Marzouki: «C'est une révolution de la jeunesse et la voilà conduite par un vieillard de 84 ans!»
Interview
L'opposant tunisien, candidat à la présidentielle, ne se satisfait pas de la nomination d'un nouveau Premier ministre. Il critique la conduite de la transition démocratique, par une classe politique qui a conservé ses vieux réflexes.
Moncef Marzouki, à Sidi Bouzid, le 19 janvier 2011. (Zohra Bensemra / Reuters)
Après deux jours de manifestations massives, qui ont dégénéré en violences meurtrières, le Premier ministre tunisien Mohammed Ghannouchi a démissionné, dimanche. La rue était mobilisée depuis plus d'un mois contre le maintien de cet homme au poste de Premier ministre, qu'il occupait depuis onze ans.
Dans la foulée, le président Foued Mebazaa a annoncé la nomination de Béji Caïd Essebsi, 84 ans. Proche de Bourguiba, dont il a été conseiller dès l'indépendance en 1956, il a occupé plusieurs postes ministériels depuis: Défense, Intérieur, Affaires étrangères. Député jusqu'en 1994, il a depuis repris son métier d'avocat.
Pas sûr que cette nomination calme les Tunisiens. Le sit-in, qui se tient depuis dix jours sur la place de la Casbah, à Tunis, devant les bureaux du chef du gouvernement, se poursuit ce lundi. Les tensions persistent sur l'avenue Bourguiba, centre de la contestation et théâtre de violences ces derniers jours.
Moncef Marzouki, président du Congrès pour la République et candidat à l'élection présidentielle, qui doit se tenir d'ici mi-juillet, critique le déroulement de la transition démocratique en Tunisie.
Le départ de Ghannouchi est-il une victoire?
C'est surtout la preuve de la détermination des Tunisiens à faire partir les caciques de l'ancien régime. Le peuple est descendu dans la rue lorsque cinq ministres du RCD [Rassemblement constitutionnel démocratique, ex-parti de Ben Ali, ndlr] ont été nommés au gouvernement, [le 17 janvier].
Ils ont manifesté après la nomination de vingt préfets du RCD dans les régions. Il a aussi fallu se mobiliser pour la dissolution du RCD.
Le peuple a conscience du danger et la mobilisation ne faiblit pas, c'est ce qu'il y a de plus important. Le problème, c'est qu'il va falloir continuer, car ces caciques jouent toujours un rôle important. Ce n'est absolument pas fini. Ce régime, on ne l'abat pas par KO mais par points.
Comment réagissez-vous à la nomination de Beji Caïd Essebsi?
C'est une révolution de la jeunesse, démocratique, et la voilà conduite par un vieillard de 84 ans!
Tous les partis d'opposition sont déçus, y compris le Congrès pour la République, que je préside. Le syndicat UGTT a aussi exprimé son désaccord.
Nous déplorons moins le profil de la personne que le processus qui a conduit à sa nomination. Dans un processus révolutionnaire, il aurait fallu convoquer toutes les composantes. Or ce régime ne se fait conseiller que par les caciques du RCD.
Comment la transition démocratique doit-elle s'opérer?
Nous voulons la formation d'un gouvernement d'union nationale, qui comprenne tous les partis d'opposition et pas seulement les deux qui y sont actuellement, qui n'ont aucune légitimité parmi le peuple et sont même considérés comme des traîtres à la révolution.
Hormis le départ de l'ensemble du gouvernement, nous exigeons la tenue d'une assemblée constituante. Si ce nouveau Premier ministre le fait, c'est tant mieux, mais pour le moment, nous ignorons ce qui va se passer. Tout cela commence à être pesant pour les Tunisiens, qui ont besoin de stabilité.
Etes-vous prêts à participer à un éventuel gouvernement d'union nationale?
Nous sommes des gens constructifs, qui ne font pas que s'opposer. Oui, nous sommes donc prêts à entrer dans un gouvernement d'union nationale qui aurait un programme clair.
Mais nous ne sommes absolument pas consultés. Moi-même je suis interdit de télévision nationale, je fais partie d'une liste noire, occulte, qui n'a pas droit de cité à la télévision.
De quelle façon l'ancien régime continue-t-il à peser en Tunisie?
Il reste des groupes mafieux, des forces de sécurité, des responsables du RCD. Ils sont derrière les violences et les troubles qui agitent le pays. Ils sont toujours en liberté, ils complotent, ont de l'argent et achètent les gens, lancent des casseurs dans toutes les manifestations.
Face à cela, il faut un gouvernement fort, d'union nationale, qui puisse être à même de ramener la sécurité, de remettre la police au travail. Une police républicaine, débarrassée des ex-satrapes de Ben Ali, qui heureusement ne sont pas si nombreux. C'était d'ailleurs l'un des principaux reproches faits à Ghannouchi: sa faiblesse vis-à-vis de ces groupes. Il faut leur faire face, dans le cadre du droit, mais avec fermeté.
Avez-vous confiance pour la suite de la transition démocratique?
J'ai confiance dans le pays, dans cette jeunesse, dans la révolution, mais pas dans les hommes qui restent au pouvoir, qui tergiversent. Ils n'ont pas compris ce qu'est cette révolution, comment la traiter. C'est un cercle de vieux amis qui continuent à fonctionner entre eux. Ils n'ont pas compris la nouvelle Tunisie, et je suis effrayé par le hiatus entre cette classe politique et la jeunesse.
Journal Libération
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