16 mai 2010


Palestine

Du blocus à la déportation

Entretien avec Manal Khalil *

Selon un article par Amira Hass dans le journal israélien Haaretz– et publié sur ce site en date du 18 avril 2010 – du l'armée israélienne (Israel Defense Force -IDF) a publié un décret qui lui permettra de déporter des dizaines de milliers de Palestiniens de Cisjordanie. D'après Hass, lorsque le décret entrera en vigueur, «des dizaines de milliers de Palestiniens deviendront automatiquement des criminels passibles d'encourir des peines sévères» qui pourront être expulsés ou condamnés à des peines de prison allant jusqu'à sept ans.

Hass pense que ce décret sera utilisé contre les résidants palestiniens de Cisjordanie dont les cartes d'identité indiquent qu'ils sont domiciliés à Gaza, contre ceux qui – pour une raison ou une autre– on vu leur statut de résidant révoqué par le gouvernement israélien et contre les conjoints nés à l'étranger de Palestiniens.

Manal Khalil est un résidant de Cisjordanie. Il s'est exprimé sur le site de The Sitch [1] en mars 2010 lorsque l'IDF a imposé un blocus de la Cisjordanie. Avec et la menace de déportation de masse, Adriano Contreras et Brian Lorenzo ont a nouveau posé quelques questions à Manal sur les développements récents de l'occupation israélienne. (Réd.)

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D'après l'article de Haaretz, l'armée israélienne a publié de nouveaux décrets pour la déportation des Palestiniens du territoire israélien et l'expulsion de Cisjordanie des Palestiniens qu'elle juge être des «infiltrés». Que pensez-vous de cela ?

D'abord j'aimerais souligner que ceux que Israël considère être des «infiltrés» sont des citoyens palestiniens. Certains sont nés à Gaza, ou alors leurs parents résidaient à Gaza, ce qui figure dans leurs papiers d'identité palestiniens.

Pour Israël, cela signifie qu'ils n'ont pas le droit de vivre en Cisjordanie, et devraient donc être déportés. Il ne s'agit pas seulement d'interdire aux Palestiniens de voyager entre la Cisjordanie et Gaza: désormais si une femme de Gaza a épousé un Palestinien de Cisjordanie, le couple n'a plus le droit de vivre en Cisjordanie! Une telle mesure entraînera des bouleversements pour beaucoup de familles: soit elles seront forcées de partir, soit l'un des parents ou les enfants devront partir, sous peine ­d'être emprisonnés avant d'être amendés.

Le deuxième groupe ciblé est celui des Palestiniens qui, pour différentes raisons, ont vécu en dehors de la Palestine pendant une période prolongée. Beaucoup de ces Palestiniens étaient revenus en Palestine grâce à ce qui est appelé «Lam shamel» [permis pour des raisons de regroupement familial], mais n'ont jamais reçu l'approbation par Israël pour être considérés comme de citoyens palestiniens légaux. Ils vivent en Palestine sans avoir des cartes d'identité palestiniennes. Beaucoup d'entre eux n'ont pas quitté les villes où ils vivent depuis des décennies parce que s'ils sont arrêtés à un poste de contrôle ils seront déportés.

En lisant ce qui précède vous aurez peut-être de la peine à croire que c'est «Israël» qui peut décider et approuver qui a le droit de recevoir une carte d'identité palestinienne et qui peut être considéré comme un citoyen palestinien «légal», mais c'est ainsi que se passent les choses ici.

Cette mesure concerne également les citoyens de Jérusalem Est, dont les maisons ont été séparés par le mur de ségrégation: comme elles se trouvent désormais en dehors des murs, elles ne sont plus considérés comme faisant partie de Jérusalem, comme el Ezareye et d'autres zones palestiniennes. Pour pouvoir conserver leurs cartes d'identité de Jérusalem, beaucoup d'occupants de ces maisons ont dû louer de nouvelles maisons à l'intérieur de Jérusalem, alors qu'ils ont leurs propres maisons de l'autre côté du mur. Désormais, ils devront donc obtenir l'autorisation de vivre dans leurs maisons d'origine qui sont restés hors du mur de séparation, sans quoi ils seront emprisonnés et/ou amendés s'ils se trouvent dans des zones qui sont considérées comme faisant partie de la Cisjordanie. Il est évident que cette mesure affectera beaucoup de familles et de personnes.

En quoi les citoyens de Cisjordanie et de Gaza et le fait de savoir où ils résident concernent-ils Israël ?! Alors même qu'aucun d'entre eux n'a même le droit de se rendre dans des zones qui se trouvent sous l'autorité «israélienne». Mais «Israël» est prêt à faire n'importe quoi pour dénier aux Palestiniens leur droit à la citoyenneté, même à l'intérieur de la Cisjordanie.

