31 janvier 2010

Entretien avec Erdogan


Entretien sans langue de bois avec Recep Tayyip Erdogan.

A l’occasion du lancement de la version turque d’euronews, la neuvième langue de notre chaîne, les journalistes Nial O’Reilly et Ali Ishan Aydin ont rencontré le Premier ministre turc. Négociations d’adhésion avec l’Union européenne, relations avec Israël, minorité kurde et question arménienne. Autant de dossiers sensibles sur lesquels il a répondu sans détour.

euronews : “Les négociations d’adhésion avec l’Union européenne sont très lentes. Tandis que Bruxelles critique la Turquie pour avoir retardé les réformes, vous accusez certains dirigeants européens de faire obstruction. Actuellement, huit chapitres de négociations sont bloqués par la Commission européenne, cinq par Paris et six par les Chypriotes-grecs. Seuls quatre chapitres peuvent donc encore être ouverts. Alors comment voyez-vous l‘évolution de ces négociations d’adhésion ?”

Recep Tayyip Erdogan : “Malheureusement, certains Etats membres de l’Union n’agissent pas honnêtement. C’est de là que viennent les problèmes. Pourquoi est-ce que je dis cela ? Parce qu’ils tentent d’acculer la Turquie avec des conditions qui n’existent pas dans l’acquis communautaire. Et cela est très incorrect. Nous devons garder à l’esprit que nous, les dirigeants, nous sommes mortels mais que les nations ne le sont pas. Une approche négative de la part d’un dirigeant envers un pays peut influencer négativement la perception que le peuple de ce pays a de son leader.”

euronews : “Vous faites allusion à Monsieur Sarkozy ?”

Recep Tayyip Erdogan : “Oui. Monsieur Sarkozy provoque des choses que l’on ne comprend pas facilement. Mais peu importe ce qu’ils font ou les obstacles qu’ils placent sur notre chemin, nous poursuivrons notre marche patiemment. Il peut certainement y avoir une fin à cela, le jour où tous les Etats membres diront : nous n’acceptons pas la Turquie. Mais jusqu‘à ce qu’ils le disent, nous ne stopperons pas.”

euronews : “Pensez-vous que les différences religieuses et culturelles expliquent cette approche négative de la part de certains dirigeants européens ?”

Recep Tayyip Erdogan : “L’Union européenne ne devrait pas devenir un club chrétien. L’Union européenne ne devrait pas prendre part à une campagne islamophobe. Et chaque pays faisant cela doit être prévenu. Par exemple, moi-même, en tant que Premier ministre de la Turquie, j’ai ouvertement condamné l’antisémitisme et reconnu que cela était un crime contre l’Humanité. Mais je suis aussi sensible lorsqu’il s’agit d’islamophobie, parce que je suis un musulman, et je ne pourrai jamais tolérer l’antiislamisme. En tant que musulman, je défendrai ma position aussi longtemps que ce sera nécessaire. Personne ne peut associer Islam et terreur. Et moi, en tant que musulman et que Premier ministre de la République turque, je ne peux pas approuver quelqu’un qui ose le faire.”

euronews : “Que ce passera-t-il si les négociations sur la réunification de Chypre échouent ? Qu’attendez-vous de Bruxelles, de l’Union européenne ?”

Recep Rayyip Erdogan : “Jusqu‘à présent, l’Union européenne n’a pas été honnête non plus sur le dossier chypriote. 65% des électeurs du nord de Chypre ont dit oui au plan Annan. Et que s’est-il passé dans le sud ? 75% ont dit non. Alors qui est honnête dans une telle situation ? Le nord de Chypre… Et l’Union européenne porte une grande responsabilité dans le blocage actuel. Ils ont commis une erreur historique en acceptant la partie sud de Chypre dans l’Union. Monsieur Schröder a vivement critiqué cette politique européenne en disant que le nord de Chypre avait été traité de façon immorale. Madame Merkel dit aussi : nous avons fait une erreur en acceptant le sud de Chypre. Ils l’admettent. Mais maintenant, nous voyons qu’ils défendent le sud de Chypre. D’ailleurs, appeler le sud de Chypre Chypre tout court est une autre erreur politique parce qu’au nord il y a un autre Etat qui est en conflit avec le sud. Et nous, en tant que Turcs, nous reconnaissons cet état du nord. Nous ne spéculons pas sur cet Etat. D’autres peut-être. Mais ce n’est pas important pour nous. On se souviendra que les membres de l’Union européenne ont fait cette erreur. L’histoire s‘écrira dans ce sens, cela a déjà commencé.”

euronews : “Pensez-vous que vous verrez Chypre réunifiée dans les années qui viennent ?”

