Le régime post-carcéral prive les dissidents libérés d’une vie normale
(New York, le 24 mars 2010) - Les autorités tunisiennes ont déclaré qu'elles ne permettraient pas à Human Rights Watch de présenter son rapport lors d'une conférence de presse, mais n'ont fourni aucune raison légale à l'appui de cette décision. Human Rights Watch a cependant maintenu son projet de rendre public son rapport le 24 mars 1010. Human Rights Watch a tenu des conférences de presse en Tunisie en 2004 et 2005. Au cours de l'année dernière, Human Rights Watch a tenu de nombreuses conférences de presse dans la région, notamment au Bahreïn, en Egypte, aux Émirats arabes unis, en Israël, en Jordanie, au Koweït, au Liban, en Libye, au Maroc, et au Yémen.
« Quand le gouvernement tunisien libère des prisonniers politiques, il fait en sorte que leur nouvelle vie s'apparente à une existence dans une prison plus vaste, marquée par la surveillance, les menaces et un cocktail de restrictions », a déploré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « La tentative du gouvernement de réduire Human Rights Watch au silence met en lumière un autre élément de la répression qui est le pain quotidien de trop de Tunisiens. »
Le rapport de 46 pages, « Une prison plus vaste : La répression des anciens prisonniers politiques en Tunisie », documente l'éventail des mesures répressives, la plupart d'entre elles arbitraires, que les autorités tunisiennes imposent aux anciens prisonniers. Celles-ci comprennent une surveillance et un contrôle étroits, le refus de passeport, les menaces de réarrestation de ceux qui s'expriment sur les droits humains ou sur la politique, ainsi que les restrictions de déplacements qui ne sont pas remises par écrit à la personne concernée et dont la violation peut conduire à la réincarcération.
Bon nombre de ces mesures semblent être imposées selon le bon vouloir des fonctionnaires, sans aucune base juridique. Les tribunaux imposent parfois légalement des « peines complémentaires » de « contrôle administratif » quand ils envoient les accusés en prison. Selon la loi tunisienne, au cours d'une peine de « contrôle administratif », les autorités peuvent spécifier l'adresse où un prisonnier libéré doit résider. Toutefois, les autorités vont souvent au-delà de la loi en exigeant des ex-prisonniers qu'ils pointent auprès de la police et en les arrêtant pour violation de règles qui ne leur ont jamais été transmises par écrit.
« Le gouvernement tunisien rend impossible aux anciens prisonniers de mener une vie normale », a ajouté Sarah Leah Whitson. « Il devrait plutôt adopter des politiques de réhabilitation et de réinsertion post-carcérales. »
L'écrasante majorité des prisonniers politiques actuellement et précédemment incarcérés en Tunisie ont été condamnés pour des délits non violents liés à des organisations ou des causes islamistes
La répression arbitraire à laquelle sont confrontés les anciens prisonniers politiques est illustrée par le refus des autorités de délivrer des passeports à la grande majorité d'entre eux - qu'ils soient sous contrôle administratif ou pas. Certains ex-détenus ont attendu pendant plus d'une décennie depuis le dépôt de la demande de passeport, et ont soit été confrontés à un refus, soit n'ont reçu aucune réponse.
La Tunisie prétend que tout citoyen lésé par l'administration peut demander réparation auprès d'un tribunal administratif. Mais comme le montre le rapport, même lorsque ce tribunal statue que les autorités ont injustement refusé un passeport à un ex-prisonnier, elles ont persisté à refuser d'en délivrer un. En plus des exemples de cas fournis dans le rapport, Human Rights Watch a mis les profils d'autres ex-prisonniers privés de leur passeport en ligne sur : http://www.hrw.org/sites/default/files/related_material/tunisia_passport_2010fr.pdf
La police garde souvent d'anciens prisonniers sous une surveillance étroite et manifeste, en interrogeant les membres de la famille et les voisins sur leurs mouvements, et en appliquant des restrictions qui rendent difficile aux ex-prisonniers de trouver un emploi. Le résultat, pour de nombreux ex-détenus et leurs familles, est l'appauvrissement et le sentiment pour certains d'être devenus des parias de la société.
« La Tunisie semble dire : nous allons écraser ceux qui n'ont pas été brisés en prison », a conclu Sarah Leah Whitson.
Human Rights Watch a exhorté le gouvernement tunisien à :
- fournir à tous les anciens prisonniers une description écrite intégrale de toutes les restrictions à leurs libertés imposées en vertu de la loi tunisienne, et à leur permettre par ailleurs le plein exercice de leur liberté de mouvement et de tous les autres droits humains ;
- délivrer un passeport valide à tous les requérants ou fournir au demandeur par écrit les motifs de fond et la base juridique d'un refus, et à respecter les décisions des tribunaux administratifs quand ils statuent qu'une demande de passeport a été injustement refusée;
- donner publiquement les instructions qu'aucun agent de police ne peut aller au-delà de l'application des restrictions imposées aux anciens détenus qui sont sanctionnées par la loi et imposées par le tribunal, et qui leur sont fournies par écrit ;
- établir un mécanisme pour enquêter sur les plaintes déposées par les anciens prisonniers au sujet des restrictions arbitraires sur leurs droits et, s'il y a lieu, à exiger des comptes aux agents de police qui portent atteinte à leurs droits et à indemniser les anciens prisonniers pour tout dommage ou préjudice subi à la suite d'actes arbitraires ou illégaux.
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