Rencontre avec Samir Amin :: « Washington ne veut pas libérer la Syrie, mais l’affaiblir »
Ces dernières semaines, le conflit syrien a été sous le feu des projecteurs. À Tunis, les autoproclamés « Amis de la Syrie » se sont réunis pour augmenter la pression sur le gouvernement de Bachar el-Assad. Nous avons demandé à l’économiste marxiste franco-égyptien Samir Amin de nous aider à mieux comprendre cette actualité brûlante.
Un peu d’histoire, d’abord. Samir Amin rappelle que, dans un passé lointain, le régime de Hafez el-Assad (le père du président actuel, NdlR) jouissait d’une grande légitimité. Il faisait partie de la famille des régimes nationaux populaires dans la région, avec les gouvernements du FLN en Algérie et de Gamal Abdel Nasser en Égypte. Il combinait une attitude anti-impérialiste avec un développement autonome et un progrès social. Mais cette légitimité a été graduellement perdue. Un État policier et répressif s’est peu à peu installé et, d’une politique de progrès social, il est passé à des concessions au capitalisme néolibéral, avec des inégalités sociales croissante.
Ainsi, selon Samir Amin, les protestations contre le régime de Bachar el-Assad ont une légitimité. Mais, contrairement à ce qui était le cas en Égypte et en Tunisie, on ne peut pas parler d’une révolte populaire généralisée. La population s’est prononcée, lors d’un référendum, pour une nouvelle constitution, plus démocratique. Mais ça n’a pas pu être le cas partout : à Homs, la violence n’a pas faibli, et la Croix-Rouge n’a eu que de courts intervalles pour évacuer les blessés. Une partie importante de la population continue à soutenir Assad, tandis que l’opposition est divisée en groupes islamistes, groupes armés et forces démocratiques.
L’excuse des Droits de l’homme
« Des fractions de cette opposition sont clairement instrumentalisées par les pays occidentaux impérialistes, affirme Samir Amin. Que l’Occident veuille apporter la démocratie et promouvoir les Droits de l’homme en Syrie, c’est du blabla. La destruction de la Syrie constitue l’objectif des trois partenaires que sont les États-Unis, Israël et l’Arabie Saoudite. Parce qu’un grand pays arabe fort doit nécessairement être anti-impérialiste, comme l’était l’Égypte de Nasser. »Pour contrer cette tendance, ces pays mobilisent les Frères musulmans, et leur procurent même des armes. Selon Samir Amin, « leur victoire éventuelle – avec l’intervention militaire étrangère ou sans elle – produirait l’éclatement du pays et le massacre d’Alaouites, de Druzes et de chrétiens (trois minorités qui, en général, continuent à soutenir le gouvernement d’Assad, NdlR). Mais qu’importe ? L’objectif de Washington et de ses alliés n’est pas de libérer la Syrie de son dictateur, mais d’affaiblir le pays. Tout comme le but n’était pas de libérer l’Irak de Saddam Hussein, mais de détruire le pays. Une intervention militaire étrangère ne serait qu’une catastrophe supplémentaire pour la population. »
L’économiste y voit par ailleurs un plan plus vaste des États-Unis pour briser l’axe Iran-Syrie-Hezbollah (Liban)-Hamas (Palestine) : « Washington veut détruire cet axe et remplir le vide ainsi créé par son contrôle militaire. »
« La seule solution démocratique passerait par des réformes substantielles au bénéfice des forces populaires et démocratiques qui existent et refusent de se laisser enrôler par les Frères musulmans. Si le régime est incapable de le comprendre, rien n’arrêtera ce drame, poursuit Samir Amin. Il est amusant de savoir que ce sont désormais l’émir de Qatar et le roi d’Arabie Saoudite qui sont les champions de la promotion de la démocratie (chez les autres). Difficile de pousser la farce plus loin ! »
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