Tribunal Russell à Barcelone :
Rapport présenté au jury du tribunal Russell, session de Barcelone (1er mars 2010)
Par M. Madjid Benchikh, professeur émérite à l’Université de Cergy-Pontoise (Paris Val d’Oise), ancien doyen de la Faculté de droit d’Alger.
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ou droit des peuples à l’autodétermination, est depuis longtemps reconnu comme une règle fondamentale du droit international. En effet, l’article 1 §2 et l’article 55 de la Charte des Nations Unies codifient cette règle en fixant comme but aux Nations Unies de « développer entre les nations des rel ations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes… ».
C’est donc en application de la Charte que l’Assemblée générale des Nations Unies adopte, le 14 décembre 1960, la résolution 1514 (XV) qui souligne que « tous les peuples ont un droit inaliénable à la pleine liberté, à l’exercice de leur souveraineté et à l’intégrité de leur territoire national ». Cette résolution confirme, après la Charte, que « tous les peuples ont le droit de libre détermination ;en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et poursuivent librement leur développement économique social et culturel…[…]Toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies. »
La résolution 2625 (XXV), adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 24 octobre 1970, confirme la « codification » du « principe de l’égalité de droit des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes. »
De nombreux traités ou résolutions, conclus entre Etats ou sous l’égide d’organisations internationales, rappellent et renforcent cette règle qui apparaît ainsi comme une règle essentielle voire impérative, comme le souligne la Commission du droit international. On ajoutera aussi que les deux pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 rappellent bien : « que tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel. »
C’est en référence à cette règle fondamentale du droit international contemporain que le peuple palestinien mène depuis très longtemps, notamment depuis la partition décidée par la résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 29 novembre 1947, une lutte résolue pour exercer son droit à l’autodétermination.
C’est donc d’abord par ses luttes que le peuple palestinien a imposé la reconnaissance formelle de son droit par la Communauté internationale, et même par Israël à partir des accords d’Oslo en 1993 -1995. Mais nous verrons que cette reconnaissance est limitée ou contrariée par les nombreux obstacles et violations du droit international initiés par Israël pour empêcher sa concrétisation dans un Etat souverain. (1ére partie) Mais il faut bien voir que la mise en échec du droit à l’autodétermination du peuple palestinien n’aurait sans doute pas connu le succès si plusieurs grandes puissances n’avaient pas choisi de soutenir Israël et de sauvegarder son impunité. Il convient à ce sujet d’examiner la part de responsabilité de l’Union européenne, (2ème partie) même si cette recherche ne vise pas à diminuer la part décisive des Etats-Unis d’Amérique dans les violations du droit international par Israël, et surtout dans l’impunité de cet Etat.
1. Les multiples violations du droit à l’autodétermination du peuple palestinien par Israël.
Avant d’aborder les violations du droit à l’autodétermination du peuple palestinien, il convient de rappeler que ce droit a été explicitement reconnu pour le peuple palestinien par l’Organisation des Nations Unies, de nombreux Etats et autres sujets de droit international, et même par Israël dans le cadre des accords d’Oslo, particulièrement par les accords israélo-palestinien du 28 septembre 1995.
1.1 La reconnaissance du droit du peuple palestinien à l’autodétermination
La lutte du peuple palestinien lui a permis d’arracher la reconnaissance de son droit à l’autodétermination. Cette lutte et ce résultat s’inscrivent ainsi dans la lignée des contributions qui ont permis la transformation du droit international et les conquêtes de droits réalisés grâce aux mouvements de libération nationale. Plusieurs résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies ou d’autres organisations internationales reconnaissent très clairement le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. Il n’est pas nécessaire de les citer toutes ; il suffira de renvoyer aux travaux du Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien depuis 1975 et de rappeler les dernières résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité.
Comme à de nombreuses autres reprises, l’Assemblée générale des Nations Unies a réaffirmé, le 18 décembre 2009 (A/64/438), « le droit du peuple palestinien à l’autodétermination ». Mais l’Assemblée générale a également explicité le droit à l’autodétermination en soulignant le droit de ce peuple à un Etat indépendant, ainsi que la nécessité de préserver son unité et la continuité et l’intégrité de son territoire, y compris Jérusalem-Est.
