Routes palestiniennes : renforcer l’Etat ou l’annexion israélienne ?
mardi 4 mai 2010
Nadia Hijab et Jesse Rosenfeld
The Nation
Un les plans ambitieux de l’AP inclut des routes et d’autres infrastructures dans la Cisjordanie, avec des fonds fournis par les États-Unis, l’Europe et d’autres donateurs.
Fayyad a argumenté que ce développement rendra impossible d’ignorer la réalité d’un État palestinien. Pourtant, beaucoup des nouvelles routes facilitent l’expansion des colonies israéliennes et ouvrent la route à la mainmise sur les grandes routes de Cisjordanie pour un usage israélien exclusif.
Pendant des décennies, Israël a mené ses propres projets d’infrastructures dans les territoires occupés de Cisjordanie et de Jérusalem Est. Ceci inclut un réseau routier ségrégué qui, avec le Mur de séparation commencée en 2002, divise les zones palestiniennes les unes des autres tout en rapprochant d’Israël les colonies — toutes illégales selon la loi internationale.
Maintenant, armées d’informations provenant des Nations unies et de leurs propres recherches, des ONG palestiniennes sonnent l’alarme. Leurs preuves mettent l’accent sur le degré par lequel la construction de routes par l’autorité palestinienne facilite l’objectif israélien d’annexion de vastes régions de Cisjordanie — rendant impossible un État palestinien viable.
Les routes actuellement en construction dans le gouvernorat de Bethléem sont un exemple de premier choix, car elles compléteront la séparation du bloc de colonies de Gush Etzion, qui inclut certaines des premières colonies israéliennes, de la Cisjordanie palestinienne, en avalant des parties supplémentaires de Bethléem en cours de route. L’AP construit ces routes avec des financements de l’US Agency for International Development (USAID) et du contribuable américain au bout du compte.
Les Palestiniens de Bethléem n’avaient pas saisi les implications des constructions de routes PA-USAID jusqu’à une réunion organisée le mois dernier par Badil, le groupe pour les droits des réfugiés. Des représentants des conseils locaux, des camps de réfugiés, des bureaux du gouvernorat et des O.N.G. ont été choqués par l’information présentée, et appellent à une halte de la construction des routes pour jusqu’à ce que les risques soit estimés.
Il est peu vraisemblable que l’AP ou USAID avancent délibérément des plans d’annexion israélienne. Cependant, plusieurs facteurs conspirent pour aider Israël à bénéficier de l’aide des donateurs au développement palestinien et à faucher la terre des pieds des Palestiniens. Par exemple, il est impossible de construire dans la plupart des zones sans l’accord d’Israël, et la permission n’est habituellement donnée que quand elle convient aux plans israéliens.
En tant que ministre des travaux publics, Mohammad Shtayyeh a défendu le plan de remise en état et de construction de routes de l’AP : « Tous ces efforts ont amélioré l’infrastructure palestinienne et entrent dans les plans du gouvernement », a-t-il dit. Mais, a-t-il ajouté, « ce travail a besoin d’un cadre politique pour terminer l’occupation ». (Shtayyeh a démissionné de son poste depuis). Quant à USAID, il insiste pour dire que l’AP est responsable de la sélection des projets, et que son rôle se limite à l’estimation économique et technique et au financement.
Mais une recherche par l’Applied Research Institute of Jerusalem (ARIJ), le respecté institut palestinien sur les ressources naturelles, révèle quelques faits accablants : 32 % des routes de l’AP financées et réalisées par USAID s’insèrent exactement dans une proposition de l’administration civile israélienne (cad. l’autorité militaire d’occupation) présentée aux donateurs en 2004. Israël voulait que les donateurs financent quelque 500 km de routes alternatives pour servir aux Palestiniens qu’il rejetait du réseau routier principal (voir le diaporama). Les donateurs rejetèrent la proposition à cette époque là, mais il s’avère maintenant que les travaux d’AP-USAID ont effectivement réalisé 22 % du plan israélien.
