Guerre des services secrets à Bagdad
par Gilles Munier
Amitiés Franco-Irakiennes –
(novembre 2009)
L’Irak est un champ de bataille entre services secrets. Une bonne quinzaine y crée un climat de terreur à coups de black ops et psy ops, sans considération pour le nombre de victimes civiles. A côté des principaux : l’Iraqi National Intelligence Service (INIS- pro américain) et le ministère de la Sécurité nationale (MNS- pro iranien), on peut citer dans le désordre ceux du ministère de l’Intérieur, de la Défense, l’Asayish kurde - dans les régions de Ninive, de Kirkouk et de Diyala - et ceux des milices arabes ou kurdes. Les plus venimeux sont ceux de la Brigade Badr « dissoute » et de l’Iraq Special Operations Forces (ISOF– pro américaine), surnommée « la Sale Brigade », passée récemment sous les ordres de Nouri al-Maliki. A cette liste, il faut ajouter les agences américaines – CIA en tête –, le Vevak iranien et les Forces al-Qods des Gardiens de la Révolution, qui tirent la plupart des ficelles. Dans cette guerre de l’ombre, la résistance n’est pas en reste, constituée dés l’origine de cadres de l’ancien Iraqi Intelligence Service actifs dans les organisations de libération, ou « dormants » dans les structures étatiques, attendant de passer à l’action.
La main des Gardiens de la Révolution
Les attentats au camion piégé du 19 août contre les ministères des Affaires étrangères et des Finances sont un révélateur des luttes intestines qui secouent le régime à l’approche des élections législatives, fixées au 16 janvier 2010. Al-Maliki pensait les remporter haut la main, fort d’un soi- disant bilan positif : départ des troupes d’occupation, amélioration de la sécurité … etc … et comptait modifier dans la foulée la constitution et instaurer un régime présidentiel. Le 18 août, à Damas, il avait parlé coopération avec le président Bachar al-Assad et remis une liste de résistants à expulser… copie conforme de celle communiquée par les Américains à la Syrie deux mois plus tôt ! Et puis, « Boum ! » : 100 morts et 500 blessés en pleine Zone verte, parmi lesquels 10% des fonctionnaires des Affaires étrangères, lui ont coupé les ailes.
Depuis, al-Maliki marche sur des œufs. Le général al-Shahwani, patron de l’INIS, lui a présenté des preuves de l’implication des services secrets iraniens dans le carnage, accusation confirmée par le général Abdul-Karim Khalaf, porte parole du ministère de l’Intérieur. L’explosif employé, du C4, est une des signatures des Forces al-Qods. Le 31 août, sur Al-Jazeera, le prince Ali bin al-Hussein, prétendant au trône d’Irak, affirmait que les Irakiens pensent que l’ISCI (Conseil suprême islamique en Irak) en est l’auteur ou, en d’autres termes : la Brigade Badr, son bras armé créé par les Gardiens de la Révolution … Même si, plus tard, « Al-Qaïda en Mésopotamie », dont c’est également le mode d’action, a revendiqué les attentats, on sait à Bagdad que l’organisation a trois têtes, dont deux soutenues par l’Iran.
La réaction d’al-Maliki fut rapide, et aberrante pour ceux qui le croient libre de toute attache avec Téhéran. Passe encore qu’il exige les démissions d’al-Shahwani et de Khalaf, le contrat du premier arrivait à son terme. Affronter Khalaf - qui refuse de quitter son poste - n’avait d’autre intérêt que d’embarrasser Jawad al-Bolani, ministre de l’Intérieur, possible rival aux législatives. Mais s’en prendre contre toute logique à la Syrie, demander au Conseil de sécurité l’ouverture d’une enquête internationale, et accuser le courant baasiste irakien plutôt modéré de Younis al- Ahmad, réfugié à Damas, c’était inattendu, mensonger, déloyal.
Al-Maliki en difficulté
La marge de manœuvre d’al-Maliki est étroite. Le président Obama le soutient, croyant qu’il facilitera le retrait sans casse d’environ 80 000 GI’s sur les 130 000 occupant l’Irak. Dans cette perspective, il demande de remplacer al-Sahwani par un de ses protégés. Le n°2 de l’INIS assure l’intérim mais al-Maliki voudrait nommer à sa place son chef de cabinet, Tarik Najem Abdallah, pour parer aux coups tordus qui vont fleurir d’ici les élections. De leur côté, les mollahs iraniens ont, comme toujours, plusieurs fers au feu. Ils jouent la carte al-Maliki, ne lui laissant que la tête hors de l’eau. Pour eux, l’Irak doit demeurer une zone de turbulence tant que la déstabilisation de leur régime sera d’actualité. La capacité des agents à changer de rôle ont pris al-Maliki de court: l’Alliance Nationale Irakienne (INA), coalition chiite concurrençant la sienne, comprend Ammar al-Hakim (ISCI) et Moqtada al-Sadr qui parle maintenant de réconciliation nationale ; et Shirwan al-Wa’ili, l’ombrageux ministre de la Sécurité, ne cache pas qu’accuser la Syrie est une erreur.