Est ce que ces mesures auront des implications pour les personnes qui se rendent au mur de séparation chaque semaine ? Pensez-vous qu'outre les mesures de répression contre les personnes suspectées par l'IDF d'être des «infiltrés» il y aura une répression contre les opposants actifs ?

Il ne faut pas utiliser ce terme d' «infiltrés», qui va justement dans le sens de ce qu'Israël essaie d'établir aux yeux du monde entier. Ils s'agit, dans tous les cas, de Palestiniens.

Je pense effectivement que cette décision est dirigée en partie contre ceux qui manifestent chaque semaine contre le mur, dont les actions ont été très médiatisées et gagné un soutien international. Il faut noter que tous les activistes internationaux qui viennent en Palestine pour protester contre le mur avec les Palestiniens doivent être en possession d'un visa d'Israël. Ils ne mentionnent pas à la frontière qu'ils vont visiter des zones palestiniennes. En fait, ils ne sont pas censés se trouver dans des zones palestiniennes, il est donc possible que le décret les vise eux aussi.

Mais je ne crois pas que cela mettra un terme aux protestations. En effet, l'IDF a déjà annoncé que les localités comme Bil'in et de Ni'lin où ces protestations ont lieu font partie de zones militaires, mais cela n'a pas mis un terme aux protestations.

Y-a-t-il eu des manifestations dans votre région ?

Dernièrement il y a eu de nombreuses manifestations. Certaines étaient dirigées contre les signes annonçant qu'Israël allait poursuivre la construction du mur de séparation dans la région de Beit Jala. D'autres ont eu lieu à d'autres points du mur et aux principaux postes de contrôle entre Bethlehem et Jérusalem, où seuls les détenteurs de cartes d'identité de Jérusalem et des Palestiniens munis de permis sont autorisés à passer, parce que Israël est en train de refuser à beaucoup de Palestiniens le droit d'aller à Jérusalem pour la célébration de Pâques et la participation à des prières. Au cours de cette dernière manifestation il y a eu de nombreuses arrestations, mais les personnes détenues ont été libérées plus tard.

A niveau international, il y a eu une série de manifestations et de déclarations de soutien à des actions de boycott, de désinvestissement et des sanctions. Est-ce que vous en entendez parler de ces actions en Cisjordanie ? Les gens ont-ils l'impression que le mouvement BDS (Boycott - Désinvestissement - Sanctions) est en train de progresser ?

Nous sommes au courant de la plupart des manifstations et des déclarations de soutien à la campagne de BDS [voir à ce sujet le livre de Omar Barghouti, Boycott, Désinvestissements, Sanctions, La Fabrique Editions, 2010]. Mais je pense qu'on devrait leur donner davantage d'importance, pour que ces manifestations de soutien gagnent en popularité et se diffusent plus largement.

J'aimerais souligner que la campagne BDS s'est également renforcée en Palestine même, et que des campagnes ont été lancées par les étudiants de plusieurs universités palestiniennes. Certaines de ces actions ont fait partie de la «Sixième semaine contre l'apartheid israélien» qui s'est déroulée dans beaucoup de villes dans le monde ainsi qu'en Palestine même.

Que pensent les gens des actions d'Obama et du gouvernement des Etats-Unis en ce qui concerne la Palestine, une année après, par rapport à ce qu'ils pensaient juste après son élection ?

Il y a deux groupes de Palestiniens. Il y a ceux qui s'attendaient à ce qu'Obama soit différent, et ceux-ci sont très déçus, car les Etats-Unis ne font strictement rien et sont réticents à l'idée d'empêcher Israël de faire tout ce qu'il voudra.

Il y a aussi ceux – et c'est la majorité – qui savaient qu'Obama n'apporterait pas de changement parce qu'ils avaient connaissance que cette orientation fait partie de la politique états-unienne et ne dépend pas du président. Ils savaient aussi que Obama, comme tous les autres présidents états-uniens, a exprimé son souci pour Israël et manifesté son soutien à ce pays. (Traduction A l’encontre)

Cet entretien a été conduit par Adriano Contreras et brian Lenzo et publié dans l’organe de l’ISO (International Socialist Organization) Socialist Worker (Etats-Unis)

1. http://www.thesitch.com/politics/2010/03/west-bank-on-lockdown-a-conversation-with-manal-khalil/

(19 avril 2010)


A l'encontre, case postale 120, 1000 Lausanne 20 administration@alencontre.org

Soutien: ccp 10-25669-5

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