Quand on fait remarquer que beaucoup des roues alternatives pourraient faciliter l’expansion des colonies, la ségrégation de type apartheid et l’annexion en retirant les Palestiniens du réseau principal — opérant ainsi contre un État palestinien — Shtayyeh dit, « Nous ne voyons pas ça ainsi. Les Israéliens empêchent les gens d’utiliser ces routes, et notre job est de trouver des moyens pour que les gens survivent. Ça ne veut pas dire que ces routes sont des structures permanentes ».
L’unité technique des négociations (NSU) de l’OLP a soigneusement étudié les périls du développement de l’infrastructure sous occupation après que la Cour Internationale de Justice ait réaffirmé en 2004 d’illégalité du mur Israélien en Cisjordanie occupée. Le NSU a préparé un manuel avec un guide sur la façon de construire sans devenir complice de la colonisation israélienne. Interrogé pour savoir si l’AP était consciente du rôle que ces routes joueraient dans l’annexion coloniale, un collaborateur du NSU, s’exprimant anonymement car il n’était pas autorisé à parler aux médias, a dit à The Nation, « Nous avons présenté notre argumentaire au bureau du Premier ministre et à Mohammed Shtayyeh, et ils sont bien informés du problème ».
Lors d’un meeting avec Badil et d’autres O.N.G. palestiniennes locales, un haut responsable au ministère des travaux publics palestinien aurait critiqué certaines municipalités palestiniennes pour avoir exacerbé le problème en traitant directement avec les donateurs, sans considérer l’intérêt national. Il a aussi visé les agences d’aide internationale, disant que les donateurs occidentaux insistaient pour satisfaire les colonies israéliennes. Par exemple, dit-il, les donateurs allemands permirent à la colonie israélienne de Psagot de se connecter au système de traitement des eaux usées d’El Bireh malgré les objections de l’AP. Il a ajouté qu’USAID va dans le sens des priorités de l’AP « tant qu’Israël n’objecte pas ».
Route vers la dépossession
Les accords d’Oslo entre Israël et l’OLP ont facilité la réalisation du système routier israélien ségrégué. L’AP, établi en principe pour une période intérimaire de cinq ans en 1994, contrôle la zone A, quelques 17 % de la Cisjordanie. Israël et l’AP contrôlent conjointement la zone B, tandis qu’Israël garde un contrôle absolu de la zone C, quelques 60 % de la Cisjordanie. Pas par coïncidence, les zones A et B incluent 96 % de la population palestinienne, tandis que la zone C inclut les colonies et la plus grande partie des terres agricoles, y compris la fertile vallée du Jourdain. De plus, Israël contrôle complètement le développement à Jérusalem Est, annexé de facto depuis 1967.
Israël continue à renforcer ces accords intérimaires pour les rendre permanents, le contrôle de la construction de routes étant un de ses outils principaux. USAID explique que « seules » les routes situées dans les zones B et C (plus de 80% de la Cisjordanie) demandent une coordination avec les autorités israéliennes. Les routes situées en zone B sont envoyées à la Liaison ‘Civile’ de District d’Israël pour coordination sécuritaire, tandis que celles en zone C sont soumises à « coordination sécuritaire et permis de construire » si bien que la Liaison peut vérifier « la conformité avec les plans directeurs existants et la confirmation des droits de passage ».
La directrice de Badil Ingrid Jaradat Gassner a dit que l’AP reçoit permission rapide de l’Administration ‘Civile’ Israélienne pour les constructions en zone C qui peuvent s’incorporer dans les plans routiers israéliens. Elle ajoute que les routes ne sont pas toutes un problème, mais celles qui ne se relient pas aux routes principales ou qui servent de substituts à des routes établies inquiètent sérieusement.
