16 mars 2011

Fukushima remet la question en débat: L'Algérie doit-elle laisser tomber le nucléaire ? 
 
par Salem Ferdi 
Le quotidien d'Oran

L'accident nucléaire de Fukushima, dont l'évolution est incertaine, constitue un évènement politico-industriel d'une portée considérable.

Il intervient dans un contexte où l'accroissement de la demande en énergie avait affaibli, en Europe, les écologistes et tous ceux qui appelaient à sortir du nucléaire. Les défaillances enregistrées au Japon, pays qui a des exigences de sécurité maximale, ont redonné de la voix aux antinucléaires. L'industrie du nucléaire crie à l'exploitation de «l'émotion», cela n'empêche plus que la question de la «sortie du nucléaire» est posée avec force. Ce thème de la «sortie» n'a pas de sens pour l'Algérie et les autres pays du Maghreb puisqu'ils n'y sont pas entrés. Mais les sinistres nucléaires japonais obligent les Algériens, tout comme les Tunisiens, les Marocains ou les Egyptiens, à se poser une question voisine: doit-on faire notre entrée dans le nucléaire ? Il ne s'agit plus d'une question théorique. L'Algérie, la Libye, la Tunisie et le Maroc projettent de développer une industrie électronucléaire. Des accords-cadres ont été signés avec des pays fournisseurs potentiels. Si des choix industriels n'ont pas encore été opérés, les projections des uns et des autres, si elles sont suivies d'effets, verraient l'apparition de centrales nucléaires au Maghreb dans un horizon moyen de 10 à 20 ans. Les motivations des Etats sont connues : assurer la relève de l'après-pétrole et du gaz dans le cas de l'Algérie et la Libye, répondre aux besoins énergétiques pour la Tunisie et le Maroc. Les quatre pays ont multiplié les accords-cadres pour la formation ou des accords sur l'étude de faisabilité et du financement de centrales nucléaires.

Une centrale tous les cinq ans !


La première centrale nucléaire en Algérie est projetée pour 2020. L'ancien ministre de l'énergie Chakib Khelil avait même annoncé qu'à partir de 2020, une centrale nucléaire sera construite tous les cinq ans. Globalement, les pays maghrébins se projettent dans le même horizon de 2020-2024. Il faudra remarquer, par exemple, que l'Algérie a fait l'objet de campagnes médiatiques régulières et de procès d'intentions au sujet de ses deux réacteurs expérimentaux, Nour, qui se trouve à Draria (2 mégawatts) et Essalam à Aïn Oussera (15 mégawatts). De manière régulière, des articles de presse israéliens et occidentaux jetaient le soupçon sur les « intentions » de l'Algérie. Désormais, ce pays, hier presque aussi « suspect » que l'Iran, est sollicité et fait l'objet du rentre-dedans : on veut lui vendre des centrales. La France, à la politique commerciale nucléaire particulièrement active, pour ne pas dire agressive, veut d'ailleurs être le grand pourvoyeur de technologie nucléaire du Maghreb. Le président français Nicolas Sarkozy a d'emblée entamé son mandat en se faisant le grand défenseur d'une « prolifération » tout à fait conforme aux intérêts d'Areva qui veut capter le tiers du marché des centrales dans le monde. Bien entendu, ce sont les besoins des pays du Sud qui sont mis en avant ainsi que des impératifs de sécurité. « Si on ne donne pas l'énergie du futur aux pays du sud de la Méditerranée, comment vont-ils se développer ? Et s'ils ne se développent pas, comment on va lutter contre le terrorisme ? ».

Suspicion durable

La suspicion aurait-elle cédé la place à la confiance ? En réalité, même si les enjeux économiques importants justifient cette politique de promotion des centrales nucléaires françaises au sud de la Méditerranée, le président français a introduit lui-même un verrou qui ne peut que perturber ceux qui réfléchissent en terme de souveraineté. Le président français a évoqué dans ce cadre « un système permettant de désactiver une centrale nucléaire depuis l'extérieur » en cas de «crise». Acheter une centrale nucléaire «clés en main», alors que les vraies clés, celles qui permettent de la réduire à un état de carcasse inutile, se trouveraient ailleurs, voilà qui introduit un élément fondamental d'insécurité et de dépendance à l'égard du fournisseur. Cela était en soi matière à débat. L'Algérie, à juste titre, estime que la maîtrise de la technologie nucléaire est un droit non négociable. Poursuivre la recherche en vue de cette maitrise est justifié. Mais s'engager dans un proche avenir dans l'acquisition de centrales nucléaires n'est plus une évidence avec ce qui se passe au Japon. Si les Européens se reposent la question du sortir du nucléaire, ce serait absurde de ne pas soulever la question de la pertinence pour l'Algérie comme pour les pays voisins d'y entrer. La crise japonaise risque de créer une suspicion durable à l'égard de la filière nucléaire et suscitera un élan renforcé des énergies renouvelables. L'Algérie dispose dans ce domaine d'atouts considérables. Pourquoi consacrer de lourds investissements dans des centrales nucléaires à haut risque alors qu'on peut les orienter utilement vers le solaire ou l'éolien ?

Nos ressources fossiles et notre potentiel en matière d'énergie renouvelable nous permettent de ne pas nous précipiter. Il n'est pas utile de se lancer dans l'acquisition de centrales nucléaires dans les prochaines décennies. Ce qui se passe au Japon devrait nous pousser, nous Algériens, comme nos voisins marocains et tunisiens, à repousser au plus loin, à plus de sécurité, les choix dans ce domaine. Quitte à doter les petites centrales expérimentales qui existent au Maghreb de moyens plus conséquents pour permettre le développement accentué d'une technologie stratégique…

merci à Mehdi qui nous a signalé cet article

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