Al-Shahwani et l’INIS, service secret made in USA
Pratiquement inconnu avant sa tentative de coup d’Etat en 1996, le général Muhammad Abdallah al-Shahwani est un Turcoman de la région de Ninive, titulaire d’une médaille d’or de décathlon gagnée en 1963 à Djakarta, ancien élève de l’US Army Ranger School qui s’est illustré au Kurdistan pendant la guerre Iran-Irak, à la tête d’une unité d’hélicoptères de la Garde Républicaine. Arrêté en 1989, soupçonné d’entretenir des relations avec la CIA, libéré faute de preuves suffisantes, il fit défection en 1990, trois mois avant l’entrée des troupes irakiennes au Koweït.
A partir de la première guerre du Golfe, la CIA s’appuya sur lui pour constituer un réseau d’informateurs, puis pour renverser le président Saddam Hussein. Un soulèvement militaire – nom de code DBACHILLES - fut organisé en collaboration avec Iyad Allaoui, futur Premier ministre et agent du MI6 britannique. Infiltrés, les comploteurs furent arrêtés en juin 1996 et exécutés, notamment les trois fils d’al-Shahwani, officiers dans la Garde Républicaine, à qui ce dernier avait transmis, sans précaution, un téléphone satellitaire Thuraya. Pas découragé, le général poursuivit son travail de sape. Il prit la tête, en mars 2003, d’un réseau clandestin appelé « 77 Alpha », puis « Les Scorpions ».
Après la chute de Bagdad, les Etats-Unis regroupèrent leurs espions dans un embryon de service de renseignement : le CMAD (Collection, Management and Analysis Directorate). Puis, en décembre 2003, ils créèrent l’Iraqi National Intelligence Service (INIS). L’agence, formée et financée par la CIA, n’avait de compte à rendre ni au Parlement ni au gouvernement irakien. Nommé à sa direction, al-Shahwani enrôla d’anciens membres des services spéciaux, notamment ceux chargés d’espionner l’Iran et la Syrie, si bien que le Premier ministre al-Maliki, visitant le siège de l’INIS, se vit interdire l’accès aux étages qu’ils occupaient. Les « shahwanis », nom donné à ses troupes de choc, sont particulièrement haïs par la résistance qui les a affrontés à la bataille de Falloujah en novembre 2004, et qui leur attribue un certain nombre de tueries perpétrées dans la tradition des escadrons de la mort pro américains en Amérique latine.
Pour qui roule Shirwan al-Wa’ili ?
Le choix de Shirwan Kamel Sebti al-Wa’ili pour diriger un service de renseignement concurrent de l’INIS, demeure mystérieux. En avril 2003, il était encore proche collaborateur d’Ali Hassan al-Majid, cousin du président Saddam Hussein, surnommé par les occidentaux « Ali le Chimique ». Sa désignation par les Américains pour gouverner Nassiriya occupée, serait due à un concours de circonstances. On dit que les Marines auraient découvert un dirigeant baasiste bagdadi au domicile du cheikh Ali al-Minshid, chef de la tribu Ghizzi. De l’interrogatoire qui suivit, les officiers de renseignement américains déduirent qu’il fallait nommer à la tête du conseil municipal un Irakien capable d’enrayer le bain de sang annoncé si Saddam était renversé. Le baasiste leur dit qu’un certain al-Wa’ili, de ses amis, était l’homme de la situation. Le marché fut vite conclu.
Malgré son prénom kurde, al-Wa’ili est Arabe. Tout laisse supposer que son grand père Sebti était un Kurde féli, c’est à dire chiite, ayant intégré une tribu du sud irakien au début du 20ème siècle. Toujours est-il qu’après sa nomination, al-Wa’ili fit une carrière fulgurante. Il adhéra au parti al-Dawa sans difficulté : son frère en était un des représentants aux Etats-Unis. Sa cote au sein du nouveau régime ne cessa ensuite de progresser ; en Iran aussi, grâce à ses relations avec Abou Mahdi al-Muhandis (L’Ingénieur), auteur d’un attentat contre l’ambassade de France à Koweït en 1983, chef du Hezbollah irakien, et surtout conseiller des Forces al-Qods. Cela expliquerait sa promotion à la direction de la province de Dhi Qar, son élection au Parlement, et enfin sa nomination au poste de ministre de la Sécurité nationale. En 2006, lorsque le Premier ministre al-Maliki, également proche de « L’Ingénieur », décida de créer un rival de l’INIS, c’est al-Wa’ili qui hérita du poste. Mais rien n’est simple dans le monde du renseignement, et encore moins en Irak : les Américains ont démantelé le département anti-iranien de l’INIS et considèrent al-Wa’ili comme un homme de confiance…
Rédaction et traduction : Gilles Munier, Xavière Jardez
Courriel : gillesmunier8639@neuf.fr - Portable : 06 19 74 45 99
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