La gestion des déchets dictatoriaux
Yves Boisvert La Presse |
Les Ben Ali ne sont pas les bienvenus au Canada. C'est ce message simple qu'a adressé le ministre canadien de l'Immigration, Jason Kenney, à la famille de l'ex-dictateur tunisien.
Parfois, le simplisme politique est une vertu. Devant les voleurs et les mafieux d'État, par exemple.
Cinq jours avant la démission de Zine el-Abidine Ben Ali, président tunisien depuis 1987, la ministre française des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, a offert à la Tunisie d'envoyer les forces de sécurité françaises... tout en invitant le gouvernement à tenir compte des attentes populaires.
«On ne doit pas s'ériger en donneurs de leçons», a-t-elle dit prudemment, car la situation est complexe. Une prudence qui apparaît deux semaines plus tard comme une ultime complaisance envers ce régime corrompu.
Maintenant que Ben Ali a fui vers l'Arabie Saoudite avec ses bibelots et ses carnets bancaires, la France, tout comme la Suisse, a annoncé le gel des avoirs de la famille sur son territoire. Le Canada fera de même.
Après tant de laisser-faire, aurait-on accompli quelque progrès dans la gestion des déchets du despotisme? On dirait bien, tout de même.
Quand on pense que Jean-Claude Duvalier, après avoir fui Haïti en 1986, a passé 25 ans sur la Côte d'Azur sans être inquiété par la justice... Et quand on pense qu'il a fallu une loi votée l'an dernier (et en vigueur seulement le mois prochain) pour que la Suisse bloque définitivement son dernier compte en banque... On se dit qu'on a longtemps manqué d'impatience et de simplisme.
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Revenons ici. Le ministre Kenney a confirmé en partie la nouvelle parue dans le Journal de Québec la semaine dernière: plusieurs membres de la famille Ben Ali, qui ont le statut de résident permanent au Canada, ont débarqué au Québec.
Comment ont-ils obtenu ce statut? Ce n'est pas infiniment compliqué. Si l'on a de l'argent, par exemple, on peut être un «immigrant investisseur» et voir les portes du pays s'ouvrir sans grande complication. On ne sait pas quels membres de la famille Ben Ali ont obtenu ce statut ni comment ils l'ont obtenu.
Mais ce statut peut être révoqué (tout comme la citoyenneté, d'ailleurs) s'il a été obtenu par la fraude, au moyen de déclarations mensongères ou par quelqu'un qui a un passé criminel caché.
À supposer que certains d'entre eux soient complices d'activités illégales dans leur pays et qu'ils aient obtenu leur argent de cette manière, ils pourraient se voir révoquer leur résidence permanente et se faire expulser.
Il y a actuellement une enquête judiciaire sur la famille. On a annoncé jeudi dernier l'arrestation en Tunisie de 33 proches de Ben Ali.
L'enquête porte sur l'«acquisition illégale de biens», des «placements financiers illicites à l'étranger» et «l'exportation illégale de devises». L'AFP rapporte que cette enquête «vise nommément l'ancien chef d'État, sa femme, Leila Trabelsi, ainsi que les frères et gendres de Leila Trabelsi, les fils et les filles de ses frères et toute personne dont l'enquête prouvera l'implication dans ces crimes».
On ne sait pas ce que ça donnera ni quelle est la responsabilité des proches de Ben Ali réfugiés ici. Mais si l'enquête est concluante aux yeux de l'Immigration, les membres de la famille pourraient donc se faire expulser et perdre leur statut sans autre forme de procès.
Il n'y a pas, par ailleurs, de traité entre le Canada et la Tunisie pour faire extrader les personnes soupçonnées de crimes. Par contre, la Loi sur l'extradition prévoit maintenant qu'on peut conclure un accord particulier d'extradition avec un pays. Même un citoyen canadien n'est pas à l'abri d'une extradition légalement demandée.
Tout ça pour dire que plusieurs voies juridiques existent pour qu'on ne serve pas de terre d'asile aux bénéficiaires des dictatures, quel que soit leur statut.
Simple - longtemps trop simple - question de justice.
cyberpresse.ca
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