07 mai 2010

Vivre et aimer en Palestine

jeudi 6 mai 2010 - 11h:31

Sahar Khalifeh & Kawter Salam - Palestine ThinkTank


Nous les Palestiniennes, nous les Arabes, nous les femmes arabes, nous sommes coincées entre les préjugés occidentaux et les fondamentalistes islamiques.

Vivre et aimer en Palestine est une soirée littéraire, musicale et culturelle qui aura lieu le 7 mai 2010 à l’Odéon, à Vienne (Autriche). L’évènement est organisé par la Société pour les relations austro-arabes, dirigée par Mr Fritz Edlinger. Le Dr Sahar Khalifeh, célèbre écrivaine et romancière palestinienne, participera à la soirée aux côtés de l’acteur de théâtre et de télévision autrichien bien connu, Karl-Heinz Hackl, qui lira des passages de son livre en allemand. Le musicien Marwan Abdo exécutera de la musique typique arabe. La soirée se poursuivra avec un dialogue entre Khalifeh et Viola Raheb.

Marwan Abdo, né en 1967 à Beyrouth, Liban, est un réfugié palestinien. Enfant, il fait l’expérience de la vie dans la diaspora. En 1985, il vient en Autriche pour poursuivre ses études. A Vienne, il trouve une nouvelle patrie, comme musicien, chanteur, compositeur et poète. L’instrument d’Abdo, l’oud (luth orientale à manche court), a pour la musique arabe quasiment la même importance que le piano pour la culture occidentale, sa musique prend ses racines dans la musique arabe classique et ne se limite pas à des rythmes particuliers, ses mélodies et ses concepts musicaux tirent leurs forces de leur attachement profond à ces racines. Depuis avril 2000, il forme un duo avec Peter Rosmanith. (En savoir plus sur Marwan Abdo)

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Sahar Khalifeh est une écrivaine et romancière palestinienne, née en 1942 dans la ville occupée de Naplouse, en Cisjordanie. Elle reçoit un diplôme universitaire de littérature anglaise et américaine de l’université de Bir Zeit en 1977, un diplôme de création littéraire de l’université de l’Iowa en 1978, une maîtrise en littérature anglaise et américaine de l’université de Caroline du Nord - Chaptel Hill, USA, en 1982. Elle obtient un doctorat en Etudes féminines et en littérature féminine américaine de l’université d’Iowa, en 1988.

Sahar Khalifeh a écrit des romans aujourd’hui célèbres, « Nous ne sommes plus vos filles esclaves », « L’Epine sauvage », « Le Tournesol », « Souvenirs d’une femme irréaliste », « Al Saha », « L’Héritage », « L’image, l’Icône et l’Alliance », « Le chaud Printemps, les Racines et les Rameaux », « La Porte de la Cour »...

Le 5 mai 2010, Sahar Khalifeh tiendra une conférence à St Poelten. Le thème de son intervention sera « Coincées entre les préjugés occidentaux et les fondamentalistes islamiques ». Vous trouverez ci-dessous le texte de son intervention. Il m’a été envoyé par Mr Fritz Edlinger de Saar, qui organise cet évènement culturel, de même que d’autres activités de Sahar Khalifeh.

Kawter Salam


Coincées entre les préjugés occidentaux et les fondamentalistes islamiques

Avant d’examiner le cœur de mon exposé où j’explique comment, nous les Palestiniennes, nous les Arabes, nous les femmes arabes, nous sommes coincées entre les préjugés occidentaux et les fondamentalistes islamiques, permettez-moi d’abord de me présenter.

Je suis Palestinienne, je suis Arabe, et je suis musulmane. Bref, je suis une femme arabe palestinienne musulmane. Cela signifie, d’après les médias et les préjugés traditionnels de l’Occident, que suis une créature dangereuse qui appartient à une culture dangereuse, de caractère figé, incapable d’être convertie, incapable d’évoluer. D’après ces préjugés, nous, les Arabes musulmans, sommes figés sur une réalité statique, dans une phase statique. Palestinien est synonyme de terroriste ; Arabe est synonyme de malpropre, de cheikh obèse avec une barbe et un chapelet, un chameau en arrière-plan et un poignard derrière son dos. Nous sommes réduits à une image qui ne change pas avec le temps ni vue sous une lumière différente : un Ben Laden musulman, un fondamentaliste musulman, un terroriste musulman, une femme musulmane dissimulée sous un voile, un cheikh musulman dégoulinant de pétrole. Nous sommes catalogués dans une réalité, dans une image considérée comme réelle et vraie.

