20 août 2012

Un mois de combats à Alep, et la victoire en vue

Par Guy Delorme, avec Cécilia & Hakim,



Rappel des faits
Ce 20 août, cela fait un moi que l’ASL et les groupes djihadistes associés ont lancé la bataille d’Alep. D’abord apparemment surprise par l’entrée d’une colonne rebelle dans la deuxième ville de Syrie, l’armée a réagi avec ampleur le samedi 28 juillet, contrattaquant partout les rebelles, notamment à Salaheddine, ou repoussant leurs assauts.
Dans le même temps, de violents combats se tenaient dans toute la région nord d’Alep, en partie tenue par l’insurrection, les colonnes de secours ASL subissant de très lourdes pertes. Dans cette bataille, l’aviation jouait avec une ampleur inédite jusque–là, son rôle, avec l’intervention efficace des hélicoptères, mais aussi, une autre première, celles d’avions de combat.
Le 1er août, dans une intervention médiatique, Bachar al-Assad lui-même situait l’importance de ce qui se jouait à Alep en évoquant la « bataille cruciale et héroïque » livrée par ses soldats. Pendant les combats, des renforts importants étaient dépêchés, consolidant l’encerclement des secteurs infestés par l’ASL : 20 000 soldats en tout étaient concentrés à Alep, selon les sources officielles. Le 31 juillet, l’exécution du patriarche et de plusieurs membres du clan Berri renforçait les rang gouvernements de plusieurs milliers de miliciens de cette puissante famille sunnite alépine, en même temps qu’elle obligeait les médis occidentaux – pour la première fois avec autant d’ampleur – à reconnaître le caractère extrémiste et sanguinaire de nombre de « libérateurs » d’Alep.
Le 8 août, l’armée, ou une partie des forces disponibles, relançait son offensive, et peu après achevait la reconquête du quartier symbole de Salaheddine, annoncée prématurément fin juillet. Et elle entrait dans le bastion voisin de Saif al-Dawla, ainsi que d’autres quartiers plus au centre – al-Nassileh, Bab Nasr – et resserrait l’étau sur Hanano (est). Des sources concordantes soulignaient les lourdes pertes enregistrées par l’insurrection à Alep et autour de la ville, véritable saignée quotidienne de plusieurs centaines d’activistes tués, blessés ou capturés.
Ces déconvenues militaires allaient de pair avec une déconvenue politique : comme il était prévisible, vue le « profil » socio-politique d’Alep, aucune insurrection populaire ne venait seconder les efforts de l’ASL : les habitants des quartiers touchés fuyaient – dans d’autres secteurs de la ville tenus par les autorités – et souvent aidaient les soldats. Cette « abstention » ou cette hostilité de la population était reconnue par plusieurs journalistes français présents sur place, et plutôt favorables à l’ASL.
Ce qui devait arriver dans ces conditions a commencé de se produire : plusieurs groupes de combattants ont fui la ville, tandis que les autres s’accrochent à des quartiers ou des bouts de quartiers, tentant de retarder au maximum une issue inéluctable : d’autres quartiers tombaient, autour du 15, dans l’escarcelle de l’armée : al-Aathamya, al-Machaad, al-Boustan ; le 17 août, le « reporter » pro-rebelles Pierre Piccinin confirmait la chute du secteur de Seif al-Dawla, principal « front » après celui de Salaheddine, et décrivait la situation générale des insurgés à Alep comme très critique : très éprouvés par les pertes, la fatigue, le manque de munitions, et pratiquement encerclés dans leurs « conquêtes », un couloir subsistant à l’est de la ville.
Ces dernières 24 heures…
Le 19 août, le communiqué militaire disait que les forces de l’armée poursuivaient la purification de la région de Sayf al-Dawla, tuant des dizaines des terroristes. Toujours à Alep, les forces de l’armée ont pris d’assaut des « repaires » de groupes armés, dans un bâtiment proche de l’école al-Karama, dans une maison au quartier de Boustane al-Qasr, près de la Mosquée Soukkar.  Et aussi à Qastal Harami, Qastal Macht (au nord de la citadelle et à l’est de la vieille ville), al-Chaboura et Sahet al-Tananir. Autre accrochage sanglant pour les rebelles à Bawwabat al-Qassab. Les communiqués parlent à chaque fois ou presque de « dizaines de terroristes abattus » : même si c’est exagéré, il est évident que les ASL mènent un combat de plus en plus inégal – et coûteux – aux forces régulières.
De son côté, l’OSDH affirme que des combats se déroulaient, ce lundi matin 20 août, avec interventions d’hélicoptères, dans le quartier de Souleimane al-Halibi, tandis que d’autres quartiers étaient bombardés.
Bref, un mois après leur entrée dans Alep, les rebelles « tiennent toujours » comme titre leurs amis de l‘AFP, mais leur résistance ne tient plus qu’à un fil usé.
Des bombes et des tracts
Ce même dimanche 19 août, les hélicoptères sont à nouveau intervenus dans le ciel d’Alep pour y larguer… des tracts : ceux-ci mettaient en garde les habitants des quartiers non sécurisés contre tout soutien aux insurgés, et offrant à ceux-ci une « dernière chance » de se rendre. Il s’agit d’un fait sans précédent à Alep depuis le début des combats dans la ville il y a plus d’un mois, notent aussi bien des insurgés que des habitants.
Certains tracts largués samedi soir avaient la forme d’un laissez-passer officiel pour les  rebelles désireux de se rendre. Cette initiative psychologique inédite parie sans doute sur l’épuisement physique et moral de nombre de combattants, souvent des jeunes gens nourris de propagande djihadiste ou révolutionnaire : les pertes subies, la bonne tenue et l’agressivité d’une armée qu’on leur disait minée par le défaitisme et les désertions, l’attitude hostile ou réservée de la population enfin ont dû quelque peu les « dégriser » de leur ivresse révolutionnaire. Les autorités militaires ont dû penser qu’un certain nombre de rebelles étaient « mûrs », même si l’on ne doit pas sous-estimer la force de l’idée du martyre chez ces jeunes gens fanatisés.
Ce dernier type de tract porte la mention suivante : « Le porteur de ce laissez-passer est autorisé à franchir les barrages de sécurité pour se rendre. Le porteur de ce laissez-passer sera bien traité et retrouvera sa famille après vérifications ». D’autres tracts plus classiques, imprimés sur du papier rose ou blanc, visaient à dissuader les insurgés de poursuivre le combat. « Votre dernière chance de rester en vie est de déposer les armes parce que vous ne pouvez rien faire contre l’armée syrienne ». « Ne manquez pas cette chance, retournez auprès de votre famille et cessez d’alimenter la haine autour de vous »
« Honorables citoyens, n’ouvrez pas vos maisons aux gangs terroristes armés et ne les aidez pas à tuer le peuple de votre pays », exhortait un autre tract.
Et histoire de rappeler que mansuétude n’est pas faiblesse, deux heures après avoir largué les tracts, les hélicoptères sont revenus pour ouvrir le feu sur plusieurs quartiers du centre.
Cette opération de typer nouveau renseigne aussi sur l’analyse que font les autorités militaires de la situation à Alep : on ne fait de telles démarches que lorsqu’on sent ou sait l’ennemi « au bout du rouleau ».

