27 mai 2010

Tsahal aux mains des religieux

jeudi 27 mai 2010 - 09h:43

Amos Harel - Ha’Aretz


L’armée n’attire plus les jeunes laïcs des classes moyennes, mais les pauvres des milieux les plus conservateurs. Certains craignent que leur allégeance à l’Etat en cas d’évacuation des colonies ne soit pas totale.

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Des soldats de la brigade Kfir de l’armée israélienne prient enveloppés dans des châles et portant un phylactère sur le front, Kochav Hayarden, février 2010.


Si la gauche a raté l’occasion de parvenir à un accord permanent avec les Palestiniens, ces derniers portent aussi une part de responsabilité dans cet échec. Mais, durant ces années perdues, celles des accords d’Oslo [1993-2000], l’armée israélienne a subi un profond bouleversement. Elle aura à jouer un rôle crucial dans tout accord futur, en organisant sur le terrain les retraits territoriaux et les évacuations de colons. Or l’armée de 2010 n’est plus celle de 1993. La composition du corps des officiers d’infanterie, fer de lance de nos unités de combat, a été chamboulée. En 1990, 2 % des cadets étaient des religieux, ils sont désormais 30 %. Six des sept lieutenants-colonels de la brigade Golani sont des religieux et, dès l’été 2010, leur commandant sera lui-même religieux, tandis que trois des sept lieutenants-colonels de la brigade Kfir [infanterie antiterroriste en Cisjordanie] portent la kippa crochetée [des nationaux-religieux]. De même, deux colonels sur six de la brigade Golani et des paras sont également des nationaux-religieux. Enfin, dans certaines brigades d’infanterie, plus de 50 % des commandants locaux sont des nationaux-religieux, soit plus de trois fois la proportion des nationaux-religieux dans la population totale.

S’il ne s’agit pas ici de mettre en doute l’engagement de ces officiers envers Tsahal et l’Etat, il n’en reste pas moins qu’ils sont désormais originaires de régions très différentes de celles des générations précédentes. Il y a vingt ans, les officiers étaient largement issus du Goush Dan [le Grand Tel-Aviv] et du Sharon [plaine côtière entre Haïfa et Tel-Aviv]. Actuellement, la proportion d’officiers issus de ces régions est devenue négligeable, et les quelques officiers encore originaires de Tel-Aviv sont en fait issus des quartiers méridionaux [pauvres et conservateurs]. En termes d’effectifs, une tendance lourde s’est dessinée depuis la fin des années 1990 : dans le sillage de la première guerre du Liban [1982-1984] et de la première Intifada [1988-1992], le nombre d’Israéliens issus de la gauche [Parti travailliste] et de membres des kibboutzim inscrits à l’Ecole militaire numéro 1 [qui forme les officiers de l’armée de terre] n’a cessé de baisser. Désormais, cette frange de la population [sous-entendu : ashkénaze et travailliste] n’est plus présente que dans les rangs de l’Aman [renseignements militaires], de l’armée de l’air et des unités de reconnaissance. Cette désaffection commence aujourd’hui à se ressentir dans le profil des officiers supérieurs qui postulent à la tête de l’armée, et ce phénomène ira en s’amplifiant au cours des quinze prochaines années.

Tsahal continue de se fourvoyer dans les Territoires palestiniens, en apportant une assistance discrète aux avant-postes illégaux [colonies sauvages]. Mais la gauche laïque porte une responsabilité car, en désertant les échelons régionaux et locaux de l’armée pour se concentrer dans l’aviation et le haut état-major, elle a créé un vide dans des pans entiers de l’organigramme militaire, vide qui a été rempli par d’autres. Nombreux sont ceux qui, à l’échelon supérieur de la hiérarchie, estiment qu’il n’y aura pas d’autre possibilité que de procéder à une évacuation massive des colonies. Mais ils savent pertinemment que le prochain désengagement sera beaucoup plus difficile à réaliser que celui du Goush Katif [bloc de colonies de la bande de Gaza, évacué en août 2005].

En cas de désengagement, nombre de commandants locaux obéiront sans doute aux ordres de leur hiérarchie. Mais il est difficile d’imaginer que les officiers originaires d’implantations comme Kedoumim ou Kfar Tapuah [colonies ultranationalistes autour de Naplouse] exécutent sans rechigner l’ordre d’“arracher des juifs à leurs foyers”. Il n’est pas surprenant que la haute hiérarchie militaire ait peur de ce scénario. Lorsque sonnera l’heure du prochain désengagement, peut-être le gouvernement n’aura-t-il d’autre choix que d’envoyer des conscrits renforcer les effectifs des gardes-frontières [gendarmerie], car il semble désormais hasardeux de compter seulement sur les officiers de carrière de l’armée régulière.

26 mai 2010 - Courrier international

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