21 mars 2011

« Obama n’a pas compris »

dimanche 13 mars 2011 - 06h:55
Lamis Andoni




Si des gouvernements démocratiques se forment au Moyen-Orient, ils ne seront pas aux ordres de Washington. 
 
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Obama semble s’imaginer que les nouveaux gouvernements dans la région seront obligatoirement des alliés des Etats-Unis - Photo : Gallo/Getty

 Barack Obama, le président américain, n’a pas encore saisi l’essence des révolutions en cours dans le monde arabe. En fait il semble sincèrement croire que les gens qui manifestent pour la démocratie dans la région le font en faveur de l’Occident, voire d’Israël.
Comme il l’a récemment déclaré devant des démocrates en Floride, « toutes les forces que nous voyons à l’œuvre en Egypte sont des forces qui devraient naturellement s’aligner sur nos positions et celles d’Israël - si nous prenons maintenant les bonnes décisions et si nous comprenons le sens du vent de l’histoire. »
Je ne sais comment Obama en est venu à cette conclusion, mais soit il est terriblement mal informé, soit il prend vraiment ses désirs pour la réalité !
Ses déclarations font toutefois écho aux estimations de bon nombre d’experts américains dont certains se sont félicités du fait que les slogans anti-israéliens ou anti-américains n’ont pas dominé dans les récents soulèvements. Il est exact que les manifestants ne se sont pas focalisés sur Israël.
Mais dire que ces forces pourraient être les alliés naturels d’Israël et de l’Occident c’est sauter à pieds joints dans une analyse inadaptée de la situation. Le président américain se livre à une lecture erronée du message des manifestants arabes,
Une réécriture de l’histoire
De la Tunisie à l’Egypte et à Bahreïn, et en bien des endroits intermédiaires, les manifestants ont appelé à la constitution de gouvernements libres et responsables. Des décennies d’amères expériences leur ont montré que des gouvernements non représentatifs sont souvent prêts à accepter - ou au mieux incapables de résister à - la soumission à l’Occident, et en particulier aux diktats économiques et politiques de l’Amérique.
En 1979, le traité de paix entre Israël et l’Egypte, par exemple, n’a pas été signé par un gouvernement arabe démocratique mais conclu en dépit d’une forte opposition - qui persiste encore aujourd’hui - au sein de la plus grande nation du monde arabe. De la même manière, il est inconcevable de penser que les Accords de Camp David auraient été signés si cela avait été l’affaire du peuple qui, pas découragé par l’alliance des gouvernements égyptiens successifs avec Washington et leurs liens étroits avec Israël, continua à s’opposer à toute tentative d’imposer une normalisation des relations avec Israël.
Au fil des années, les Egyptiens ont montré de façon répétée - par leurs manifestations, leurs médias et même leur cinéma - leur opposition aux politiques américaines dans la région et aux agressions israéliennes contre les Palestiniens.
Aujourd’hui cependant, certains analystes, des officiels et d’anciens officiels américains cherchent à réécrire l’histoire - et, probablement, dans un effort pour s’en convaincre eux-mêmes - en claironnant que l’hostilité à Israël n’était qu’un sous - produit des efforts du régime Moubarak pour détourner l’attention de ses propres vices. Un chroniqueur du Washington Post, Jackson Diehl, a même reproché à l‘ancien gouvernement égyptien d’avoir délibérément maintenu une paix froide avec Israël et parfois défié les Etats - Unis. « Imaginez une Egypte qui s’oppose avec constance à l’Occident dans les rencontres internationales tout en menant une campagne incessante contre Israël. Un gouvernement qui sème dans ses medias un ignoble antisémitisme, verrouille ses relations avec Israël dans une paix froide et prend l’habitude de rejeter toute « ingérence » américaine dans ses affaires. Un régime qui autorise le Hamas à importer des tonnes de munitions et des roquettes iraniennes dans la Bande de Gaza », voilà ce qu’écrivait Diehl à propos du régime Moubarak dans un article du 14 février.
