27 mai 2010

La société civile en tête

jeudi 27 mai 2010 - 06h:15

Sam Bahour


Confrontés à l’échec que font les politiciens ? Démissionner ? Jamais. Pas en Palestine du moins. Maintes et maintes fois, le leadership palestinienne est entré dans un mur en béton (sans jeu de mots) quand il a tenté de conduire le peuple palestinien vers la liberté et l’indépendance.

A chaque échec colossal, le leadership se tourne vers la société civile palestinienne pour connaître la direction à prendre.

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Appel palestinien au boycott des produits israéliens
(Photo : MaanImages/Mushir Abdelrahman)

La première Intifada a été déclenchée pour couvrir les échecs au Liban, et la deuxième pour couvrir l’effondrement d’Oslo. Le boycott actuel instauré par l’Autorité palestinienne vis-à-vis des produits israéliens en provenance des colonies n’est pas différent. Le boycott est l’échafaudage que l’AP essaye d’ériger et d’escalader afin de récupérer une position de leadership. Le dilemme des dirigeants de l’AP est qu’il est très possible que l’échafaudage qu’ils s’efforcent de monter ne soit escaladé par d’autres qui prendront la tête de la lutte palestinienne pour la liberté et l’indépendance.

Vu la faiblesse de sa base politique sur le terrain, une campagne électorale en déconfiture, et la création de ce que beaucoup craignent sera un État policier, l’AP a finalement pris le train du boycott en marche, train que la société civile s’est efforcée d’assembler depuis plusieurs années, si pas depuis des décennies.

La récente mission de l’AP visant à nettoyer les marchés palestiniens des produits israéliens provenant des colonies coïncide avec le moment où les marchés palestiniens dépendent primordialement de l’économie israélienne. Cette dépendance structurelle n’est pas nouvelle ; elle a été alimentée pendant les décennies d’occupation directe jusqu’à l’accord d’Oslo.

La période Oslo aurait été le moment idéal pour que l’AP donne le ton à savoir que les colonies - toutes les colonies, mais spécialement celle de Jérusalem-Est - ne sont pas négociables, qu’elles sont illégales au regard du droit international et qu’elles n’ont pas de place dans une solution pacifique. Ce n’est toutefois pas ce qui s’est passé.

En fait, l’AP a non seulement ignoré les produits illégaux de ces colonies pendant beaucoup d’années, elle a également fermé les yeux sur les services israéliens qui empiétaient sur les marchés palestiniens, dont les plus notoires étaient les exploitants israéliens de télécommunications non autorisés qui utilisaient leur infrastructure installée dans les colonies pour desservir tous les secteurs palestiniens, A, B et C. Cet empiètement sur le marché palestinien a non seulement causé de véritables pertes aux opérateurs palestiniens autorisés, qui avaient à l’époque le monopole de la fourniture des services aux secteurs palestiniens ; mais il a créé sur le terrain un fait économique qui y a pris racine. Ce fait était, et est, autant un obstacle à la paix que les colonies elles-mêmes.

Le boycott actuel des produits des colonies n’est pas nouveau, et il n’a pas été conçu par l’AP. C’est le résultat du travail acharné de dizaines et de dizaines d’acteurs de la société civile en Palestine et à l’étranger. La vitesse que prend le boycott aujourd’hui est attribuable à une double stratégie de la société civile.

La première est une campagne globale qui est beaucoup plus complète que le boycott des produits des colonies. Cette campagne est connue sous le nom de BDS (boycott, désinvestissement et sanctions) ; elle est née d’un appel unifié de la société civile palestinienne lancé le 9 juillet 2005. Les dernières années ont été le témoin d’une série de succès pour la campagne BDS qui ne sont sûrement pas passés inaperçus pour l’AP.

La deuxième stratégie consiste en une multitude d’efforts favorisant la production locale. Le plus notable de ces efforts est le projet Intajuna (« notre production » en arabe) : c’est un projet financé par des dons et géré par le secteur privé palestinien qui l’a conçu. Cet effort se retrouve partout - points de vente au détail, matériaux de construction, et plus récemment sur les marchés de fruits et de légumes. Intajuna fait une analyse en profondeur et la campagne va bien au-delà du slogan traditionnel « achetez Palestinien ».

C’est dans le contexte de la campagne BDS et des efforts de BDS comme Intajuna que l’AP s’est réveillée au boycott. L’effort est bien accueilli par le public, et l’AP est un bon exemple de la façon dont des efforts non violents peuvent être amplifiés quand le leadership officiel assume son rôle de dirigeant sur la base de la communauté. Les chefs de la société civile se félicitent également des efforts de l’AP, mais ils sont plus prudents dans leur analyse parce qu’ils comprennent que le leadership palestinien a abruptement étouffé les efforts de masse de la société civile par le passé, la première Intifada en étant l’exemple typique quand elle s’est terminée avec les accords d’Oslo.

Toutefois, à mesure que tout ceci se déroule, les Palestiniens et leurs partisans tirent une certaine satisfaction du spectacle des colonies tournant en rond pour essayer de trouver le moyen de mettre fin au boycott. Chose peut-être plus intéressante, certains en Israël même, y compris le Comité économique de la Knesset, tournent également en rond pour essayer de relever les enjeux afin que le boycott ne s’étende pas jusqu’à inclure tous les produits et services israéliens.

À en croire l’expérience antérieure, le leadership palestinien finira par embrasser toute la campagne BDS en temps voulu, étant donné que les outils du boycott, du désinvestissement et des sanctions sont des méthodes non violentes beaucoup plus puissantes que les vaines négociations avec un gouvernement dont le seul but est le nettoyage ethnique.

* Sam Bahour est un entrepreneur et consultant palestino-étasunien basé à Ramallah.

24 mai 2010 - Cet article peut être consulté ici :
http://www.bitterlemons.org/issue/p...
Traduction : Anne-Marie Goossens




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