Après que les donateurs aient rejeté son plan de réseau alternatif en 2004, Israël a commencé quand même à construire les routes, les appelant plus tard « routes tissus de vie ». « En plus d’être racistes, ces routes sont un gâchis », a dit Sarit Michaeli, porte-parole de B’Tselem, l’association israélienne des droits de l’homme. « les routes ‘tissus de vie’ sont faites pour résoudre un problème qui a été imposé illégalement par Israël dans la plupart des cas ».
A la mi-2009, le bureau de Coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) estimait que les autorités israéliennes avaient asphalté 95 km de routes alternatives, dont 43 tunnels et franchissements inférieurs, soulevant des problèmes non seulement politiques mais environnementaux sur l’impact de ce réseau supplémentaire sur une zone aussi petite que la Cisjordanie. OCHA décrit les routes ‘tissus de vie’ comme un des mécanismes pour contrôler les déplacements des Palestiniens et faciliter celui des colons Israéliens. B’Tselem estime qu’Israël a dépensé quelque 44,5 M$ dans le réseau routier ‘tissus de vie’ - un faible prix pour la saisie de vastes étendues de terres.
L’impact humain
Nidal Hatim, un dramaturge local, éditorialiste et militant online avec le mouvement boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), ne peut pas prendre la route principale entre Bethléem et son village de Battir, juste au dehors de la ville. La route 60 est la route principale Nord-Sud passant par le centre de la Cisjordanie. « Pour aller sur la route, nous devons passer par le checkpoint et faire demi-tour », dit-il. « J’ai une carte d’identité palestinienne de Cisjordanie, alors je ne peux pas passer le checkpoint ». A la place, il prend une route latérale accidentée construite actuellement par l’AP avec le soutien d’USAID. La route varie de ciment instable à rue résidentielle à route de terre et gravier, passant de part et d’autre et sous la route 60 à quatre voies qui sert surtout aux colons Israéliens maintenant. Passant par un tunnel partiellement terminé, la voiture cale une seconde sur une forte pente non goudronnée en bordure d’une oliveraie.
D’après Hassan Awaineh, membre du conseil municipal de Battir, le tunnel va devenir le seul point d’accès connectant les 20.000 habitants de Battir et des villages avoisinants à Bethléem.
Michaeli de B’Tselem affirme que le double système routier de Cisjordanie « va renforcer le contrôle israélien sur le long terme. Le tunnel qui connecte avec Battir peut être contrôlé par une seule jeep de l’armée ».
Le tunnel permettra à Israël d’intégrer pleinement le bloc de colonies de Gush Etzion à Israël et de le séparer de la population palestinienne, dit une travailleuse d’une ONG occidentale. « Une fois le tunnel terminé, c’en est fini », dit-elle, anonymement parce qu’elle n’a pas le droit de parler aux médias. Assis sur son porche à Battir, surplombant la vallée où passe le train Tel-Aviv - Jérusalem, Awaineh indique la station maintenant défunte de Battir, où les trains stoppaient sous les régimes ottomans et britanniques. Depuis, Battir a eu la moitié de sa terre confisquée par Israël, et l’activité palestinienne y est interdite. Awaineh se penche, le soleil se reflète sur ses cheveux blancs, et il soupire. « A la fin, ils rendront la vie difficile pour les étudiants allant à l’école, pour les travailleurs allant travailler et les cultivateurs allant à leurs champs », dit-il. « Les gens seront forcés à partir pour Bethléem ».
« Ceci fait partie de la politique israélienne d’ « amincissement » des zones palestiniennes, dit le travailleur de l’ONG. « Ce n’est pas du nettoyage ethnique déclaré mais plutôt du déplacement pas à pas, juste comme ce qui a été fait aux Palestiniens restés en Israël en 1948 ». Ce qui se passe à Battir et son voisinage dans la zone C s’est déjà produit dans la zone de Jérusalem-Ramallah et ailleurs en Cisjordanie.