Le Premier ministre al-Halqi au chevet des blessés à Damas

En illustration de cet article, voici le Journal de la Syrie, édition française de la télévision syrienne, pour le 19 août. Au menu :
-Le président al-Assad fait la prière de la fête d’al-Fitr dans la mosquée d’al-Hamed à Damas, pour sa première grande apparition publique depuis l’attentat du 18 juillet à Damas contre les ministres syriens.
-L’archevêque Louqa al-Khoury adresse ses vœux aux Musulmans de Syrie à l’occasion de l’Aïd al-Fitr ;
-Le ministre de l’Économie Qadri Jamil explique que la réconciliation nationale est un objectif principal du gouvernement actuel en Syrie.
-Mise en échec une tentative d’infiltration du Liban.
-À Alep, l’armée continue son avancée aidée par la population.
-À Deraa, arrestation d’un chef terroriste à Harak.


Les blessés de la police visités par le ministre de l’Intérieur al-Chaar, lui-même gravement blessé dans l’attentat de Damas du 18 juillet

Et pour les arabisants et arabophones, une édition beaucoup plus complète (près d’une heure) :
- La prière de Bachar.
- La visite du Premier ministre à quelques hôpitaux. « Nous avons de réserves en médicaments pour dix mois au moins et pour six mois au moins pour d’autres catégories » dit le Premier ministre.
- Visite du ministre de la Défense, le général al-Freij, aux soldats blessés.
- Visite du ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Mohammad Yahya Moalla, à deux hôpitaux universitaires à Damas, la Maternité et al-Mouwassat.
- Visite du maire de Homs à l’hôpital militaire et à la prison central.
- « Diner de réconciliation » entre les habitants de Homs.
Sans oublier une longue séquence alépine, structurée comme suit :
- Les opérations continuent à Sayef al-Dawla et al-Azamiya.
- La mosquée al-Huda libérée de terroristes qui l’ont utilisée comme dépôt d’armes et médicaments, creusant même à l’intérieur pour pouvoir sortir plus facilement.
- Un soldat qui déclare : « Les habitants d’Alep sont formidables, leur aide est plus que précieuse »
Et des Alépins dont voici les propos, visant à souligner le caractère étranger des insurgés :
- « Ces gens-là, ils nous ne ressemblent pas, ils ne s’habillent pas comme nous ».
- « Dans la mosquée, ils ne prêchent pas comme nous, ils appellent à la haine et aux meurtres« .
- « On dirait des Afghans ! »
- « Maudits soient l’émir de Qatar et Erdogan ! »
- « Que Dieu nous protège notre armée arabe syrienne ! » .
- « Nous sommes en sécurité depuis que l’armée est là ! Dieu merci ! »
On voit certains Alépins, et des enfants, embrasser des soldats.

De la propagande de guerre donc, mais qui reflète une incontournable réalité : l’immense majorité des Alépins n’avait rien à voir dès le départ, et n’a rien voulu faire ensuite avec cette armée d’excités syriens et étrangers, qu s’est abattue comme une plaie d’Égypte sur cette capitale économique, cette grande cité moderne qu’est Alep.


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