Recep Tayyip Erdogan : “Le sud de Chypre évite toujours un approche directe. Et au point où nous en sommes, l’Union européenne doit mettre en garde le sud. Il faut admettre que le processus de paix a été pris en otage.”

euronews : “Pensez-vous qu’il faudra encore beaucoup de temps pour résoudre cette question ?”

Recep Tayyip Erdogan : “Nous nous efforçerons de la résoudre cette année. Et nous voulons qu’elle soit résolue sous l‘égide des Nations unies. Nous pouvons même le faire en incluant toutes les parties concernées, les cinq. Je parle du nord et du sud de Chypre, de la Turquie, de la Grèce et du Royaume-Uni. Nous pouvons résoudre cela tous ensemble. Il y a quelques jours, Monsieur Gordon Brown m’a appelé et m’a demandé ce que nous pensions de l’idée de faire cela ensemble. Ce n’est pas un problème pour nous. Nous pouvons nous réunir et parler. Ce qui importe dans cette affaire, c’est d‘être juste. Si nous prenons l’engagement d‘être des Etats garants, nous devons savoir quelles sont ces garanties. Mais nous espérons que cette question sera résolue cette année.”

euronews : “Sur la question kurde, vous avez pris une initiative historique. Vous avez préparé un plan, un projet pour faire progresser ce dossier. Où en est le processus actuellement ?”

Recep Tayyip Erdogan : “C’est l’un des sujets les plus importants de notre agenda des dernières années. Mais si nous appelons cela la question kurde, nous affaiblissons notre projet. C’est un projet d’unité nationale et un projet d’amitié. Il n’est pas seulement concentré sur les Kurdes. C’est une initiative démocratique et la question kurde représente seulement un des problèmes ethniques. Mais malheureusement, cela a été mal compris par la société occidentale. Parce que si vous considérez cette question comme une question uniquement kurde, vous manquez de respect aux autres groupes ethniques qui composent la Turquie et la nation turque. Ce plan, ce projet les concerne tous. Nous travaillons sur d’autres groupes ethniques également.”

euronews : “Comment voyez-vous l’avenir des relations entre la Turquie et Israël ? Après tout ce qui s’est passé, pensez-vous encore que la Turquie peut jouer les médiateurs entre Israël et la Syrie ainsi que les autres pays arabes ?”

Recep Tayyip Erdogan : “Perdre un ami comme la Turquie, c’est une chose à laquelle Israël devrait songer. La façon dont ils ont traité notre ambassadeur n’a pas sa place en politique internationale. Nous avons fait de notre mieux pour les relations entre Israël et la Syrie. Mais maintenant, nous entendons Monsieur Netanyahou dire : je ne fais pas confiance à Erdogan mais plutôt à Sarkozy. Fallait-il vraiment donner un nom ? C’est là aussi de l’inexpérience diplomatique. Parce que quand vous dites cela… Comment puis-je vous faire confiance si vous dites que vous ne me faites pas confiance ? Nous avons d’importants accords en cours entre nous actuellement. Comment peut-on maintenir ces accords si nous laissons s’installer ce climat de méfiance ? Si Israël croit être une puissance mondiale, je pense que ce pays ferait mieux de revoir ses relations avec ses voisins.”

euronews : “Il y a quelques jours, le ministre israélien des Affaires étrangères vous a accusé d‘être à l’origine des tensions grandissantes entre vos deux pays, et en fait, il vous a accusé d’antisémitisme. Avec le recul, pensez-vous que vous auriez pu gérer cet incident de façon plus diplomatique ?”

Recep Tayyip Erdogan : “Je dis la vérité, et je continuerai de dire la vérité. La Turquie est un Etat qui a une histoire très ancienne. Il convient d‘être prudent quand on s’adresse à un tel Etat. Lorsque des civils innocents sont tués brutalement, frappés par des bombes au phosphore, que les infrastructures et autres sont anéanties par les bombes et que les gens sont forcés de vivre dans une prison à ciel ouvert, on ne peut pas concilier cela avec la Déclaration universelle des droits de l’Homme, les droits de l’homme les plus élémentaires, et on ne peut pas fermer les yeux sur tout cela.”

euronews : “Monsieur le Premier ministre, l’interprétation que la Cour constitutionnelle arménienne a faite des protocoles turco-arméniens qui visent à normaliser les relations entre les deux pays a déplu à Ankara. Quelle sera la répercussion de cette décision sur la politique turque ?”

Recep Tayyip Erdogan : “Apparemment, nous avons eu un mauvais départ tout au début. Mais que sommes-nous en train de négocier ? Qu’allons-nous faire ? L’Arménie devrait reconsidérer cela, parce que nous, en Turquie, nous avons rempli nos engagements inscrits dans ces protocoles. Les deux parties ont des feuilles de route. Et cela va se poursuivre. Nous sommes prêts, nous sommes sincères, et nous allons continuer d’avancer comme nous l’avons fait jusqu’ici.”

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