26 janvier 2011

Gaza, Guernica palestinienne

mardi 25 janvier 2011
Vittorio Arrigoni




Énième victime civile et innocente dans la Bande : un massacre continu.
Une charrette au centre de la désolation et sur le côté, un cheval abattu, la suite jamais tracée d’une Guernica palestinienne. Sur le lieu du dernier massacre, à Tal Abu Safiya, à l’Est de Beit Hanoun, dans le Nord de la Bande de Gaza, sur une aire agricole où fleurissaient autrefois les arbres fruitiers et dont il ne reste aujourd’hui qu’un terrain broyé par les chenilles des tanks, à environ deux cents mètres de la frontière, on voit encore le véhicule et l’animal en décomposition de Amjad Sami Al Zaaneen, jeune homme de 18 ans tué mardi par l’armée israélienne.
Tôt dans la matinée, Amjad s’était rendu avec quelques amis dans cette région pour ramasser des matériaux de récupération, essentiellement du fer et du ciment. Dans la Bande de Gaza où depuis quatre ans le blocus israélien interdit l’entrée du matériel nécessaire pour la reconstruction, ces « recycleurs » ne font pas que nourrir leurs pauvres familles, ils ont aussi une fonction sociale fondamentale.
Lorsque vers 8h30 sept chars d’assaut et trois bulldozers israéliens ont envahi la frontière en dévastant les terrains cultivables, les jeunes Palestiniens se sont enfuis aussitôt en abandonnant la charrette et l’animal. Vers 14h, lorsque l’incursion a pris fin, les jeunes sont revenus en arrière, ignorant qu’au même moment un tank se trouvait non loin de la frontière et les prenait pour cibles. Sept coups de feu ont été tirés vers eux. Amjad, 18 ans, touché à l’abdomen, est mort sur place après quelques minutes.
Les blessés hospitalisés à l’hôpital de Beit Hanoun ont raconté l’attaque aux militants de l’International Solidarity Movement.

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Sharaf Raafat Shada
 
Sharaf Raafat Shada, 19 ans : « Quand nous sommes revenus pour reprendre l’animal et la charrette remplie de pierres, le tank israélien a commencé à nous tirer dessus. J’ai été blessé par les éclats du premier missile, mais j’ai continué à courir. Les missiles tombaient dans toutes les directions. Quand je suis arrivé sur la route principale, je me suis écroulé au sol, puis on m’a transporté à l’hôpital ».

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Ismael Abd Elqader Al Zaaneen
 
Ismael Abd Elqader Al Zaaneen, 16 ans : « Ils tiraient des projectiles devant nous dans toutes les directions que nous tentions de prendre pour fuir. Ils nous ont lancé une dizaine de missiles, moi j’ai des éclats sur tout le dos et sur les jambes ».
L’oncle de Sharaf : « Les crimes comme celui-ci sont quotidiens désormais. Israël empêche tous les civils de la région d’accéder à leur terre. Notre vie est devenue incroyablement difficile, surtout ces derniers temps, nous assistons désarmés à une épouvantable escalade de la brutalité israélienne contre les paysans et les bergers.
Ils veulent faire de nous de l’engrais pour nos champs ». Devant la frontière, Tal Abu Safiya est une vaste étendue de terre sans constructions, arbustes ou autres obstacles à la visibilité des nombreuses caméras israéliennes qui la contrôlent centimètre par centimètre. Il y a même un dirigeable qui, de son œil de cyclope, espionne majestueusement chaque mouvement dans le ciel. Avant d’actionner le canon, les soldats connaissaient parfaitement l’identité de leurs victimes : des civils désarmés, à peine plus âgés que des enfants.
Oday Abdel Qader Al Zaanen, onze ans : « Lorsque Sharaf a été blessé par le premier projectile, Amjad, mon cousin, s’est avancé pour le secourir. Il n’a pas eu le temps de faire deux pas, un missile l’a touché directement à l’estomac et l’a éventré. J’ai eu de la chance de n’avoir que des petites blessures au visage. Je ne sais pas pourquoi Israël nous a fait tout ça. »
Lorsque la quatrième armée du monde bombarde des enfants parce qu’ils ont commis la faute d’être nés du mauvais côté de la frontière, des enfants obligés dès leur plus jeune âge à travailler dans les champs pour aider leurs familles à survivre, des enfants qui dans leur courte vie n’ont jamais eu d’autres expériences que la misère et la mort de leurs parents et compagnons de jeu, eh bien, celle qui se définit elle-même comme « la seule démocratie du Moyen Orient » devrait s’arrêter et réfléchir aux gouffres d’immoralité dans lesquels elle est en train de sombrer, tout comme devraient le faire ses alliés.
Le 23 décembre, dans la même région au Nord de la Bande de Gaza, les soldats israéliens ont tué de sang froid le berger bédouin Salama Abu Hashish et le 10 janvier, Mohammed Shaban Shaker Karmoot, un paysan qui travaillait sur ses terres.
Les chenilles des tanks défrichent et labourent, les canons fertilisent, mais ce bout de terre ne renonce pas à demander de fleurir à nouveau.
Restons humains.

Vittorio Arrigoni depuis Gaza
* Vittorio Arrigoni réside à Gaza ville. Journaliste freelance et militant pacifiste italien, membre de l’ISM (International Solidarity Movement), il écrit notamment pour le quotidien Il Manifesto. Il vit dans la bande de Gaza depuis 2008. Il est l’auteur de Rester humain à Gaza (Gaza. Restiamo umani), précieux témoignage relatant les journées d’horreur de l’opération « Plomb durci » vécues de manière directe aux côtés des ambulanciers du Croissant-Rouge palestinien.

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Vittorio Arrigoni
Son blog peut être consulté à :
http://guerrillaradio.iobloggo.com/

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22 janvier 2011 - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction de l’italien : Y. Khamal


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