« Gardons-nous des idoles de pacotille »
Posté par René Naba le juil 14 2011.
Il a suffi d’un papier journalistique, signé René Naba sur son blog, pour que les trois spécialistes attitrés du Monde arabe en France se déchirent. D’emblée, dans l’article qui a suscité la polémique, intitulé «Les thuriféraires libanais de la dictature Ben Ali sur le grill tunisien», Naba écrit : «La singularité de la France, qui confine à la spéciosité, a été de confier à des Maronites libanais la responsabilité du dispositif médiatique français à destination du monde arabe, le plus souvent en raison de sa serviabilité à l’égard du pays hôte et de son empressement à aller au devant des désirs français.» Dans l’entretien qui suit, René Naba a bien voulu nous parler de cette affaire qui a fait tomber les masques de ceux que la France a élus au rang de spécialistes du monde arabe.
Le Jeune Indépendant : En France, Antoine Sfeïr et considéré comme le spécialiste incontournable du Monde arabe. Pourquoi cette polémique avec lui ?
René Naba : C’est le monde à l’envers. Voila un homme qui s’est complètement planté sur la Tunisie qui cherche à rebondir en se drapant dans la dignité du justicier.
Je ne crains pas de croiser le fer. J’en ai rencontré de plus costauds dans ma vie, de plus compétents, que j’ai affrontés sans sourciller, lorsqu’il s’agissait de la dignité de la profession et de l’honneur du journalisme libanais, au rôle si pionnier dans le tiers-monde, devenu la risée de la communauté journalistique universelle du fait du comportement de quelques ambitieux sans scrupules. Je porte aussi le combat au nom d’une certaine éthique journalistique pour éviter la récidive de dérives si préjudiciables à la France et aux relations franco-arabes, pour casser l’idée ancrée dans l’imaginaire collectif que les journalistes arabes de France sont des larbins, en service commandé.
J’ai mal à ma dignité de journaliste d’origine arabe.
Mais Antoine Sfeïr est «LE» spécialiste du monde arabe…
C’est le spécialiste autoproclamé du monde arabo musulman. Le voila qui se mue, manu militari, pour les besoins de sa démonstration et de son recyclage en jurisconsulte du droit de l’alimentation marine peu de temps après avoir pataugé dans les eaux troubles de ses relations avec l’ancienne dictature tunisienne. Antoine Sfeir passera à la postérité pour avoir acté une jurisprudence qui fera date dans les annales du droit, frappant d’interdit de paradis les naufragés.
Contre toute attente, il me poursuit pour avoir écrit un article critique sur les connivences de la classe politico médiatique française avec la dictature tunisienne.
Antoine Sfeir est furieux de qui pourrait être sa ridiculisation publique. Il me poursuit pour avoir écrit «des bonnets d’âne se sont égarés aux abords de la mer d’Oman».
Vous assumez ?
J’ai en effet utilisé cette expression lorsqu’il s’est permis de livrer une explication originale à l’immersion de Ben Laden en mer d’Oman : «Mangé par les poissons, il ne pourra aller au paradis»
En vertu de cette jurisprudence de Antoine Sfeir, les naufragés du Titanic qui ont péri dans des conditions épouvantables, n’auront pas eu droit rétrospectivement au paradis, pas plus que les naufragés de Lampedusa, ni les passagers du vol Paris-Rio d’Air France. Malheur aux naufragés, qui périssent dans des conditions épouvantables, de surcroît voués à l’enfer. Pire, à suivre ce raisonnement, et si l’on pousse à l’absurde ce développement, les poissons qui ont bouffé du Ben Laden seraient ainsi nourris à l’anti-américain et les pêcheurs qui s’en nourriront seront ipso facto des anti-américains primaires. Il est malsain de badiner avec les principes : Un spécialiste qui se trompe lourdement sur l’objet de sa spécialité, qui en a sa rente de situation, se disqualifie ipso facto. Continuer à se prévaloir de cette qualité relève de la supercherie, voire de l’imposture. Antoine Sfeir s’est lourdement trompé sur la Tunisie. Le sens du devoir et de l’honneur lui commande d’en tirer les conséquences de son propre aveu.
D’après les dernières nouvelles, Sfeïr a exigé le retrait du papier en question des sites Internet de Reporters Sans Frontières, Politis… ?