Mais, est-ce une image, et est-elle réelle et vraie ? Y a-t-il une réalité qui est figée dans sa nature, immuable, incapable de changer ? Rappelons-nous les conclusions de cet immense artiste impressionniste, Cézanne, qui avait l’habitude d’étudier les effets d’une lumière changeante sur le même paysage ou la même vue. Ce qu’il a découvert, c’est que le même paysage, ou la même vue, placé sous une lumière différente crée des images différentes. Il a également découvert que nous voyions la même vue différemment par nos deux yeux différents. Je veux dire par là que l’œil droit et l’œil gauche ne voient pas la même vue de la même manière parce chaque œil voit cette vue à partir d’un angle différent ! Donc, si une paire d’yeux, de la même personne, voit la même vue différemment, ne peut-on en conclure que la même vue ne puisse être vue différemment par deux personnes différentes ? Ne peut-on en conclure aussi que non seulement la lumière, ou des yeux, différents rendent différentes les choses, mais différents aussi les moments, différentes les imaginations, les émotions, et différents les préjugés et les concepts préconditionnés qui peuvent avoir le même impact sur la vision et la vue ?

Des préjugés et des concepts

Permettez-moi de vous démontrer à partir de cas réels, d’expériences concrètes, que les choses ne peuvent rester statiques et que les gens ne peuvent jamais être figés dans une réalité, dans une phase statique.

J’ai commencé par vous dire que je suis une femme arabe en supposant qu’une femme arabe est une réalité figée ou une identité immuable qui est claire et totale. C’est comme si j’avais supposé qu’une femme arabe est un être humain, ou une créature, ou une substance, qui est vu ou compris de la même manière par tous. Mais, comme nous le savons tous, une femme dans la culture arabe, et dans beaucoup d’autres cultures, cela veut dire le sexe faible, l’autre sexe, le sexe inégal, le sexe qui ne reçoit pas l’héritage ni ne perpétue le nom de la famille, le sexe qui peut apporter des enfants tout comme il peut apporter une affreuse honte. Dans la famille où je suis née, j’ai été accueillie par une déception qui a arraché des sanglots et des larmes. Tout le monde attendait un garçon. A leur grande consternation, j’étais une fille. J’étais la cinquième fille à la file, autrement dit j’étais la cinquième déception, ou ce que ma mère considérais comme sa cinquième défaite. A côté de l’épouse de mon oncle qui avait victorieusement produit dix précieux garçons, ma mère était une perdante, une épouse maudite. Mon oncle avait l’habitude de taquiner son frère, donc mon père, en lui disant : « Ne t’inquiète pas mon frère, mes fils porteront mon nom et le tien ! » Ma mère était plus belle, plus intelligente et plus digne que l’épouse de mon oncle et que toutes les épouses de la famille. Néanmoins, tout le monde la regardait comme la moins efficace, sans fruits précieux.

J’ai hérité de ces préjugés et de ces concepts. Depuis l’enfance, je les ai entendus dire que nous, les filles de la famille, les filles du quartier, et toutes les filles du monde, nous étions impuissantes, sans défense, un sexe condamné par la nature, le sexe qui est définitivement faible. Ainsi, aussi loin que je me souvienne, j’ai commencé à me disputer avec la nature, dès mon enfance.

Quand j’étais enfant, on me considérait comme une rebelle, plus que dynamique, très vive et très maniaque, et mal à l’aise dans l’affrontement. Je voulais prouver que malgré ma nature vouée à l’échec, j’étais capable et méritante, brillante et astucieuse, précoce et drôle. Que je pouvais faire rire les gens et les remplir de joie. Je voulais prouver que j’étais importante, autant que mon frère adoré - le seul garçon au milieu de six filles - et que je méritais la même importance, et le même amour. Bien sûr, j’ai échoué. Pendant des années, j’ai échoué. Les gens continuaient à dire : les femmes sont faibles, les femmes ne valent rien, et les femmes sont des anonymes. Elles ne reçoivent pas l’héritage et ne perpétuent pas le nom de la famille.

