Les salafistes tunisiens imposent leur ordre moral
Par Thibaut Cavaillès
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Mus par un sentiment d'impunité, les islamistes radicaux ont perturbé plusieurs manifestations culturelles.
Ils ne sont pas les plus nombreux de la mouvance islamiste mais leurs agissements les rendent très visibles. Les salafistes tunisiens ont choisi l'action pour imposer leur ordre moral. Trois soirs d'affilée, ils ont, par l'intimidation ou la force, fait annuler ou interrompu des manifestations publiques dans trois villes différentes de Tunisie.Mardi dernier, à Menzel-Bourguiba (Nord), le comique Lotfi Abdelli a préféré ne pas présenter son one-man-show, «100 % Halal»,après une scène digne d'un spectacle humoristique. Dans la journée, plusieurs de ces supposés salafistes sont venus déplier leur tapis et s'adonner à la prière dans la salle où il devait se produire. Le comique a préféré renoncer.
Le lendemain, à Kairouan (Est), c'est le chanteur tunisien Lotfi Bouchnak qui a fait les frais de l'activisme salafiste. Au dernier soir d'un festival de musique soufie, le chanteur doit être accompagné de musiciens iraniens. Donc chiites. Et le chiisme ne fait pas bon ménage avec le sunnisme des salafistes, qui ont vu dans ce concert une atteinte au sacré, dans une ville considérée comme la quatrième ville sainte de l'Islam. Intimidation au pied du bus, les musiciens iraniens préféreront rester à l'hôtel.
Des menaces - comme ce fut le cas dans plusieurs festivals durant l'été -, mais pas de violence. Jusqu'à jeudi soir à Bizerte (Nord), où les fondamentalistes sont montés d'un cran, 200 d'entre eux s'attaquant, selon les témoins, à un rassemblement en marge de la Journée al-Qods (Jérusalem en arabe). Armés de bâtons et de sabres, ils ont envoyé plusieurs personnes à l'hôpital. La présence parmi les invités de Samer Kuntar, ancien prisonnier en Israël, aurait déclenché l'ire des salafistes, ce Libanais ayant défendu la veille le régime de Bachar el-Assad.
À ces événements s'ajoutent des affrontements vendredi à Gabès (Centre-Est) entre salafistes et chiites, cette fois séparés par les forces de l'ordre.
Questions sur le rôle d'Ennahda
Pour chacune des trois soirées culturelles, l'absence d'intervention des autorités fait dire à beaucoup en Tunisie que l'État est complice de ces agissements. Comme en juin dernier, après l'attaque d'une galerie d'art contemporain et des nuits de trouble dans le pays, que le gouvernement n'avait que mollement condamnées. La thèse même d'une manipulation par Ennahda, le parti au pouvoir, est souvent brandie. Le ministère de l'Intérieur n'a pas souhaité commenter ces accusations.Le politologue Ahmed Manaï, ancien proche du mouvement et de son leader, Rached Ghannouchi, ne l'exclut pourtant pas. «Les rapports d'Ennahda avec les chefs salafistes sont au beau fixe, dit-il. Quand il arrive qu'Ennahda condamne une action des salafistes, elle condamne rarement, sinon jamais, les auteurs et cherche même à leur trouver une justification. En fait, Ennahda a toujours cherché à avoir un mouvement plus extrémiste qu'elle pour prouver sa modération et son pacifisme aux yeux de l'opinion.»
Pour les commentateurs tunisiens, Ennahda tenterait par cette manœuvre de détourner l'attention des problèmes économiques et sociaux que traverse le pays. «Nous avons vu ces agissements, poursuit Ahmed Manaï, dans d'autres mouvements islamistes parvenus au pouvoir par les urnes, mais sans aucun projet de société ou programme politique, et qui ont très rapidement prouvé leur incapacité à diriger un pays, comme le Hamas en Palestine.» Le chef d'Ennahda, Rached Ghannouchi, s'était défendu en juillet dernier, disant privilégier le dialogue avec les salafistes «pour ne pas radicaliser leur engagement».
Le manque de réaction du pouvoir peut aussi s'expliquer par des idées communes avec les salafistes. Le 1er août dernier, le parti majoritaire a déposé un projet de loi criminalisant l'atteinte au sacré et prévoyant deux ans de prison ferme pour tout contrevenant.
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