11 mars 2011

Une station d’écoute dans le Néguev

Ici travaillent des espions israéliens

Au nom de la lutte contre le terrorisme, nombre de pays ont déployé des systèmes d’écoute, en dehors de tout contrôle judiciaire. Le réseau Echelon, le plus célèbre d’entre eux, associe notamment les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Ignorée jusqu’ici, la base israélienne d’Ourim est l’une des plus grosses stations d’espionnage du monde.

Par Nicky Hager

A une trentaine de kilomètres de la prison de Beer-Sheva — où les passagers de la « flottille pour Gaza » furent brièvement détenus après l’assaut sanglant du 31 mai dernier —, en direction de la bande de Gaza, se trouve l’installation d’espionnage la plus importante d’Israël. Cette base, jamais dévoilée jusqu’ici, est constituée de lignes d’antennes satellites interceptant en secret appels téléphoniques, courriers électroniques et autres types de communications émis du Proche-Orient, d’Europe, d’Afrique et d’Asie.
La puissance d’Israël dans la région est souvent associée à ses forces armées, à son arsenal nucléaire et à ses services d’action clandestine (Mossad). Mais ses capacités de collecte électronique d’informations paraissent tout aussi importantes, qu’il s’agisse de surveiller gouvernements, organisations internationales, sociétés étrangères, organisations politiques et individus. Le travail d’espionnage s’effectue majoritairement depuis cette installation située aux abords du désert du Néguev, à environ deux kilomètres au nord du kibboutz d’Ourim. Nos informateurs ont travaillé dans le milieu du renseignement israélien, et connaissent cette base de première main. Ils décrivent des lignes d’antennes satellitaires de tailles variées et, de part et d’autre de la route 2 333 qui conduit à la base, des bâtiments et des baraquements. De hauts grillages, des barrières et des chiens protègent le domaine. Comme chacun peut le constater sur Internet, les images satellites de ce lieu ne sont pas brouillées. L’œil averti y distingue sans peine tous les éléments caractéristiques d’un poste de surveillance électronique. Un grand cercle dans les champs indique l’emplacement d’une antenne de recherche de direction (HF/DF), destinée à l’observation maritime.
La base d’Ourim fut établie il y a des décennies afin de surveiller les communications internationales transitant par le réseau satellitaire Intelsat, relais téléphonique majeur entre différents pays. Son activité s’étendit aux liaisons maritimes (Inmarsat), puis grossit rapidement pour cibler des satellites régionaux de plus en plus nombreux. Ainsi, cette base est « similaire, confirme le spécialiste du renseignement Duncan Campbell, aux stations terrestres d’interception satellitaire du pacte Echelon ». Echelon, c’est ce réseau mondial de stations de surveillance intégrant Etats-Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande, mis au jour en 1996  (1). Les téléphones satellites employés sur les bateaux en route vers Gaza étaient des cibles faciles pour ces équipements high-tech.
Nos sources israéliennes décrivent comment les ordinateurs sont « programmés pour distinguer des mots et des numéros de téléphone intéressants » au sein des appels, courriers électroniques et données captés. Les messages interceptés sont transférés au siège de l’Unité 8200 — la centrale de renseignement israélienne — dans la ville d’Herzliya, au nord de Tel-Aviv. Là, ils sont traduits et transmis aux autres agences, au nombre desquelles l’armée et le Mossad.
A l’instar de ses équivalents britannique (Government Communications Headquarters, GCHQ) et américain (National Security Agency, NSA), l’Unité 8200 est bien moins célèbre que l’agence de renseignement extérieur et d’opérations spéciales du pays, le Mossad. Celui-ci est pourtant, tout comme ses homologues le MI6 et la CIA, moins important en termes de budget et de personnel.

Eplucher les correspondances de routine

La base d’Ourim cible de nombreuses nations, amies comme ennemies. Une ancienne analyste, affectée lors de son service militaire à la centrale de l’Unité 8200, témoigne qu’elle travaillait à plein temps à traduire en hébreu des appels et courriels en anglais et en français. Une tâche « intéressante », dit-elle, consistant à éplucher de nombreuses correspondances de routine pour y dénicher des pépites. Sa section écoutait surtout « le trafic diplomatique et d’autres signaux offshore [internationaux] ». Elle passait aussi beaucoup de temps à explorer des sites Internet publics (2).
Pour compléter le tableau, la base d’Ourim traite les écoutes placées sur les câbles sous-marins (notamment ceux qui, en Méditerranée, relient Israël à l’Europe via la Sicile) et dispose de stations clandestines dans les bâtiments des représentations d’Israël à l’étranger, comme les ambassades. L’Unité 8200, qui dépend officiellement de l’armée, détient des relais secrets dans les territoires palestiniens et fait voler des avions Gulfstream bourrés d’équipement électronique.
Si l’on exclut les satellites de télévision — objectifs improbables pour une station de surveillance —, la plupart des émetteurs situés dans un arc qui s’étend de l’Atlantique à l’océan Indien sont des cibles potentielles : outre Intelsat et Inmarsat, ils sont russes, arabes, européens ou asiatiques. Les images de la base dévoilent une trentaine d’antennes de surveillance, faisant d’Ourim l’une des plus grosses stations d’espionnage de la planète. La seule structure comparable en taille est installée sur la base américaine de Menwith Hill, dans le Yorkshire (Angleterre).
D’autres stations d’écoute sont connues depuis les années 1980 : à proximité de la ville allemande de Bad Aibling se trouve une grande base de la NSA. Une autre installation américaine est située sur l’île de Diego Garcia, dans l’océan Indien, à côté d’une piste d’atterrissage où se profilent des bombardiers B-52. Quant au principal centre britannique, ses vingt antennes se laissent découvrir en haut des falaises des Cornouailles, à Morwenstow. La direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) française n’est pas en reste avec Frenchelon, un réseau incluant plusieurs bases dans l’Hexagone et les territoires d’outre-mer.
La station israélienne d’Ourim, elle, avait réussi à rester cachée du public des décennies durant.

Nicky Hager

Le Monde - septembre 2010

Aucun commentaire: