27 mai 2010

Lettre aux Députés Européens concernant les relations de l’Union européenne et Israël

mardi 25 mai 2010

AURDIP


Madame, Monsieur le député Européen,

Nous sommes des scientifiques et des enseignants représentant un large spectre de la communauté universitaire en Europe. Nous vous écrivons pour protester contre les projets qui vont vers de l’extension des accords existants entre l’Union Européenne et Israël.

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Village de Nabi Saleh en Cisjordanie occupée. Les manifestants palestiniens font face aux troupes israéliennes d’occupation, alors qu’ils sont rassemblés contre l’extension d’une colonie juive sur les terres palestiniennes - Photo : AP Photo/Bernat Armangue

Suite à une rencontre entre l’Union Européenne et Israël en juin 2008, le conseil de l’UE a annoncé sa « détermination à rehausser le niveau et l’intensité de ses relations bilatérales avec Israël » avec l’intention d’adopter un nouvel accord avant avril 2009, en remplacement du Plan d’Action Conjointe de 2005. À la suite de l’indignation provoquée par l’Opération militaire Israélienne Plomb Durci contre la population de la Bande de Gaza, ces plans ont été ajournés sans qu’aucune échéance ne soit annoncée pour leur mise en œuvre.

Néanmoins, selon des rumeurs persistantes, un rehaussement complet est toujours à l’ordre du jour. En novembre dernier, l’UE et Israël ont signé un nouvel accord portant sur le commerce de produits agricoles, présenté comme une « étape majeure vers l’intégration des marchés de l’UE et d’Israël ». De même, un projet d’accord « sur l’évaluation de la conformité et l’acceptation de produits industriels », annoncé le 22 mars par le Conseil des Affaires étrangères de l’UE, qui projette « d’envoyer un projet de décision sur la conclusion du protocole au Parlement Européen pour approbation », est explicitement identifié comme « un pas important vers l’intégration d’Israël dans le marché unique ». Malgré l’intransigeance bien connue d’Israël sur la question des colonies et son échec à mener des négociations de bonne foi avec la partie palestinienne, les exemples mentionnés ci-dessus suggèrent que l’UE a malgré tout choisi de mettre en oeuvre le rehaussement, secteur par secteur.

Pour justifier notre opposition, nous n’avons pas besoin de chercher plus loin que dans les déclarations du Conseil de l’UE concernant ce processus : « Cette élaboration doit s’appuyer sur les valeurs partagées par les deux parties, et notamment sur la démocratie, le respect des droits humains, l’état de droit et les libertés fondamentales, la bonne gouvernance et le droit humanitaire international ».

Les clauses se référant au respect des droits humains et au droit international ont été un trait constant des accords bilatéraux entre l’UE et Israël. Même ceux qui soutiennent ces accords ont du mal à réconcilier ces clauses, notamment l’Article 2 de l’accord d’association UE-Israël, avec la poursuite de l’occupation de la Cisjordanie et de Jérusalem Est, ainsi que le blocus militaire de Gaza. Après la mise à sac de Gaza au début de 2009 et les accusations sévères portées par le rapport Goldstone à l’encontre des agissements d’Israël dans cette guerre, des voix de plus en plus nombreuses se sont levées pour protester contre l’échec de l’UE à respecter son propre engagement à ces clauses. Pas plus loin qu’au mois de mars dernier, le Parlement Européen, faisant référence à la « responsabilité et la crédibilité de l’Union Européenne et de ses États membres », a appelé à « la mise en oeuvre des recommandations [du rapport Goldstone] et l’établissement des responsabilités pour toutes les violations du droit international, y compris les cas allégués de crimes de guerre ».

Pourtant, le rehaussement continue, graduellement, subrepticement, et dans le mépris total des engagements affichés par l’UE en faveur des droits humains et de la loi internationale. Comme l’ont écrit les députés Britanniques Clare Short et Derek Wyatt l’automne dernier, « la Commission Européenne et les Etats membres manquent à leur devoir de soutien des conditions de leur propre traité avec Israël et à l’utilisation de ces exigences pour obtenir une paix et une justice durables ».

En tant que scientifiques et qu’enseignants, nous sommes particulièrement préoccupés par la situation de nos collègues palestiniens et leurs étudiants dans les universités des territoires palestiniens et en Israël. Ceux d’entre nous qui ont visité la Cisjordanie et Gaza peuvent témoigner des multiples façons dont sont désorganisés le cours des études et la recherche. Par exemple, trois soldats suffisent pour établir un checkpoint à l’entrée d’une université palestinienne ; ils contrôlent à loisir les entrées et sorties, obligeant les étudiants et les professeurs à passer leur journée à faire la queue au checkpoint plutôt que dans les salles de cours.

Cette situation est si commune qu’on n’en parle même plus dans la presse. Cependant, pour l’université, c’est un jour de perdu, difficile à rattraper au cours de l’année universitaire. De telles vexations et humiliations sont innombrables. Elles semblent délibérément destinées à détruire chez les étudiants et les professeurs tout espoir d’avoir des conditions de travail raisonnables, et à leur montrer que la seule possibilité d’avoir une vie normale, c’est de quitter leur pays.

Dans le même temps, nous voyons la science en Israël se développer dans des directions que nous désapprouvons profondément. L’occupation de territoires palestiniens, l’assujettissement de la population locale à des contrôles arbitraires et la surveillance de la bande de Gaza exigeraient trop de travail de l’armée Israélienne sans l’aide de la technologie. Cette technologie inclut des dispositifs rudimentaires comme les barrages routiers et les murs de séparation, qui entassent les palestiniens dans des enclaves séparés, permettant un contrôle facile de leurs déplacements à travers les rares ouvertures entre les différentes zones.

Il y a également des dispositifs très sophistiqués : les drones qui survolent constamment Gaza, terrorisant la population qui sait très bien qu’une frappe meurtrière pourrait arriver à tout moment ; les bulldozers télécommandés, utilisés pendant l’invasion de Gaza pour détruire les bâtiments commerciaux des palestiniens, leurs demeures et leurs champs ; ou encore les câbles à fibre optique utilisés pour détecter les tunnels entre Gaza et l’Égypte. Concevoir la technologie nécessaire à de telles opérations, menées dans le mépris total de la vie humaine et les droits fondamentaux, n’est pas une activité scientifique légitime. Pourtant, les universités israéliennes participant à l’accord d’association avec l’UE sont profondément impliquées dans le développement de telle technologie : les trois exemples que l’on vient de citer sont tirés du site web du Technion, l’Institut Israélien de Technologie. Ces opérations reçoivent un soutien intellectuel du fait du développement dans la communauté universitaire de nouvelles théories sur la « proportionnalité » ou le « taux de décès acceptable », ce qui revient à compter le nombre de civils qu’il est « admissible » de tuer pendant une opération militaire.

Nous craignons très fortement que les valeurs sous-jacentes (ou plutôt l’absence de valeurs) à de tels développements puissent être exportées en Europe, où les fruits de progrès millénaires, comme l’Habeas Corpus en Grande Bretagne ou la Déclaration des Droits de l’Homme en France, pourraient être balayés sans réflexion, par des idées prenant l’apparence de progrès scientifiques ou technologiques.

Après les accords d’Oslo de 1992, beaucoup d’entre nous ont cru en la coopération académique entre l’Europe, Israël et la Palestine, comme une étape de construction de la confiance entre les deux parties, et une manière de former le leadership d’un future Etat palestinien. Après près de vingt ans d’efforts infructueux, période pendant laquelle Israël a continuellement créé de nouveaux « faits sur le terrain », autrement dit des colonies illégales à Jérusalem Est et en Cisjordanie, et a transformé la bande de Gaza en à peine plus qu’une prison à ciel ouvert, soumise à un blocus strict sur les approvisionnements les plus basiques, nous pensons qu’il est grand temps de mettre la pression sur le gouvernement israélien.

Nous vous demandons par conséquent de vous opposer à tout rehaussement de l’accord entre l’UE et Israël. Au contraire, nous vous demandons d’appliquer l’Article 2 du traité existant, et de suspendre toute coopération, comme l’a demandé le Parlement Européen en avril 2002, jusqu’à ce qu’Israël remplisse ses obligations au regard du droit international, notamment la quatrième convention de Genève, de façon à permettre à la population des territoires occupés de profiter des droits dus à tous les peuples : le droit de voyager, le droit de faire du commerce, le droit à l’éducation, le droit à la propriété individuelle et le droit à la protection de la loi.

Avec nos meilleurs considérations.

(pour) Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine (AURDIP) (signé) Ivar Ekeland, ancient Président, Université de Paris-Dauphine
president@aurdip.fr

(pour) British Committee for Universities for Palestine (BRICUP) (signé) Dr. Robert Boyce, London School of Economics
contact@bricup.org.uk

(pour) Campagna per il Diritto allo Studio e la Libertà Accademica in Palestina (signé) Professeur Danilo Zolo, Università degli Studi di Firenze
diritto.studio.palestina@gmail.com

(pour) Comissió Universitària Catalana per Palestina (CUNCAP) (signé) Professeur Laia Haurie, Universitat Politècnica de Catalunya
cuncap@gmail.com

24 Avril 2010 - Association des universitaires pour le respect du droit international en Palestine
Vous pouvez consulter cet appel à : http://www.aurdip.org/Lettre-de-l-A...

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