A ma grande surprise, et je l’espère à la vôtre, il y a quelques mois, ma jeune sœur m’a dit qu’elle avait découvert, par hasard, que j’étais le seul membre de la famille Khalifeh, qui est aussi nombreuse qu’une tribu, dont le nom était inscrit dans l’encyclopédie palestinienne. Avec un soupir de soulagement, elle a ajouté : « Ni mon père, ni ma mère, ni mon oncle avec ses dix précieux garçons, aucun homme dans la famille n’est cité dans notre encyclopédie, il n’y a que toi ! ». J’ai moi aussi poussé un ouf de soulagement et je lui ai dit : « Ma chère sœur, as-tu remarqué que beaucoup de femmes sont aussi inscrites dans l’encyclopédie égyptienne, dans l’encyclopédie syrienne, dans l’encyclopédie libanaise, dans l’algérienne, la marocaine et dans les autres encyclopédies arabes ? Les choses changent. Elles ont changé ! ».

Une ambiance de rêve

Quand je dis que les choses changent, je veux dire que les choses ne sont pas statiques. Les choses sont en train de bouger. Elles ont tendance à changer. Rien que moi, en tant que femme arabe, j’ai passé différentes phases, j’ai été transformée par les courants, et j’ai été porteuse de ce changement. Même au sein des familles arabes les plus conservatrices, les femmes maintenant vont à l’école. Quand elles arrivent à s’instruire, elles deviennent enseignantes, médecins, ingénieurs, pharmaciennes, écrivaines et journalistes, musiciennes et artistes. Beaucoup de femmes sont aujourd’hui considérées comme indispensables, plus fortes que les hommes, plus créatives que les hommes et plus importantes que les hommes. Les choses ont changé.

Mais faites attention. Quand je vois notre image dans les médias occidentaux nous montrant comme des créatures affreuses enveloppées dans leurs tchadors, avec des masques de cuirs, des harems derrière leurs voiles, je me demande avec stupéfaction : « Pourquoi nous voient-ils ainsi figées sur une réalité, dans une phase statique ?! Ils tirent de nous une image constamment morose, ils nous voient à travers une lumière unique ! Est-ce cela qu’ils considèrent comme une image fidèle ? Pensent-ils que Dieu nous a créées différentes du reste du sexe féminin, incapables d’évoluer ? ! »

Maintenant, laissez-moi vous raconter cette histoire, comment je me suis trouvée face à une réalité qui ne croit pas dans une réalité statique. Comment j’ai découvert que ce que les gens dans une certaine culture considèrent comme vrai n’est pas la Vérité, parce que les choses ne sont ni figées ni statiques, parce que les choses continuent d’avancer, d’évoluer dans leur essence et dans leur forme.

Quand j’étais enfant, j’avais un professeur qui constamment mentionnait le mot Changement, sur des tons et avec des sens différents. Il prononçait le mot Changement quand il parlait de justice sociale. Il disait Changement quand il parlait de répartition équitable des richesses arabes. Il disait Changement quand il parlait du statut des femmes arabes et il disait Changement quand il parlait des régimes arabes dépassés. Chacun de nous a respecté et admiré cet enseignant. Les jeunes voulaient être comme lui, les anciens ont voulu le cacher quand il a été recherché par la police.

Devenue adolescente, j’ai découvert que mon génial professeur n’était pas le seul à parler de Changement et de justice. La plupart de nos gens instruits y croyaient et parlaient de ces convictions et de ces idées. J’ai aussi découvert que des milliers de nos personnages éclairés, tels que mon professeur, étaient recherchés par la police ou croupissaient dans les prisons de régimes soutenus par les puissances occidentales, britanniques, françaises, et plus tard, par les Américains.

Jusqu’au milieu des années soixante, les politiques nationale et internationale de notre grand dirigeant nationaliste, Abdul Nasser, encourageaient cet état d’esprit de libération et de changement. Son influence était si grande qu’un certain nombre de codetta (chœurs de chambre ? - ndt) se sont produites avec succès dans différents Etats arabes. L’Occident a pris cela comme une menace pour ses intérêts et ceux de ses alliés réactionnaires dans la région, mais nous, nous pensions que nous étions les témoins du début d’un changement bien réel.