Le Conseil de sécurité lui-même, bien que plus lent et plus réticent pour décider la reconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple palestinien, compte tenu des politiques de soutien à Israël affirmées par les USA et par certains membres permanents européens, a malgré cela adopté plusieurs résolutions dans lesquelles il reconnaît le droit à un Etat en faveur du peuple palestinien. La résolution 1850 (2008) adoptée le 16 décembre 2008 est très explicite. Le Conseil de sécurité « réitère son ambition d’une région où deux Etats démocratiques, Israël et la Palestine, vivent côte à côte en paix à l’intérieur de frontière sûres et reconnues. » Il appuie « la déclaration faite le 9 novembre par le Quatuor » et demande le respect des obligations découlant de la Feuille de route et de l’accord d’Annapolis. Il « invite tous les Etats et toutes les organisations internationales à appuyer […] le gouvernement palestinien qui est attaché aux principes définis par le Quatuor et dans l’Initiative de paix arabe et respecte les engagements pris par l’Organisation de libération de la Palestine ». Le Conseil de sécurité affirme « qu’une paix durable ne peut être fondée que sur un attachement constant à la reconnaissance mutuelle, à l’élimination de la violence et de la terreur, et sur la solution de deux Etats, sur la base des accords et des obligations précédents. »
L’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations unies ont donc, à plusieurs reprises, non seulement affirmé le droit à l’autodétermination du peuple palestinien, mais aussi donné un contenu précis à ce droit en demandant la formation et la reconnaissance d’un Etat palestinien indépendant avec Jérusalem-Est pour capital, l’intégrité et la continuité du territoire palestinien sur la base de la résolution 242 du Conseil de sécurité et l’ouverture de négociations pour la réalisation de ces droits.
On sait que la résolution 242 du 22 novembre 1967 se fonde tout particulièrement sur la Charte des Nations Unies, et notamment sur son article 2 qui interdit « le recours à la menace et à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies. » Cette résolution « affirme que l’accomplissement des principes de la Charte exige l’instauration d’une paix juste et durable au Proche-Orient qui devrait comprendre l’application des deux principes suivants :
i ) retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés au cours du récent conflit ;
ii) fin de toute revendication ou de toute état de belligérance, respect et reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque Etat de la région et de son droit à vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues, à l’abri de menaces ou d’actes de violence. »
Cette résolution est d’une importance capitale pour au moins deux raisons. D’une part, elle interdit le recours à la force et en tire les conséquences en demandant le retrait d’Israël des territoires occupés par la guerre de juin 1967, d’autre part, elle servira de base pour déterminer l’assiette territoriale de l’Etat palestinien, sauf en ce qui concerne les arrangements convenus entre les parties. Le droit à l’autodétermination doit dès lors s’exercer sur les territoires palestiniens de Cisjordanie y compris Jérusalem Est et sur la bande de Gaza, tels que tous ces territoires étaient configurés avant la guerre de juin 1967.
Il convient également de noter que l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité ont, à plusieurs reprises, affirmé que la ville de Jérusalem Est n’est pas reconnue comme partie de la capitale israélienne. (Résolution A/64/L.24) Aux termes des résolutions des Nations unies, soutenues et reprises par plusieurs Etats et organisations internationales, Jérusalem Est fait donc partie des territoires palestiniens sur lesquels le peuple palestinien a le droit d’exercer son autodétermination. A titre d’exemples, les résolutions 55/50 du 1er décembre 2000 de l’Assemblée Générale et la résolution 478 du Conseil de sécurité du 20 août 1980 rejettent la « prétendue loi fondamentale » sur Jérusalem et la proclamation de Jérusalem comme capitale d’Israël. Le Conseil de Sécurité a même « demandé aux Etats qui avaient établi des missions diplomatiques à Jérusalem de retirer ces missions ». Vingt ans après La Résolution 55/50 précitée rappelle à ces Etats qu’ils doivent se conformer à la résolution 478 (1980) du Conseil de sécurité.
