13 août 2012

Le Hamas à Gaza: les Talibans ou Erdogan?

tunisitri 13 août 2012
 
Le Hamas à Gaza: les Talibans ou Erdogan?

Un peu partout dans le monde musulman, les projets des mouvements islamiques piétinent et accusent un échec flagrant à présenter de nouveaux modèles capables de surpasser ceux des partis et des gouvernements auxquels ils s’opposent. A l’exception de l’expérience des islamistes turcs ou celle d’autres mouvements de moindre importance en Malaisie et en Indonésie, tous les autres se sont enlisés et ont montré leur incapacité à affronter une réalité bien lointaine de leurs idées utopiques et de l’ensemble de l’idéologie sous-tendant leur discours.
A ce niveau, les mouvements islamiques ne font pas exception et les problèmes auxquels ils se trouvent confrontés, tous les mouvements idéologiques les ont connus et affrontés. Le défi permanent de toute philosophie politique, de toute idée et de toute théorie réside dans son rapport à la réalité, son succès ou son échec à concrétiser ce qu’elle prône.
Le rapport d’un mouvement idéologique à la réalité est l’objet permanent de la recherche, de l’analyse, de l’étude et de la méditation. C’est tantôt un rapport de confrontation directe et tantôt un rapport de négociation permanente, conduisant à de nouvelles interprétations, de nouvelles exégèses et des révisions des fondamentaux idéologiques, pouvant servir la réalité elle-même.
Dans la plupart des cas, les mouvements idéologiques ne réussissent pas à créer un rapport de négociation positif avec la réalité parce qu’ils sont obnubilés par le souci de changer tout de fond en comble, ce qui les incité au radicalisme et à l’extrémisme et, dans le cas de la maîtrise du pouvoir, cela conduit rapidement à la constitution de régimes totalitaires (communistes, baathistes, islamistes et autres).
Le souci majeur du pouvoir dans un régime totalitaire est la reproduction d’individus conformes, en tous points au modèle idéologique préétabli: une sorte de clonage. Il se pratique alors une politique usant de procédés coercitifs, directs ou indirects dans le dessein manifeste de faire plier l’ensemble de la population aux exigences de l’idéologie. Dans la plupart des régimes totalitaires, l’autorité au pouvoir a tendance à imposer aux individus un modèle unique de conduite sociale, de tenue vestimentaire et de pensée. Ce phénomène s’accentue et conduit souvent à des situations extrêmes de coercition et de répression surtout en l’absence de réalisations concrètes dont l’autorité, le pouvoir ou l’Etat pourrait se prévaloir. Ainsi en l’absence d’une accumulation de capital fait de succès politiques, économiques ou sociaux, le pouvoir totalitaire y pallie en imposant son architecture sociale par la force de la loi, ce qui ne peut être compris comme le résultat de ses succès mais plutôt de ses échecs. Et combien même un régime totalitaire pourrait se prévaloir de certains succès, ces derniers ne peuvent être que provisoires et risquent de fondre aux premières secousses.
Il est intéressant de comparer à ce niveau l’expérience sociale des islamistes turcs, à celle de leurs collègues soudanais et palestiniens à Gaza (que nous développerons plus loin).
En Turquie l’accumulation d’un important capital de succès politiques ont donné suffisamment de confiance aux islamistes pour qu’ils s’empêchent d’interférer dans l’architecture sociale et d’imposer au peuple certaines conduites religieuses. Au Soudan, à Gaza et auparavant en Iran et en Afghanistan des Talibans, les résultats des expériences sont dans l’ensemble négatifs surtout au niveau du modèle social proposé particulièrement dans l’islamisation par la loi. Un des derniers exemples soudanais est dans le cas de la journaliste Loubna Hussein à laquelle on a intenté un procès au motif du port du pantalon.
En Palestine et particulièrement à Gaza, il y a une mauvaise reproduction à l’identique des expériences sociales totalitaires, par l’islamisation par le haut à travers les politiques gouvernementales, d’une manière directe ou indirecte. Indépendamment de la lutte politique que se livrent le Hamas et le Fatah, des arrestations réciproques dans les deux camps et de la division géographique qui engagent le projet national palestinien dans les chemins du néant, il se construit actuellement une architecture sociale par la coercition et la contrainte.
C’est un changement très grave qui est en train de s’y opérer aux plans social et culturel. Les exemples sont multiples au cours des trois dernières années mais ils se sont multipliés au cours des deux dernières semaines et ont pris des formes extrêmes. L’exemple le plus proche de nous est la décision de la justice à Gaza d’imposer le port du voile aux avocates, puis cette campagne contre les écoles de l’UNRWA pour la pratique de la mixité alors qu’elles le furent toujours depuis leur création en 1950.
