28 janvier 2012

Tunisie, Hamas, Palestine...


La Tunisie, le Hamas, la Palestine et les juifs

mardi 10 janvier 2012, par Alain Gresh


Premier ministre du gouvernement palestinien à Gaza, Ismaïl Haniyeh, dirigeant du Hamas, a quitté Tunis lundi 9 janvier à l’issue d’une visite de cinq jours. Il était accompagné à l’aéroport par le premier ministre tunisien Hamadi Jebali et le président du parti Ennahda Rached Ghannouchi, qui étaient venus l’accueillir. Ce long séjour, à l’invitation du gouvernement, illustre les changements intervenus sur la scène arabe depuis un an.

Rappelons d’abord que le gouvernement présidé par Haniyeh est issu des élections démocratiques tenues en Palestine en janvier 2006. C’est le refus des Occidentaux et de certains pays arabes, ainsi que du Fatah, de reconnaître les résultats du suffrage populaire, qui a entraîné une escalade entre le Hamas et le Fatah et la création de deux autorités en Palestine (lire « Gaza, quelques articles contre la pensée unique »).

La visite de Haniyeh s’inscrivait dans le cadre d’une tournée dans la région : Turquie, Soudan, Qatar et Bahreïn. L’étape du Bahreïn est un peu étrange, dans la mesure où ce pays ne joue pas un rôle majeur et où, de plus, il écrase son opposition ; mais il s’agissait pour le Hamas de faire un geste de bonne volonté en direction de l’Arabie saoudite, très réticente à son égard. La tournée de Haniyeh consolide la place du Hamas sur la scène régionale et confirme que la victoire des forces liées aux Frères musulmans (en Tunisie, en Egypte, au Maroc et peut-être en Libye) a déjà des conséquences sur la géopolitique régionale, et notamment sur le conflit israélo-palestinien.

Le Fatah n’a pas caché son mécontentement de ne pas avoir été associé à la réception de Haniyeh en Tunisie.

Comme, d’autre part, un incident a éclaté à la suite d’un obscur problème lié à l’entrée d’une délégation du Fatah à Gaza, on peut douter que les tentatives de réconciliation entre les deux organisations avancent.

M. Abbas a même appelé à la réévaluation de cette réconciliation (« Abbas : Fatah must reevaluate reconciliation pact with Hamas », Haaretz, 9 janvier).

Lors de sa visite en Tunisie, Haniyeh a rencontré les autorités et s’est rendu dans les villes symboles de la révolution tunisienne. Au cours d’un meeting à Tunis, il a été ovationné par quelque 5 000 personnes et a appelé les peuples du printemps arabe à lutter contre Israël.

Mais c’est un incident à son arrivée à l’aéroport qui a soulevé la polémique, comme le rapporte le quotidien tunisien Le Temps (« Ennahdha a-t-il perdu le contrôle de ses troupes ? ») :
« Des dizaines de jeunes ont scandé des slogans anti-juifs lors de l’accueil du Chef du gouvernement du mouvement islamiste palestinien Hamas, Ismaïl Haniyeh, jeudi à l’aéroport international de Tunis Carthage. Keffiehs autour du cou et drapeaux palestiniens à la main, ces jeunes ont laissé éclater leur haine des Juifs en scandant avec ferveur les slogans “Tuer les juifs est un devoir”, “Virer les juifs est un devoir”. Ils faisaient partie des quelque 2 000 personnes qui ont accueilli le secrétaire général du mouvement Hamas... »

Dans une réaction rapportée par l’AFP, Peres Trabelsi, l’un des représentants de la communauté juive, a déclaré : « Il n’y a pas de sionistes en Tunisie et on ne veut pas être mêlés au problème du Proche-Orient, la Tunisie est notre pays. » Cette communauté compte environ un millier de personnes (contre 100 000 à l’indépendance en 1956).

Ajmi Lourimi, membre du Bureau politique d’Ennahda, a déclaré, dans des propos rapportés par Le Temps, : « Les slogans anti-juifs scandés, jeudi, à l’aéroport de Tunis Carthage constituent un acte isolé qui ne traduit ni les positions du mouvement Ennahdha, ni celles du gouvernement tunisien. Les personnes qui ont accueilli Ismaïl Haniyeh n’étaient pas exclusivement des militants d’Ennahdha. Et pour un évènement pareil, on ne peut pas interdire les gens portant d’autres idées ou idéologies d’assister aux côtés de nos militants. Des sympathisants d’Ennahdha ont même empêché un jeune de faire flotter un drapeau noir emblématique d’un autre parti. Et puis comment peut-on demander à un gouvernement qui ne peut pas interdire des manifestations qui lui sont hostiles, en vertu du nouveau climat des libertés qui règne dans le pays, d’interdire aux gens d’assister à l’accueil du dirigeant d’un pays frère ou de scander tel ou tel slogan ? Ennahdha, qui croit à la cohabitation entre les différentes religions et respecte la liberté du culte, dénonce ces slogans anti-juifs émanant d’une minorité qui ne représente rien dans la société tunisienne. Contrairement à ce que pensent certains intellectuels, Ennahdha contrôle pleinement sa base, mais il faut garder à l’esprit que les niveaux de conscience politique ne sont pas identiques auprès des militants et sympathisants d’un même parti. Globalement, il ne faut pas tenter de donner une grande importance à cet incident ou en faire un épouvantail. »

Le 9 janvier, Rached Ghannouchi a aussi publié un communiqué affirmant que les juifs de Tunisie étaient « des citoyens à part entière avec les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres ».

Pourtant, ces manifestations, même limitées, sont inquiétantes. Non seulement elles déstabilisent les quelques milliers de juifs encore présents dans le monde arabe, mais elles s’inscrivent dans un climat général contre les minorités – voir la situation des chrétiens en Irak, obligés de quitter leur pays à la suite de sa « libération » par les Etats-Unis, ou celle des coptes en Egypte.

Pour les juifs de Tunisie, une autre dimension mérite d’être mentionnée. Il n’y a pas que les extrémistes islamistes qui considèrent que les juifs de Tunisie ne sont pas des citoyens tunisiens : le gouvernement israélien non plus. Le vice-premier ministre Sylvan Shalom, lui-même originaire de Tunisie, a déclaré en décembre 2010 : « J’appelle les Juifs vivant en Tunisie à venir s’installer en Israël le plus rapidement possible. »

Les juifs tunisiens ont rejeté cet appel avec force. Quant au parti Ennahda – dont le dirigeant Ghannouchi a rencontré des représentants de cette communauté –, il avait lui aussi qualifié d’« irresponsable » et d’« irrationnel » l’appel lancé par Shalom aux juifs de Tunisie. Selon l’AFP, Ennahda a affirmé que « la Tunisie reste, aujourd’hui et demain, un Etat démocratique qui respecte ses citoyens et veille sur eux quelle que soit leur religion... Les membres de la communauté juive en Tunisie sont des citoyens jouissant de la plénitude de leurs droits et de leurs devoirs ». (Lire aussi, dans Le Point (28 décembre 2011), « Les juifs tunisiens, dragués par Israël »).

Se confirme ainsi le danger de cette position israélienne qui, en appelant les juifs du monde à s’installer en Israël, met en doute leur appartenance aux différentes communautés nationales. Comme je l’écrivais ici même, « l’“Etat juif” contre les juifs »...

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