Cette reconnaissance du peuple palestinien et de son droit à l’autodétermination pour former un Etat souverain dans les frontières des territoires occupés en 1967, avec Jérusalem comme capitale, est également affirmée par l’Union européenne. Nous verrons que quel que soit l’aspect positif de cette reconnaissance, cette organisation, ne tire pas toutes les conséquences politiques et juridiques qui permettraient d’amener Israël au respect des résolutions du Conseil de sécurité, de l’Assemblée générale des Nations Unies et de l’Union européenne.
1.2 Les violations du droit à l’autodétermination du peuple palestinien par Israël
Pendant longtemps l’Etat d’Israël a refusé tout contact avec les Palestiniens et a nié toute représentativité à l’Organisation de libération de la Palestine. Malgré des contacts secrets, il faut attendre le succès des négociations secrètes d’Oslo, et précisément la lettre du 9 septembre 1993 du Premier ministre israélien, pour que celui-ci indique : « le gouvernement israélien a décidé de reconnaître l’OLP comme le représentant du peuple palestinien et d’entamer des négociations avec l’OLP dans le cadre du processus de paix au Moyen Orient. » Mais cette reconnaissance de l’OLP n’exprime pas clairement le droit du peuple Palestinien à l’autodétermination.
Les accords d’Oslo, y compris évidemment l’Accord intérimaire du 28 septembre 1995, sont comme nous l’avons écrit (Annuaire français de droit international 1995) très avares de références directes au peuple palestinien et au droit du peuple palestinien. C’est seulement sous l’insistance de Arafat, et de sa menace de ne pas signer l’accord intérimaire à Washington, que l’expression « l’OLP représentant du peuple palestinien » a été introduite dans l’Accord. Certes l’Accord intérimaire est considéré comme un accord international. Les engagements qui sont pris par les parties sont ceux que prennent habituellement les sujets de droit international. L’Accord s’ouvre sur un titre dans le plus pur style des négociations en vue de réaliser la libération nationale : « le gouvernement d’Israël et l’Organisation de libération de la Palestine, OLP, représentant du peuple palestinien ». Tout se passe comme si l’accord intérimaire et tout ce que l’on appelle le processus d’Oslo étaient une étape dans le processus de libération, et donc une phase de la mise en œuvre du droit à l’autodétermination du peuple palestinien.
Certes, la constitution d’une « Autorité palestinienne » préfigure une sorte d’Etat et « l’Exécutif » palestinien avec un « Président » donne l’apparence d’un gouvernement tout comme la création d’un « Conseil » palestinien élu ressemble à un parlement. Ces accords permettent de franchir une étape dans l’exercice du droit à l’autodétermination non seulement parce que des institutions palestiniennes représentatives sont mises en place mais aussi parce que ces institutions disposent d’une juridiction tant sur les populations palestiniennes que sur les territoires de Cisjordanie et Gaza, tels qu’ils étaient configurés avant l’occupation de juin 1967. Certaines des solutions adoptées par l’Accord intérimaire de 1995 (voir article 11§2) en ce qui concerne la juridiction territoriale de l’Autorité, l’intégrité et l’unité du territoire expriment une vision conforme à l’exercice habituelle du droit à l’autodétermination. C’est dans le même sens, favorable à l’exercice du droit à l’autodétermination, que l’on peut interpréter les dispositions de cet Accord relatives aux élections « législatives » du Conseil et à l’élection du Président de l’Autorité.
Mais ces accords n’expriment pas qu’une réticence d’ordre terminologique à l’égard de l’exercice du droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Les violations par Israël, du droit international général et du droit international conventionnel, en l’occurrence les violations des accords d’Oslo, sont déjà en germe dans les clauses de l’Accord intérimaire de 1995. La continuation de l’occupation militaire, tous les recours à la force, la colonisation et la construction du mur sur les territoires palestiniens occupés son clairement des atteintes aux règles de droit international général et à la Charte des Nations unies.
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