18 février 2011

Alain Gresh au site "Al Intiqad": la nouvelle Egypte sera plus indépendante et dure à l’égard d’’Israël" 
 
Né en Egypte en 1948, Alain Gresh y a vécu jusqu'à 1962. Durant cette période le journaliste français spécialiste du Moyen-Orient, a témoigné de la révolution Nassérienne pleine d'espoir qui a complètement disparu sous le régime Moubarak.
Avac beaucoup d'intérêt et émotion M. Gresh a suivi les nouvelles en provenance de l'Egypte, le pays auquel il se sent attaché. Avec optimisme il observe la scène en Egypte et dans le monde arabe en ce moment hisotrique où des régimes autoritaires s'écroulent face à la volonté des peuples.
Le site Al Intiqad a interviewé le directeur adjoint du Monde Diplomatique sur la révolution du peuple égyptien et les défis à surmonter, et sur les répercussions politiques de ce changement, notamment la relation de l'Egypte avec l'ennemi israélien.


Interview - Mayssaa Chedid

- Vous êtes né en Egypte où vous avez vécu pendant 14 ans, comment avez-vous suivi la révolution égyptienne?

Avec encore plus d'intérêt si elle avait eu ailleurs, c'est un pays que je connais, auquel je suis un peu lié. Mais de toute façcon l'image de ces immenses manifestations pacifiques était quelque chose de très stimulant et très émouvant.
Il y a deux différences importantes entre l'époque où j'ai vécu en Egypte et celle de Moubarak. D'abord démographique, l'Egypte faisait 20 millions d'habitants à l'époque, aujourd'hui il y en a plus de 80 millions ce qui est plus difficile.
La deuxième différence c'est que l'Egypte après la révolution nassérienne, a apporté l'espoir à la population, il y a eu une amélioration telle la mise en place d'un état qui aidait le peuple, c'était une période où il y avait beaucoup d'espoir, un espoir qui a complètement disparu sous le régime de Moubarak.

- Vous attendiez-vous à la chute de Moubarak et de son régime?

Personne ne pouvait prévoir il y avait deux mois ce qui allait se passer en Tunisie ou en Egypte, la seule chose qu'on pouvait dire c'est que ça faisait plusieurs années les ingrédients d'une crise étaient accumulés, dont 3 essentiels:
1- les pouvoirs autoritaires qui sont là depuis des dizaines d'années sans éléctions, sans renouvellement, quand le leader s'en va c'est le fils qui le présente, et l'arbitraire total à l'égard du citoyen, c'est à dire le fait qu'on peut se faire arrêter n'importe quand, pour des raisons politiques ou non, comme c'était le cas du jeune Khaled Saïd à Alexandrie, qui a été tué sans aucune raison, c'est donc l'arbitraire total.
2- L'accumulation des problèmes économiques et sociaux, qui constitue une crise très grave où la plupart de la population égyptienne vit au dessous du seuil de pauvreté, au moment même où le gouvernement a organisé ce qu'on appelle la libéralisation économique. Alors petit à petit, la diminution des services donnés à la population, les hôpitaux, la santé, les écoles, tout ça s'est dégradé d'une manière très rapide.
3- L'absurde perspective de la jeunesse, un million de jeunes qui arrivent sur le marché de travail et qui ne trouvent aucune possibilité de travail, même aucune expression libre puisque les internets étaient verouillés et les blogueurs arrêtés.
Ces 3 éléments étaient la poudre, l'étincelle est provenue de la tunisie où les gens se sont rendus compte qu'ils sont capables de renverser un gouvernement ce qui a eu des effets sur l'Egypte.

- Vous avez déjà écrit dans un article qu'un air de liberté souffle sur le monde arabe, croyez-vous bien que les révolutions en Tunisie et en Egypte changeront la face de la région?

Je pense qu'elles vont changer la face de la région d'abord sur le plan des libertés politiques et démocratiques, droits d'expression et d'organisations politique et syndicale, le droit d'avoir des éléctions libres avec une alternance. Mais ça ne veut pas dire que tous les problèmes de ces pays seront réglés, parce qu'il y a notamment les problèmes économiques. Aujourd'hui on voit bien les milliers des tunisiens qui quittent la tunisie pour l'Italie et l'Europe, pour l'instant on ne leur a pas encore donné du travail, mais évidemment ça prendra du temps.

- A quel point vous êtes optimiste alors qu'on voit toujours les mêmes figures du régime Ben Ali en Tunisie par exemple?

On n'est qu'au début du mouvement que ce soit en Tunisie ou en Egypte, ce que les peuples égyptien et tunisien ont conqui va aller de l'avant, ce n'est pas fini, si ça va arrêter aujourd'hui ce sera terrible. Je suis donc optimiste de ce point de vue, non pas par le fait de ce qu'on a obtenu mais de ce qu'on peut encore obtenir.

- Dans quelle mesure la révolution égyptienne aura des répercussions au niveau politique notamment sur les relations de l'Egypte avec "Israel", les Etats Unis et l'Iran?

Ca dépendra évidemment de la manière dont ça se développe. Le conseil suprême des forces armées a dit qu'il ne mettra pas en cause les traités, donc il ne mettra pas en cause le traité de Camp David, mais quoi qu'il se passe il aura ses répercussions, l'Egypte pendant ces dernières années a été complice des Etats Unis et "Israël" dans la politique à l'égard des palestiniens, et  même s'il n'y aura pas une rupture des relations diplomatiques avec "Israel", je pense que ca va être infléchi, l'Egypte sera plus indépendante et un peu plus dur à l'égard d'"Israël".

- Sur quoi vous vous basez dans cette analyse?

A partir du moment où l'opinion égyptienne a le droit de s'exprimer, cette opinion a été hostile à la politique menée par Moubarak sur le niveau régional. Le peuple égyptien a déja réagi au moment de la seconde intifada malgré la répression, mais dans un regime démocratique il va s'exprimer avec plus de force. Là il y a quelque chose qui peut changer.
Quant aux relations avec l'Iran, l'Egypte était un des pays arabes hostiles a l'Iran, je pense qu'on peut aller vers un accord ou au moins une détente entre les deux pays, c'est effectivement une des possibilités mais cette question dépendra aussi bien de l'Egypte que de l'Iran.

- Quels sont les défis de la révolution?

Ce qui a provoqué la crise est toujours présent, il y a encore des inégalités, des problèmes de la jeunesse, aujourd'hui il y a heureusement à l'intérieur de l'Egypte des différents courants et mouvements, donc ça va dépendre un peu de la manière dont les luttes internes en Egypte se déroulent, en fonction des affrontements entre les différentes tendances.

- En tant que journaliste français, comment évaluez-vous la position de la France, sur les niveaux officiel et populaire? 

La France comme les Etats unis ont soutenu le régime Moubarak comme ils ont soutenu le régime Ben Ali. Comme la France s'est beacoup discréditée par la première période du changement en Tunisie, elle a été plus rapide à réagir sur la question de l'Egypte en déclarant qu'il faut y avoir des changements, et à moins se compromettre avec Moubarak qu'elle s'est compromise avec Ben ali. En revanche je pense que dans l'opinion publique les changements sont vus plutôt de manière positive mais il y a une sous-jacente peur de l'islam chez une partie de l'opinion française.

- Comment Evaluez-vous la couverture des médias français des derniers événements?

Les médias ont été en couvert de ce qui se passait avec de la sympathie à l'égard des mouvements et manifestations populaires. Les journalistes qui ont été sur place se rendaient compte de ce qui se passait en Egypte. En tunisie c'était différent car ils ne pouvaient pas y entrer, c'etait donc plus limité. En general ça était bien couvert.

- Quel sera le mot que vous adressez aux Egyptiens?

Ce qu'on peut souhaiter c'est que cette révolution continue avec des changements durables et positifs.      

                  

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