Après l’avoir fait, il se livre à de l’enfumage lorsqu’il déclare à «Reporters Sans Frontières» qu’il n’a réclamé que la suppression du passage de mon papier «Les thuriféraires libanais de la dictature Ben Ali sur le grill tunisien», celui concernant ses rapports financiers avec Ben Ali.
Il cherche à minimiser l’impact de sa démarche de crainte de se couvrir de ridicule. L’assignation comporte en effet près de 96 pages et la liste des griefs est conséquente. Il cherche aussi à dévier le débat sur le fiasco diplomatique résultant de la connivence politico-médiatique française avec les dictatures arabes. La diffamation dont il s’estime victime peut trouver une explication dans le fait que mes analyses sur la situation tunisienne ont mieux résisté que les siennes à l’épreuve des faits. Je n’ai pas été désavoué par les événements. Lui lourdement. Une étude comparative de nos écrits respectifs tant sur la Tunisie que sur l’ensemble des problèmes géostratégiques du monde arabo-musulman pourra nous départager en toute objectivité et confirmer mes propos.
A ce propos, je m’étonne que Ben Ali n’ait pas poursuivi en justice Antoine Sfeir pour ses mauvais conseils. Je confirme avoir été assigné en justice par M. Antoine Sfeir pour diffamation. En quarante ans de journalisme, je n’ai pas fait l’objet de la moindre récrimination. Durant ma carrière, –un journalisme de terrain et non un journalisme de bureau puisque j’ai été correspondant de guerre dans la sphère arabo-musulmane –, j’ai brossé le portrait de plusieurs dizaines de personnalités internationales (arabes, occidentales ou françaises), à l’apogée de leur puissance, de Ben Ali, à Moubarak, à Bernard Kouchner, à Philippe Val, à la dynastie wahhabite au tandem Chirac / Hariri, l’ancien couple vedette de la politique moyen-orientale, sans jamais susciter la moindre plainte. Ecrire une dizaine d’ouvrages, sans la moindre assignation
Le procédé est curieux en ce que la menace de la justice a été brandie avant même qu’il n’use de son droit de réponse. Il me paraît grave et contreproductif qu’un journaliste vise la censure d’un autre journaliste, lui déniant l’usage de la critique, qui est le fondement du débat contradictoire, la sève de la démocratie.
Antoine Sfeïr vous réclame-t-il des dédommagements ?
La somme de vingt mille euros en sus des frais de justice, pose la question de la motivation de la démarche, à savoir laquelle des réparations prévaut chez le plaignant, la réparation morale ou la réparation matérielle. Cela dit, je m’inscris en faux contre les déclarations d’Antoine Sfeir me concernant et ne saurais cautionner le fait qu’il travestisse encore une fois les faits.
A propos précisément de ses rapports d’argent avec le régime tunisien, je n’ai pas éprouvé le besoin d’en parler pour la simple raison qu’il s’est, lui-même, abondamment répandu dans les médias sur cette question pour se justifier.
Bien que je sois animé de l’esprit de confraternité, je ne lui ferais pas la charité de citer les sources mentionnant cette question de son financement. Je les réserverais à la justice où il a choisi de me convoquer pour me faire condamner, dans un procès qui pourrait être le sien.
Bien que je sois animé de l’esprit de confraternité, je ne lui ferais pas la charité de citer les sources mentionnant cette question de son financement. Je les réserverais à la justice où il a choisi de me convoquer pour me faire condamner, dans un procès qui pourrait être le sien.
Le terme thuriféraire est en soi péjoratif !
Je revendique l’honneur d’être le thuriféraire de Ernesto Che Guevara de la Serna et de Gamal Abdel Nasser, Nelson Mandela, Frantz Fanon, voire Aimé Césaire, Patrice Lumumba, et Thomas Sankara. Je n’en rougirais pas tout au long de ma vie. Tout le problème est de savoir à qui l’on tresse des louanges.
Gardons-nous des idoles de pacotille et des thuriféraires de pacotille. Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute.
La leçon vaut pour Ben Ali. Elle vaut aussi pour ceux qui ont conseillé Antoine Sfeir de s’engager dans une voie conflictuelle. Pour savourer le feuilleton.
Entretien réalisé par Samir Méhalla
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire