Elias Sanbar, poète et diplomate "amoureux de la Palestine"
PARIS, par Pierre Haski | Rue89 - Le 04 mai 2010
En partenariat avec Rue89.
Pour la sortie de son dernier livre, l'intellectuel partage daus un entretien accordé à Rue89 ses inquiétudes sur le Proche-Orient, où la paix est « quasi impossible » dit-il.
Pour la sortie de son dernier livre, l'intellectuel partage daus un entretien accordé à Rue89 ses inquiétudes sur le Proche-Orient, où la paix est « quasi impossible » dit-il.
Elias Sanbar occupe une place à part dans la diaspora palestinienne. Cet intellectuel palestinien natif de Haifa, aujourd'hui ville israélienne, installé en France depuis de longues années, peut, quasiment dans la même phrase, vanter le génie des poètes et s'enthousiasmer pour la dernière initiative de Barack Obama qu'il nous prédit prêt à s'engager réellement en faveur d'une paix imposée au Proche-Orient.
C'est ce qu'Elias Sanbar fait dans la vie, mais aussi dans le « Dictionnaire amoureux de la Palestine » qu'il vient de publier, dans lequel il réussit à mêler, en déroulant l'alphabet, de petits essais ciselés et percutants sur les enjeux de ce territoire qui n'est pas encore un pays, tout en y mêlant l'humour, la poésie, la culture.
L'auto-dérision aussi, comme cette entrée à la lettre « P ou B, telle est la question », qui ironise sur l'incapacité des Palestiniens à prononcer la lettre « P » alors que c'est le début de ce nom qu'ils ont eu tant de mal à faire accepter, au point de rester, pour tout visiteur des territoires occupés, le « beuple balestinien »…
Elias Sanbar explique, dans un entretien à Rue89, ce qu'il a voulu faire avec ce « dictionnaire », à commencer par le personnage de Yasser Arafat, non pas à la lettre « A », mais à « V ». « V » comme « Vieux ». Un dictionnaire qu'il a voulu « subjectif », éloigné des « mythes qui écrasent » la Palestine, très personnel aussi.
Nous lui avons demandé de choisir une définition de son dictionnaire et d'expliquer son choix, qui s'est porté sur le mot « absence ». Une référence, explique-t-il, au fait qu'en 1948, lors de la naissance de l'Etat d'Israël, « la Palestine n'est pas un pays occupé, c'est un pays disparu. C'est ce qui fait la grande différence avec ce qui adviendra en 1967 en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-Est, où on sera face à une occupation classique. Alors qu'en 1948, c'est une disparition ».
Une phrase, dans ce livre, m'a frappé par son pessimisme effrayant, surtout venant d'un homme qui a été associé à plusieurs étapes des négociations de paix, à Madrid au lendemain la première guerre du Golfe de 1991, ou dans différentes réunions d'« experts » qui tournent court depuis bientôt deux décennies :
« Maintenant que les colons sont parvenus à rendre la paix quasi impossible, quel miracle soustraira les deux peuples au sort funeste qui les attend, car pour reprendre le titre du beau livre de Rachel Mizrahi, si l'un meurt, l'autre aussi. »
Tout la nuance tient dans le « quasi » qui garde la porte entrouverte, car il considère qu'il reste « toujours une marge pour être surpris par l'accélération de l'Histoire ».
Même s'il reconnaît que l'extension de la colonisation crée une situation « extrêmement inquiétante », à la fois par le poids des colons dans les unités d'élite de l'armée israélienne qui pourraient être amenées un jour à exécuter un ordre d'évacuation des territoires palestiniens, ou même par le simple fait qu'un membre important du gouvernement comme le ministre des Affaires étrangères Avigdor Liberman, habite lui-même une colonie.
Et pourtant, Elias Sanbar est venu nous rendre visite vendredi avec ce qu'il considère comme des nouvelles encourageantes pour la paix.
Des nouvelles venues des Etats-Unis, où l'administration Obama, excédée par l'intransigeance israélienne et considérant que celle-ci met en danger les positions des Etats-Unis dans le monde arabo-musulman, vient de faire savoir aux Palestiniens qu'elle ne s'opposera pas à l'adoption au Conseil de sécurité de l'ONU d'une résolution condamnant la colonisation israélienne des territoires palestiniens.
