’à ce lieu.
Quant au président français qui se veut le champion de la lutte contre les clandestins dans son pays, comment pourrait-il couvrir les filières de passage clandestines dans un pays qu’il prétend vouloir aider, le Liban, et un autre pays dont il affirme vouloir défendre la population, la Syrie ? On comprend mieux, à partir du dramatique cas de la journaliste française, l’insistance de la France et de ses alliés à vouloir créer des couloirs humanitaires entre la Syrie et le Liban, sécurisés par des forces internationales. Mais il est désormais clair que couloirs humanitaires signifie dans le langage occidental, filières de passage des combattants, des armes et des journalistes, pour amplifier la guerre contre le régime d’Assad. Il est sans doute utile de rappeler que c’est l’ancien ministre français des AE Bernard Kouchner qui avait fait adopter à l’ONU une résolution sur le droit d’ingérence humanitaire (qui avait d’ailleurs été utilisé pour intervenir en ex-Yougoslavie). L’ingérence humanitaire est ainsi devenue le nouveau moyen pour la communauté internationale d’intervenir dans les pays où elle estime avoir un intérêt direct et d’imposer de nouvelles réalités. Plus personne n’est dupe.
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