Diehl semble penser qu’une Egypte démocratique sera plus amicale avec les Etats-Unis et Israël qu’une dictature qu’il juge insuffisamment coopérative. Condoleeza Rice , la précédente secrétaire d’état américaine, a soutenu la même idée : la peur qu’avait Moubarak de la « rue arabe » l’a empêché d’assumer pleinement les positions américaines sur le conflit israélo-palestinien.
Mais Rice et d’autres ne semblent pas réaliser que, en dépit du fait que leurs déclarations le reconnaissent implicitement, les supposés défauts de Moubarak n’étaient que le reflet d’un constat qu’il faisait : l’impossibilité d’aller plus avant dans son soutien aux Américains sans provoquer la colère populaire.
Les régimes arabes ont toujours cherché à apaiser l’opposition en soutenant du bout des lèvres la cause palestinienne, parce qu’ils en comprennent l’importance dans la psychologie arabe. Et, du fait que les révolutions ont révélé que cette tactique ne permet plus d’endiguer l’opposition, il est faux de soutenir que la nouvelle humeur arabe est d’une certaine façon compatible avec une attitude plus amicale à l’égard d’un pays qui continue à occuper la terre palestinienne et en déposséder le peuple palestinien.
Définir la démocratie
Ce genre de mauvaise lecture de la situation ne découle pas des faits mais d’une approche de l’Orient qui a longtemps dominé la pensée américaine et de larges secteurs des medias de ce pays.
Dans la culture politique dominante aux Etats-Unis, soutenir Washington est synonyme de démocratie, tandis que s’opposer à la vision américaine et à Israël ne peut être que le fait d’une « pensée captive » rétrograde, Selon cette perspective, une mentalité de victime imaginaire nourrit « haine » et résistance à Israël.
Mais, en fait, c’est cette manière de penser qui est totalement anti-démocratique. Si nous acceptons l’idée que les valeurs démocratiques sont des valeurs universelles et s’éloignent d’une interprétation ethnocentrique occidentale, nous en déduirons que le rejet de l’occupation est totalement cohérent avec les idées de liberté et de dignité humaine - deux composantes reconnues comme intégrales de la pensée démocratique. Le rejet de la discrimination raciale est un pilier de la croyance en la liberté : il en va de même du refus d’accepter l’occupation israélienne et américaine de pays arabes et la soumission de peuples arabes.
Ainsi, tant qu’Obama ne parle pas de mettre fin à l’occupation américaine en Irak et israélienne en Palestine, pourquoi s’imaginerait-il que les révolutionnaires arabes qui se sont levés contre leurs oppresseurs seraient des alliés naturels pour les Etats-Unis ?
Mais certains officiels et experts américains sont à la recherche de toute interprétation qui leur permettrait de dissocier leur soutien à l’occupation de leurs relations avec le monde arabe. En déclarant que la question palestinienne n’est plus au cœur de la pensée arabe ils s’imaginent que les Etats-Unis peuvent tout simplement imposer une « solution » qui garantira l’hégémonie israélienne sur la région et coupera court à toute acceptation du droit des Palestiniens à l’autodétermination.
Ceux qui, à Washington et à Tel-Aviv, ont cherché à minimiser le rôle de la cause palestinienne dans la politique arabe seraient bien avisés de lire un article du fameux blogueur et activiste égyptien Hossam el-Hamalawy paru dans le Guardian, dans lequel il soutient que ce sont les manifestations de solidarité avec l’Intifada palestinienne en 2000 et les protestations contre la guerre en Irak en 2003 qui ont servi de précurseurs à la révolution égyptienne.
Le fantasme selon lequel les mouvements contre les injustices de la dictature et l’injustice de l’occupation vont se contredire, d’une certaine manière, n’est que le reflet d’une grave mésinterprétation des sentiments des masses arabes - aussi longtemps qu’Obama, bien sûr, espère simplement utiliser ce raisonnement tordu pour justifier la perpétuation d’une politique tout aussi viciée dans la région.

* Lamis Andoni est analyste et commentatrice pour le Middle Eastern and Palestinian Affairs (Les vues exprimées dans cet article n’engagent que l‘auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale d’Al-Jazeera).

De la même auteure :

9 mars 2011 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction de l’anglais : Mikâ’il

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