De même, Elias Sanbar prête au Président américain le projet de laisser quatre mois aux deux parties pour « enclencher une solution négociée », faute de quoi il convoquera une conférence internationale qui pourrait l'imposer. Un passage en force qu'il juge indispensable dans la configuration actuelle :
« Avec cette équipe aux commandes en Israël, il est quasiment impossible d'arriver à la paix sans une intrusion d'un acteur extérieur. »
Une paix d'autant plus indispensable qu'une véritable course de vitesse est engagée, selon lui, avec le risque de guerre et de violence, en particulier avec l'Iran. Une confrontation qui, selon Elias Sanbar, arrangerait les affaires des plus durs des Israéliens qui y verraient le moyen de ramener les Etats-Unis 100% à leurs côtés.
Mais ce « piège », selon lui, ne fonctionnera pas car « c'est une partie de cartes dans laquelle tous les joueurs connaissent les cartes de tous les autres joueurs… »
Reste la question de la division palestinienne, argument là encore utilisé par la partie israélienne pour éviter d'avancer, mais qui s'appuie aussi sur la réalité de l'hostilité ouverte entre l'Autorité palestinienne dirigée à partir de la Cisjordanie par Mahmoud Abbas, et les islamistes du Hamas, solidement installés dans la bande de Gaza.
Elias Sanbar rejette l'argument d'un revers de la main, en affirmant que si l'absence de perspective de paix sert à « gonfler la baudruche » du Hamas depuis des années, une négociation qui aboutirait à une solution véritable retournerait l'opinion palestinienne rapidement et réduirait le Hamas à son étiage d'origine, celui d'un noyeau idéologique limité.
S'il est un personnage qui traverse ce « dictionnaire amoureux », ce n'est pas Yasser Arafat ou un leader politique quelconque, c'est le poète Mahmoud Darwich, disparu en 2008, et qui incarnait une certaine idée de la culture palestinienne, mais aussi une exigence morale forte.
Elias Sanbar était son ami, son traducteur aussi (sa dernière œuvre traduite, « Le Lanceur de dés », vient de sortir chez Actes-Sud). Il l'évoque en termes émouvants et forts, comme tous ceux qui ont connu ce poète de l'exil, mort et enterré à Ramallah, en Cisjordanie, pas si loin de sa région natale située près de St Jean d'Acre ; une région dont il était toutefois séparé par un mur de béton.
Elias Sanbar, « Dictionnaire amoureux de la Palestine », éd. Plon, 481 p, 24,50 €.
C'est ce qu'Elias Sanbar fait dans la vie, mais aussi dans le « Dictionnaire amoureux de la Palestine » qu'il vient de publier, dans lequel il réussit à mêler, en déroulant l'alphabet, de petits essais ciselés et percutants sur les enjeux de ce territoire qui n'est pas encore un pays, tout en y mêlant l'humour, la poésie, la culture.
L'auto-dérision aussi, comme cette entrée à la lettre « P ou B, telle est la question », qui ironise sur l'incapacité des Palestiniens à prononcer la lettre « P » alors que c'est le début de ce nom qu'ils ont eu tant de mal à faire accepter, au point de rester, pour tout visiteur des territoires occupés, le « beuple balestinien »…
Elias Sanbar explique, dans un entretien à Rue89, ce qu'il a voulu faire avec ce « dictionnaire », à commencer par le personnage de Yasser Arafat, non pas à la lettre « A », mais à « V ». « V » comme « Vieux ». Un dictionnaire qu'il a voulu « subjectif », éloigné des « mythes qui écrasent » la Palestine, très personnel aussi.
Nous lui avons demandé de choisir une définition de son dictionnaire et d'expliquer son choix, qui s'est porté sur le mot « absence ». Une référence, explique-t-il, au fait qu'en 1948, lors de la naissance de l'Etat d'Israël, « la Palestine n'est pas un pays occupé, c'est un pays disparu. C'est ce qui fait la grande différence avec ce qui adviendra en 1967 en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-Est, où on sera face à une occupation classique. Alors qu'en 1948, c'est une disparition ».