Comment ça marche
Une diapo d’une présentation Powerpoint produite par OCHA sur les développements dans la zone de Gush Etzion montre graphiquement comment les routes construites par l’AP-USAID sont connectées aux routes israéliennes de ‘dérivation’ existantes ou prévues qui repoussent les Palestiniens hors du réseau principal. La diapo a disparu du site web d’OCHA après une présentation aux organisations donatrices mais The Nation en a obtenu une copie. ARIJ a produit ses propres cartes montrant l’impact du développement de Gush Etzion. L’achèvement du mur de séparation va rompre l’accès des Palestiniens à la portion de la route 60 entre Bethléem et Hébron. Israël pousse de plus en plus les Palestiniens hors de la toute 60 et sur d’autres routes comme la route 356, dont Israël a remis en état une partie. Bien commode pour Israël, l’AP a remis en état un autre segment de la 356 avec le soutien de donateurs étrangers, et un troisième segment est en cours de réhabilitation avec l’aide d’USAID.
« Quand vous regardez tout l’ensemble, il semble que nous n’allons plus utiliser la route 60 très longtemps », dit Gassner, la directrice de Badil, dans son bureau de Bethléem.
Cela empire. La remise en état de la route 356 a donné un nouveau souffle à plusieurs colonies juives du gouvernorat de Bethléem. ARIJ fait remarquer que les colonies de Teqoa et de Noqdim ont vu leur temps de trajet à Jérusalem réduit de 45 à 15 minutes, encourageant les colons à acheter des propriétés dans le bloc, où les prix ont grimpé de 70%. A l’inverse, les Palestiniens seront poussés de la route 60 vers la route 356 verront leur temps de trajet d’Hébron à Bethléem quadrupler à 100 minutes. Et bien sûr Israël a rendu Jérusalem de plus en plus hors limites pour les Palestiniens de Cisjordanie.
Tollé palestinien
Il est certain que les Palestiniens ont besoin et ont droit à une infrastructure sûre et fonctionnelle et que les communautés le réclament. Il est aussi clair qu’Israël exerce un pouvoir écrasant sur les territoires palestiniens occupés, mettant de nombreux obstacles sur le chemin des actions indépendantes. De plus, les communautés dépendent des bonnes grâces de l’AP pour l’aide au développement, qui dépend lui-même du financement de donateurs comme USAID.
Néanmoins, ceux sur la ligne de front n’acceptent pas un développement à n’importe quel prix, et les militants demandent que les constructions de routes soient stoppées jusqu’à ce que des estimations des risques politiques soient faites. « Personne de veut voir les mauvaises routes construites en une nuit », dit Gassner.
« Les gens ici ont besoin de résister », dit Hatim, le militant dramaturge. Marchant près d’une station de taxis palestiniens au coucher du soleil et regardant le tunnel qui connecte son village à Bethléem tandis que les voitures de colons filent au dessus, il ajoute, « Nous devons cibler aussi l’AP et USAID. Les gens doivent boycotter USAID et ses prestataires. Tant que le problème est Israël, l’AP et USAID, nous devons lutter sur les trois fronts ».
Awaineh de Battir, qui est proche de l’AP, a une critique plus rentrée et met l’accent sur le rôle israélien. Mais quand on le presse, il est clair sur la nécessité de résister à l’isolement et au déplacement de sa communauté. « Nous devons encourager les gens à rester ici et à survivre. L’AP et USAID doivent construire des routes pour le peuple palestinien, pas pour les colons au nom des Palestiniens ».
Les auteurs remercient Eli Clifton d’Inter-Press Service pour son aide.
* Nadia Hijab est analyste indépendante et membre permanente du bureau de l’Institute for Palestine Studies à Washington, D.C. Plus...
* Jesse Rosenfeld écrit sur le Moyen-Orient depuis 2007 et est l’éditeur de http://www.thedailynuisance.com. Plus...
30 avril 2010 - The Nation - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.thenation.com/article/pa...
Traduction de l’anglais : Jean-Pierre Bouché
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire