Le Qatar, fer de lance de la diplomatie étasunienne, et la France plurielle
par Léon Camus
Extrait
Tête de pont et fer de lance de la diplomatie armée nord-américaine
En  vertu d’accords de défense signés en juin 1992, nous trouvons à une  quarantaine de km de Doha, el-Oudeid, principale base aérienne des É-U  dans la région sur laquelle se trouve prépositionnés quelque 120  chasseurs bombardiers F-16 et divers autres aéronefs de combat. L’armée  américaine dispose là d’une formidable capacité de « projection » sur  l’ensemble du Proche-Orient, le Bassin de la Mer Caspienne et l’Asie  centrale… C’est à partir d’El Oudeid que les É-U ont, en mars 2003,  bombardé l’Irak. Le Qatar est donc, à ce titre et de toute évidence, un  État de première ligne dans la stratégie de conquête et suprématie  holistique conduite depuis 1991 par les ÉUA 4.
Une politique fourre-tout d’influence tous azimuts...
« L’émir  n’est pas un grand démocrate, mais il a été parmi les premiers [dans le  monde arabe] à comprendre qu’il fallait aller dans le sens de  l’histoire ». Anonymous!
Alors, Doha s’efforce, avec  l’aide assidue du Département d’État, de mener un jeu diplomatique  subtil consistant à être dans tous les camps simultanément. En février  2010, le Qatar signe un pacte de défense avec la Syrie et l’Iran et se  fait le tour operator avec le président syrien Bachar el-Assad - contre  lequel l’Émirat conspire activement à l’heure et militairement parlant —  de la visite triomphale que le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad  fera au Liban en juillet 2010… L’émir s’est quant à lui rendu en Israël  lors d’une visite discrète la même année, en mars selon Wikileaks. En ce  qui regarde les transferts de fonds au profit des organisations  djihadistes [New York Times « Follow the Money » 8 déc.2010] et de tous  les islamistes, des plus modérés aux plus radicaux, tel le parti  tunisien islamiste Ennahda en la personne de son chef Rached Ghannouchi,  le Qatar ferait preuve de beaucoup de laisser-aller, laisser-faire,  pour ne pas parler d’une bienveillante indulgence... « Ici je puis  défendre ma cause sans contrainte… Le Qatar m’assure une liberté  d’action et une large couverture médiatique internationale » dira le  fondateur du FIS algérien, Abassi Madani, réfugié à Doha depuis 2003 et  souvent reçu au palais. Qui ne doute d’ailleurs que l’Algérie à bout de  souffle ne perde rien pour attendre?!
Égypte, Tunisie, Libye, Syrie... un rôle central dans les révolutions arabes
Lors de la révolution de palais de 1995, les gardes du corps égyptiens qui assuraient la protection rapprochée de l’émir déchu s’étaient vilainement battus jusqu’au bout. Al Thani s’est alors convaincu qu’ils avaient suivi des ordres pris au Caire… Hosni Moubarak sera par conséquent la première cible de l’Émirat à l’heure des révoltes arabes. De son côté, le Raïs égyptien Moubarak n’appréciait guère que le Qatar multiplie les missions de bons offices au Liban ou au Soudan, sa chasse gardée diplomatique. Dès les premières émeutes populaires au Caire, Al-Jazira prend fait et cause pour la foule. Au fait des méthodes et techniques éprouvées empruntées aux journalistes occidentaux, les correspondants d’al-Jezira gonflent outrageusement le nombre des manifestants et la violence de la répression, suscitant un surcroît de colère et de révolte dans les opinions publiques arabes par le truchement de son auditorat… Le prédicateur islamiste, vedette de la chaîne, l’Égyptien Youssef al-Qaradawi, exilée à Doha depuis cinq décennies, animateur de l’émission à très large audience « La Charia et la Vie » excite alors les foules à bouter dehors le « Pharaon »... La messe est dite!
Passons  rapidement sur la Tunisie. Une chose est certaine : le financement  d’Ennahda, nouveau parti islamiste au pouvoir par le Qatar est un secret  de Polichinelle. Le 2 janvier dernier, Rached Ghannouchi son chef — qui  se déplace considérablement sans excepter les États-Unis of course — et  apporte un soutien sans réserve à la noble cause du Conseil national  syrien — était à nouveau reçu au Qatar appelé à lui fournir les moyens  nécessaires pour « que la Tunisie nouvelle puisse devenir un exemple en  matière de progrès et de démocratie authentique sur la base des valeurs  de l’Islam et de ses enseignements ». Pourquoi pas, mais que ce message  soit envoyé depuis le Qatar, bastion du radicalisme wahhabite, laisse  quand même songeur, pour ne pas dire pantois!
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| Le général Hamad ben Ali al-Attyiah | 
Pour ce qui est de la Libye, le cas est exemplaire. Selon le Figaro 6 novembre 2011, Doha aurait engagé 5000 commandos des Forces spéciales qataries sur le front libyen! Il ne s’est donc pas agi d’un soulèvement populaire, voire d’une cruelle guerre civile, mais bien – comme tout le laissait supposer — d’une intervention armée extérieure et d’une guerre sans uniforme! « Chargées d’épauler les rebelles, les troupes de Doha se sont d’abord déployées à Tobrouk puis ensuite à l’ouest dans le djebel Nefoussa, où le chef d’état-major qatarien, le général Hamad ben Ali al-Attyiah, s’est rendu à plusieurs reprises ». La participation du Qatar au cours de l’intervention menée contre la Jamahiriya libyenne, aura été ainsi particulièrement plus conséquent qu’avoué et ne se sera pas limité au soutien logistique et aérien revendiqué de prime abord… l’émirat ayant mis quand même à disposition de l’OTAN huit Mirages 2000 sur les douze qu’ils possèdent! Mais les guerres modernes ne sont-elles pas avant toute chose, voire essentiellement, des guerres du mensonge, ne serait-ce que par omission?