Une phrase, dans ce livre, m'a frappé par son pessimisme effrayant, surtout venant d'un homme qui a été associé à plusieurs étapes des négociations de paix, à Madrid au lendemain la première guerre du Golfe de 1991, ou dans différentes réunions d'« experts » qui tournent court depuis bientôt deux décennies :
« Maintenant que les colons sont parvenus à rendre la paix quasi impossible, quel miracle soustraira les deux peuples au sort funeste qui les attend, car pour reprendre le titre du beau livre de Rachel Mizrahi, si l'un meurt, l'autre aussi. »
Tout la nuance tient dans le « quasi » qui garde la porte entrouverte, car il considère qu'il reste « toujours une marge pour être surpris par l'accélération de l'Histoire ».
Même s'il reconnaît que l'extension de la colonisation crée une situation « extrêmement inquiétante », à la fois par le poids des colons dans les unités d'élite de l'armée israélienne qui pourraient être amenées un jour à exécuter un ordre d'évacuation des territoires palestiniens, ou même par le simple fait qu'un membre important du gouvernement comme le ministre des Affaires étrangères Avigdor Liberman, habite lui-même une colonie.
Et pourtant, Elias Sanbar est venu nous rendre visite vendredi avec ce qu'il considère comme des nouvelles encourageantes pour la paix.
Des nouvelles venues des Etats-Unis, où l'administration Obama, excédée par l'intransigeance israélienne et considérant que celle-ci met en danger les positions des Etats-Unis dans le monde arabo-musulman, vient de faire savoir aux Palestiniens qu'elle ne s'opposera pas à l'adoption au Conseil de sécurité de l'ONU d'une résolution condamnant la colonisation israélienne des territoires palestiniens.
De même, Elias Sanbar prête au Président américain le projet de laisser quatre mois aux deux parties pour « enclencher une solution négociée », faute de quoi il convoquera une conférence internationale qui pourrait l'imposer. Un passage en force qu'il juge indispensable dans la configuration actuelle :
« Avec cette équipe aux commandes en Israël, il est quasiment impossible d'arriver à la paix sans une intrusion d'un acteur extérieur. »
Une paix d'autant plus indispensable qu'une véritable course de vitesse est engagée, selon lui, avec le risque de guerre et de violence, en particulier avec l'Iran. Une confrontation qui, selon Elias Sanbar, arrangerait les affaires des plus durs des Israéliens qui y verraient le moyen de ramener les Etats-Unis 100% à leurs côtés.
Mais ce « piège », selon lui, ne fonctionnera pas car « c'est une partie de cartes dans laquelle tous les joueurs connaissent les cartes de tous les autres joueurs… »
Reste la question de la division palestinienne, argument là encore utilisé par la partie israélienne pour éviter d'avancer, mais qui s'appuie aussi sur la réalité de l'hostilité ouverte entre l'Autorité palestinienne dirigée à partir de la Cisjordanie par Mahmoud Abbas, et les islamistes du Hamas, solidement installés dans la bande de Gaza.
Elias Sanbar rejette l'argument d'un revers de la main, en affirmant que si l'absence de perspective de paix sert à « gonfler la baudruche » du Hamas depuis des années, une négociation qui aboutirait à une solution véritable retournerait l'opinion palestinienne rapidement et réduirait le Hamas à son étiage d'origine, celui d'un noyeau idéologique limité.
S'il est un personnage qui traverse ce « dictionnaire amoureux », ce n'est pas Yasser Arafat ou un leader politique quelconque, c'est le poète Mahmoud Darwich, disparu en 2008, et qui incarnait une certaine idée de la culture palestinienne, mais aussi une exigence morale forte.
Elias Sanbar était son ami, son traducteur aussi (sa dernière œuvre traduite, « Le Lanceur de dés », vient de sortir chez Actes-Sud). Il l'évoque en termes émouvants et forts, comme tous ceux qui ont connu ce poète de l'exil, mort et enterré à Ramallah, en Cisjordanie, pas si loin de sa région natale située près de St Jean d'Acre ; une région dont il était toutefois séparé par un mur de béton.
Elias Sanbar, « Dictionnaire amoureux de la Palestine », éd. Plon, 481 p, 24,50 €.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire