06 mars 2011

Où en est-on dans l’affaire Ali Aarrass ?

dimanche 6 mars 2011, par Luk Vervaet


Un mois et demi après l’extradition d’Ali Aarrass de l’Espagne vers le Maroc, sa famille ne sait toujours rien. 50 jours après son extradition, aucun membre de la famille Aarrass n’a eu droit, ne fût- ce qu’une seule fois, à une nouvelle, un contact, un coup de téléphone, une petite phrase… de la part des autorités marocaines, espagnoles ou belges. Ali, qui donnait régulièrement des nouvelles à sa famille quand il était en prison en Espagne, n’a plus donné signe de vie depuis son extradition. Tout contact avec le monde extérieur lui est interdit. D’après des sources marocaines, Ali Aarrass aurait été maintenu en garde à vue pendant 15 jours. Il aurait été interrogé par la BNPJ, la Brigade nationale de la police judicaire, une police d’investigation et d’enquête, qui dépend de la Direction générale de la sûreté nationale ( DGSN). Elle ne s’occupe que des ’grandes affaires’ ayant une importance nationale. Selon le journal marocain Assabah, Ali a été emmené, cagoulé, dans différentes villes du Maroc, comme le Nador, à la recherche des armes et que RIEN n’a été trouvé.
Ensuite, Ali aurait été transféré devant le procureur du Roi le 24 décembre 2010. D’après des sources judiciaires, pendant toute cette période, comparution devant le procureur incluse, Ali n’a pas eu droit à un avocat. Les rapports de l’instruction ont eux aussi été rédigés sans la présence d’un avocat. D’après ces mêmes sources, ce dernier n’a pu consulter le dossier d’Ali Aarrass que le 18 janvier 2011, jour de la comparution d’Ali devant le juge d’instruction auprès de la Cour d’appel de Rabat en charge des affaires de terrorisme, Monsieur Abdelkader Chentouf. Ce super-juge est appelé par la presse du régime marocain ’le célèbre juge antiterroriste marocain’, (La Gazette du Maroc du 12 décembre 2005) ou ’la sommité juridique de la lutte antiterroriste’ (Le journal Aujourd’hui Le Maroc du 7 octobre 2010). C’est aussi lui qui s’est occupé du dossier et du procès Belliraj.
Mais le plus inquiétant jusqu’à présent, ce sont les pratiques de la BNPJ. Sur les pratiques de cette Brigade, Amnesty International commente l’arrestation et l’interrogation de sept personnes à Fès, le 28 juin dernier. Mohamed Sleimani, Abdalla Balla, Bouali Mnaouar, Hicham el Hawari, Izaddine Sleimani, Hicham Sabbahet Tarek Mahla ont été arrêtés pour « association non autorisée », « formation d’association de malfaiteurs », « enlèvement et détention d’une personne » et « torture ». Le 21 juillet 2010, Amnesty écrit : « Ces sept hommes ont été arrêtés par la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ). Ils ont été conduits au centre de détention de la BNPJ à Casablanca et placés dans des cellules séparées pendant 72 heures. Durant cette période, ils affirment avoir été laissés nus, menottés et les yeux bandés, sans nourriture et avec très peu d’eau. Tous disent avoir été torturés, et notamment – pour au moins cinq d’entre eux – violés à l’aide de stylos et d’autres objets introduits de force dans leur anus. Selon leurs dires, ils ont été contraints à signer des déclarations qu’on ne les a pas laissés lire, sous la menace d’être jetés par une fenêtre s’ils refusaient… ».
N’y a-t-il pas des raisons de s’inquiéter sur le sort d’Ali ?
Les organisations belges, espagnoles ou marocaines des droits de l’homme ne devraient-elles pas se lancer dans une campagne pour en savoir plus sur la situation d’Ali ?
La semaine passée, la Cour européenne des droits de l’Homme a, à juste titre, condamné la Belgique pour l’expulsion d’un Afghan vers la Grèce, estimant que « les droits élémentaires du demandeur d’asile ne peuvent pas être respectés dans ce pays » et que « les conditions d’accueil y sont déplorables ». Après ce verdict, le secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, Melchior Wathelet, a décidé de suspendre tous les transferts vers la Grèce. Le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Norvège et l’Allemagne ont pris la même décision. Dès lors, comment comprendre que l’Europe continue à extrader impunément des suspects ou des condamnés pour terrorisme vers le Maroc ? Ne connait-elle donc pas les « les conditions d’accueil » « déplorables » pour les personnes extradées ?
Nous ne pouvons comprendre cette « ignorance » que dans le cadre de la sainte alliance entre l’Europe et les régimes pro-occidentaux arabes contre la menace terroriste. Au nom de celle-ci, les pires pratiques de violations des droits élémentaires des détenus ont été approuvées et mêmes encouragées par l’Europe.
Comme semble le confirmer la récente décision d’extrader Ali Aarrass.

Luk Vervaet

Qui est Ali Aarrass ? A la demande du Maroc, le belgo-marocain Ali Aarrass a été arrêté et détenu en Espagne depuis avril 2008. Il est soupçonné par le Maroc d’appartenir à la « cellule terroriste Belliraj ». Après une instruction de près de trois ans, menée par le juge anti-terroriste espagnole Baltasar Garzon, Ali a été totalement blanchi. Mais, il restait en prison parce que le Maroc demandait son extradition. Cette extradition par l’Espagne a eu lieu en décembre 2010. Ali Aarrass n’a jamais vécu au Maroc et il n’a aucun lien effectif avec ce pays. Il est né dans l’enclave espagnole de Melilla et il n’est marocain qu’en raison du fait qu’il a dû obtenir, pour voyager, un titre d’identité. Il a vécu 28 ans en Belgique, y a fait son service militaire, y a développé un commerce de proximité et des attaches profondes. Il a un casier judiciaire vierge tant en Belgique qu’en Espagne, où il était retourné vivre près de son père en 2005. Pourtant, au nom de sa double nationalité, la Belgique refuse d’intervenir d’une manière ou d’une autre pour protéger son ressortissant.
Une campagne internationale (www.freeali.eu) pour obtenir sa libération a été lancée en Espagne, en Belgique et en Grande-Bretagne, dont témoignait l’émission « [Indices http://www.rtltvi.be/video/279514.aspx] » sur RTL TVI du 23 février 2011.
LV

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