Certains parlent de consignes, directes ou indirectes, pour imposer le port du foulard aux étudiantes des écoles publiques. Il y a quelques semaines, la journaliste Asma Al Ghoul a été interrogée au motif qu’elle s’était trouvée à la plage et avait rigolé bruyamment avec un certain nombre de ses collègues, hommes et femmes, en l’absence d’un Muhram (Ndt: proche parent mâle qu’il lui est interdit d’épouser) et autres balivernes. Des organes de presse ont diffusé par ailleurs des photos d’agents de “la police des mœurs” circulant à cheval sur la plage de Gaza pour, semble-t-il, contrôler la conduite de la population et empêcher “le vice”.
L’architecture sociale prônée par les islamistes dans la bande de Gaza est non avenue sur les plans moral, national et humain et ne traduit pas la vision démocratique d’une société politique moderne. C’est même une régression et un retour à la période post-Etat et les arrangements qu’elle implique.
Il n’appartient à aucun Etat, à aucune autorité ou pouvoir, se réclamant de la démocratie, du multipartisme ou de l’ouverture et qui appelle à des élections, d’imposer au peuple des conduites morales limitant les libertés individuelles des gens. Il y a des usages et des coutumes dans la société que les gens respectent d’une manière spontanée et qui n’ont pas besoin de faire l’objet de complications philosophiques. Très souvent, ces coutumes sont reprises par les lois et la constitution pour délimiter le champ des libertés individuelles et leurs limites et empêcher que les libertés de l’un ne transgressent celles d’un autre.
Personne ne peut sérieusement prétendre que la bande de Gaza soit un espace de licence morale où les libertés publiques sont bafouées et que cela exige l’intervention du gouvernement pour y mettre fin. La société palestinienne dans son ensemble est une société conservatrice et son ouverture actuelle est toute relative ce qui rend plutôt curieux les appels lancés à l’intérieur du Hamas et ailleurs pour, soi-disant, combattre le vice. Cela doit évoquer, pour les gens qui ne connaissent pas la réalité locale, que le pays soit devenu comparable aux pays occidentaux les plus libertaires et les plus licencieux, avec ses nuits rouges…
Prétendre que le gouvernement du Hamas n’a rien à voir avec ce qui se passe et que ce sont les organisations de la société civile qui réclament à l’UNRWA d’interdire la mixité dans ses écoles, ou que c’est le conseil supérieur de la magistrature et non pas le gouvernement, qui demande aux avocates de porter le foulard, c’est tout simplement se moquer des gens et cela est tout simplement nul et non avenu.
Certains dirigeants du Hamas ne cessent de répéter que leur expérience s’inspire et prend son modèle sur Erdogan et non sur les Talibans, par admiration pour le premier et pour se distancier des derniers. Mais ceci n’a plus de crédibilité quand on médite ce qui se passe réellement sur le terrain de la bande de Gaza. Les voix modérées au Hamas, qui pourraient être “Erdoganiennes” dans leur orientation générale, n’ont pas encore beaucoup d’influence par rapport au courant Salafiste. Ce dernier, très influencé par le Wahhabisme et les Talibans au plan social, entend appliquer sur le territoire de Gaza une interprétation et un modèle religieux forts étrangers à la société palestinienne.
L’orientation sociale du Hamas vers une islamisation par la contrainte et par la force de la loi pose de nombreuses questions. Mais il nous semble utile de conclure en invitant le lecteur à méditer sur l’influence future de ces orientations sur la crédibilité de tous les projets sociaux des mouvements islamiques, par rapport à leurs engagements démocratiques et leurs priorités.
L’engagement démocratique repose sur le respect et la protection de la minorité et non seulement l’exécution de la volonté de la majorité. Ainsi les droits des minorités sont toujours protégés dans les vieilles démocraties. Cette conception ne semble pas être suffisamment mûre chez les islamistes qui, eux, conçoivent la démocratie plutôt comme l’application ou même l’imposition de la volonté de la majorité, même sur le plan des conduites sociales.
D’autre part, au plan des priorités, il semble que si les conditions qui écrasent la bande de Gaza: occupation, blocus, paupérisation généralisée, division géographique et choix politiques difficiles… n’aient pas rendu secondaire ou marginalisé “l’imposition de la vertu” et ” du port du foulard”, alors on est en droit de s’interroger sur les priorités de tout autre mouvement islamique qui ne soit pas confronté à ces problèmes. Il est alors légitime de se poser cette question: les projets des mouvements islamiques se réduisent-ils à l’imposition du port du voile et de certaines conduites religieuses et de lutte contre les libertés individuelles?

Traduit de l’arabe par Ahmed Manai

SOURCE Dr Khaled Hroub*. Auteur du livre. LE HAMAS, Editions Demolis, Paris 2008. Director of Cambridge Arab Media Project (CAMP)Centre of Middle Eastern and Islamic StudiesUniversity of CambridgeCambridge CB3 9DA

 http://www.tunisitri.net/le-hamas-a-gaza-les-talibans-ou-erdogan/5624.html/

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