Place de la Perle, à Manama. Photo envoyée par Eric@bahrain.
Le vent de révolte qui souffle sur le monde arabe n’épargne pas le royaume de Bahreïn, petit pays du Golfe dont la population est majoritairement chiite mais qui est dirigé par une famille sunnite. Dans la nuit de mardi à mercredi, près de 2000 manifestants ont occupé place de la Perle, dans la capitale, qui a pris le temps de quelques heures des allures de place Tahrir.
À la différence du reste de la Péninsule arabique (Qatar et Koweït), la population bahreïnie est composée à 75 % de chiites regroupés dans les quartiers pauvres du pays. La colère de cette communauté menace la stabilité de Bahreïn depuis plusieurs années déjà.
En gage de bonne volonté, le roi Hamad ben Isa al-Khalifa a annoncé, le 11 février dernier, le versement d’une allocation de 2 000 euros [1 000 dinars] à chaque famille du royaume. Les autorités veulent ainsi éviter une radicalisation de la protestation chiite dans la foulée des soulèvements de Tunisie et d’Égypte. Dirigé par la dynastie sunnite Al-Khalifa depuis trois siècles, le régime a tout intérêt à calmer ces tensions communautaires pour continuer d’attirer les investissements étrangers. Le royaume de Bahreïn ne dispose d’aucune réserve en hydrocarbures et compte sur sa situation de place boursière pour prospérer.
La répression des manifestations anti-gouvernementales a fait deux morts depuis lundi, ce qui n’a fait qu’augmenter la colère de milliers de Bahreïnis chiites. Comme en Tunisie et en Égypte, des internautes ont appelé sur Facebook à protester dans tout le pays pour réclamer des réformes politiques et sociales et la libération de 450 prisonniers d’opinion. Mais dans ce pays du Golfe, c’est le début du procès de 25 militants chiites accusés de complot contre l’État qui a mis le feu aux poudres. Selon l'un de nos Observateurs, près de 2 000 personnes se sont rassemblées mardi place de la Perle, un rond-point très fréquenté du centre de Manama. L'occupation pourrait reprendre ce mercredi, alors que les manifestants rendaient hommage à l'un des leurs tués la veille lors d'affrontements avec la police.
"Ils étaient entre 2 000 et 3 000, on se serait cru place Tahrir"
Eric, expatrié français, vit à Bahreïn depuis trois ans.
Mardi était le 'Jour de colère' à Bahreïn. Cet après-midi, entre 2 000 et 3 000 Bahreïnis ont rejoint en moins d'une heure la place de la Perle, un rond-point du centre de Manama. Ils ont même commencé à installer des semblants de tentes. On se serait cru place Tahrir [Égypte] ! Je n'ai pas vu beaucoup de policiers. La manifestation était bon enfant, mais je n'avais jamais vu ça à Manama."
"Certes, ceux qui se révoltent aujourd’hui sont majoritairement chiites, mais s'ils protestent, c’est surtout parce que ce sont les plus pauvres"
Adnan Alaoui est professeur d’anglais à Manama. Il était présent ce matin aux funérailles d’Ali Mcheimech, un manifestant chiite tué lundi à Diya, une ville située à l’est de Manama.
Ce matin, le cortège qui allait de l’hôpital au cimetière s’est transformé en véritable manifestation. Nous avons crié des slogans appelant à un changement de régime, mais notre marche était pacifique. Pourtant, la police nous a attaqués avec des gaz lacrymogènes et j’ai entendu des coups de feu. Demain, nous irons enterrer notre deuxième martyr [un deuxième manifestant chiite a été tué par balle lors des funérailles de mardi matin], puis nous retournerons manifester, et ce jusqu’à ce que nous ayons de vraies réponses à nos exigences.
Les revendications des chiites sont d’abord politiques. Nous ne voulons plus de la Constitution de 2002 qui a établi une monarchie constitutionnelle avec un Parlement aux pouvoirs limités. La famille royale monopolise tous les postes politiques stratégiques. Le pouvoir législatif est faible parce qu’il comporte une chambre haute contrôlée par les sunnites et une chambre basse où nous sommes représentés par 18 députés [sur 40], alors que nous représentons les trois quarts de la population. Nous ne souhaitons pas renverser la monarchie. Nous demandons que le Premier ministre soit chiite, pour rétablir l’équilibre des pouvoirs.
"Des étrangers sont embauchés comme policiers ou militaires parce que le roi n’a pas confiance en son peuple"
De ce déséquilibre politique découle des revendications sociales et économiques. Le régime distribue des passeports à tour de bras aux Syriens, aux bédouins de Jordanie et aux Pakistanais [La population du pays a augmenté de 20 % ces dernières années, atteignant 1,2 million d’habitants. Une majorité de ces nouveaux citoyens viennent de Syrie, de Jordanie, du Yémen ou du Pakistan. Ils seraient recrutés par l’armée ou la police et bénéficient gratuitement de services sociaux]. Ces personnes sont embauchées dans les métiers de la défense (armée et police) parce que le roi n’a pas confiance en son peuple ! Quand on fait une demande de logement, un Bahreïni peut attendre pendant 20 ans, alors que les expatriés se voient promettre un logement et des papiers en moins d’une semaine. Les salaires des chiites n’arrêtent pas de baisser depuis quelques années et le chômage grimpe.
"Que justice soit rendue à la majorité chiite du pays, la plus pauvre, et surtout la plus cachée, dans les bidonvilles loin derrière les buildings"
En promettant 2 000 euros [1 000 dinars] à chaque famille, le roi croit pouvoir anesthésier notre colère. En tant que citoyen bahreïni, je refuse que mes revendications soient estimées par les autorités à 2 000 euros [1 000 dinars]. Je veux que justice soit rendue à la majorité chiite du pays, la plus pauvre, et surtout la plus cachée, dans les bidonvilles, loin derrière les buildings.
Les autorités et les médias nationaux enferment notre combat dans une logique communautaire. Certes, ceux qui se révoltent aujourd’hui sont majoritairement chiites, mais s’ils protestent, c’est surtout parce que ce sont les plus pauvres. En réalité, nous nous considérons d’abord comme citoyens du Bahreïn."
Billet rédigé avec la collaboration de Peggy Bruguière, journaliste à FRANCE 24.
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