D’après d’autres sources  [27-12-2011 Le Nouvel Observateur] : « Les Qatariens sont arrivés avec  des valises remplies d’argent, ce qui leur permit de retourner des  tribus », ajoutons de recapitaliser les groupes et factions djihadistes  [notamment les surgeons du Groupe islamique combattant en Libye - GIGL]  en sommeil depuis leur répression par Kadhafi il y a une petite dizaine  d’années, mais dont certains éléments libérés en 2008 on joué un rôle  central dans la chute de la Jamahiriya, tel Abdelhakim Belhaj, chef de  troupes de choc qui firent tomber Tripoli, puis commandant militaire de  la capitale libyenne avant de partir – selon toute vraisemblance 5.
Dans  un entretien accordé à la chaîne panarabe Al Arabiya, le président  démissionnaire du bureau exécutif du Conseil national de transition  libyenne, Mahmoud Jibril, avait corroboré que les pétrodollars qataris  avaient servi à alimenter « les rivalités et les motifs de désaccords  existant entre les rebelles et les divers courants gérant l’après  Kadhafi, dans le but explicite de diviser et de monter les uns contre  les autres les frères libyens » 6. Au total ce sont 400 millions de $  qui auraient été versés par l’émirat. Quand on aime, on ne compte pas!
Pour ne pas conclure sur le très  sanieux chapitre libyen, il s’agit de garder en mémoire que les Qataris  ont largement favorisé, approvisionné et abondé les groupes islamistes  7. Dans le Djebel Nefoussa, au sud de Tripoli, les Moukhabarat, les  services spéciaux qataris en liaison directe avec leur Cheikh, ont  présidé à la distribution très sélective des missiles antichars  généreusement offerts par la France. Ce n’est pas moins de neuf  cargaisons qui furent ainsi réparties au seul profit des combattants  islamistes. Une partie des armes devait par la suite s’évanouir dans la  nature en complément des « 10 000 missiles sol-air » engloutis dans les  sables libyens selon l’amiral Giampaolo Di Paola, chef du Comité  militaire de l’OTAN assurant la coordination entre les différents  états-majors opérationnels en Libye.
Or, à présent, c’est le Qatar —  qui sait apparemment à merveille tirer les marrons du feu — qui a pris  le relais de l’OTAN sur le sol libyen, en assurant la suite des  opérations puisque contrairement à ce que n’en dit pas la grande presse,  la situation y est encore loin d’être complètement stabilisée… État de  fait qui confirme indirectement le rôle central que le Qatar a occupé  dans le déroulement des opérations d’une guerre qui n’a jamais dit son  nom 8!
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| Israël - Qatar | 
Désormais, il sera  parfaitement loisible de voir dans le Qatar un « acteur majeur » de la  scène orientale et plus encore, à travers les liens politiques et  économiques tissés avec la France, un protagoniste de l’espace  euroméditerranéen. « Un cas unique! Nous avons assisté à la naissance  d’une puissance régionale de la taille d’une tête d’épingle » s’était  exclamé le chantre belliciste Bernard-Henri Lévy… et même une  « puissance internationale » faudrait-il ajouter en tant que — ultime  ratio — bras armé du Pentagone et agitateur au service du Département  d’État dans les banlieues du Tiers-Monde hexagonal.
Reste qu’il est parfaitement  cocasse – et pas uniquement pour les esprits chagrins – de voir une  monarchie réellement absolue, animée par un puritanisme religieux  fanatique, œuvrer au triomphe de la démocratie… ou de ce que l’on nomme  tel !
Source Mondialisation
Notes
4) Le Qatar hébergeait également  le « CentCom », à savoir le commandement opérationnel ayant supervisé  l’invasion de l’Irak. Quant au nombre de militaires américains  stationnés au Qatar, ils seraient plus de 10 000 hommes, dont 5 000  présents sur la base d’el-Oudeid !
(5) cf. Réseau Voltaire - combattre avec l’Armée syrienne Libre contre le nationalisme arabe et laïc de Syrie
(6) 18-11-2011 Alger. Le Temps « Mahmoud Jibril accuse le Qatar d’alimenter la zizanie »
(7) A commencer par ceux  d’Abdelhakim Belhaj, d’Ismael Salabi, la Katiba des Martyrs d’Abu Salim,  dirigée par Abu Sofiane Qumu, un ancien de Guantanamo ou encore la  Katiba Obaida Ibn Jarrah, soupçonné d’avoir assassiné, le 27 juillet  2011, le général Abdul Younes. Cf. Ibid. NouvelObs
(8) Slate Afrique 07/12/2011
À lire:
Un article de Jonathan Steele 
« Les Syriens sont une majorité à soutenir le président Assad, mais ce n’est pas des médias occidentaux que vous pourriez l’apprendre »
« Les Syriens sont une majorité à soutenir le président Assad, mais ce n’est pas des médias occidentaux que vous pourriez l’apprendre »
Source Silvia Cattori
lu sur l'excellent site de Serge Adam que nous remercions.



 


 
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