Les années 50 et 60 ont été l’âge d’or du nationalisme arabe. La rue arabe était pleine d’énergie et d’espoir de transformation. Notre attitude à l’égard de nos systèmes socio-politiques traditionnels était rebelle et sévèrement critique. Nous reflétions nos thèmes de libération et de justice sociale dans notre littérature, notre théâtre, nos chansons, notre musique, et dans les idiomes dont nous nous servions dans notre vie quotidienne. La littérature de partout dans le monde pénétrait en masse notre culture. Dans nos librairies et sur les trottoirs de nos rues, vous pouviez découvrir la littérature existentialiste, la littérature socialiste, la littérature noire et toutes les littératures qui appelaient à la libération, la révolution et au changement.

Cette ambiance de libération et de changement a influencé chacune d’entre nous, y compris les paysannes illettrées. Elles ont commencé à descendre dans la rue sans leurs voiles. Des dizaines de milliers de jeunes femmes sortaient des universités. Certains d’entre elles se lançaient dans l’engagement politique et adhéraient dans des partis politiques. Non seulement les femmes enlevaient leur voile, mais elles se mettaient aussi à porter des vêtements sans manche et des minijupes. Nous dansions le tango et le Rock and Roll, en écoutant les chansons et la musique de l’Occident, malgré notre haine de l’Occident. Nous voulions être comme l’Occident, mais pas sous sa domination ou son contrôle.

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Pour l’Occident, je suis une créature dangereuse qui appartient à une culture dangereuse, de caractère figé, incapable d’être convertie, incapable d’évoluer.


L’opposition de l’Occident et ses alliés

Cette atmosphère toute comme un rêve a connu son terme quand Israël, soutenu par l’Occident, a vaincu Nasser en 1967. La défaite fut celle aussi de notre mouvement national et de nos convictions socialistes. Les Américains et leurs alliés conservateurs dans la région ont saisi l’occasion. Ils ont soutenu avec force le recul de notre socialisme de gauche en aidant les islamistes. Ils ont versé des millions de dollars dans ce sens. Le parti des Frères musulmans, qui était complètement inconnu pour les masses, a commencé à prendre du pouvoir. Ce qui est arrivé dans notre région dans les années 70 et 80 est tout à fait semblable à ce qui s’est produit en Afghanistan quand les Américains ont apporté leur soutien aux islamistes, dont Ben Laden, pour battre la gauche. Un scénario similaire, presque similaire, s’est déroulé dans notre région. Mais, de façon étonnante et à la grande consternation de l’Amérique, les islamistes ont tourné le dos à ceux qui les soutenaient après s’être emparés de la rue. Ils étaient devenus une force réelle. Ils n’avaient plus besoin de l’Amérique. Après avoir choyé et nourri les islamistes, l’Amérique commençait à les appeler des « terroristes » et l’Europe enchaînait sur le style américain. C’est le temps où nous avons assisté à la naissance d’une nouvelle ère que nous, trêve d’ironie, nous avions voulue, l’ère du changement, mais pas de ce changement-là !

En Palestine, les Israéliens copiaient le modèle américain. Ils encourageaient les islamistes à se dresser devant l’OLP nationaliste/socialiste. Pendant qu’il poursuivaient, harcelaient et assassinaient les dirigeants et militants de l’OLP, ils faisaient semblant de ne pas voir ce que les islamistes faisaient aux femmes et à la société en général. Ils les ont mêmes privilégiés dans des postes d’enseignement. Ils ont infiltré des milliers d’entre eux, hommes et femmes, dans notre système éducatif. Ainsi, les islamistes ont-ils gagné plus de pouvoir en influençant les étudiants dès l’âge précoce. Une fois certains de leur emprise, ils ont retourné leurs forces contre l’Occident et Israël. Ils sont devenus un pouvoir réel. Ce qui les aidés à parvenir à ce stade, ce n’est pas seulement la défaite nationaliste/socialiste, aggravée par la chute du bloc soviétique. Ni le soutien israélo-américain. La mauvaise gérance de nombreux dirigeants corrompus de l’OLP a ajouté à leur succès.

Historiquement, après la défaite de 1967, l’OLP a comblé le vide laissé par Nasser. Les révolutionnaires arabes se sont regroupés autour de l’OLP en espérant créer un changement dans la région tout entière. Pendant les années 70 et 80, l’OLP était la force susceptible d’apporter le changement socio-politique et l’unité contre nos régimes conservateurs. Malheureusement, après un moment, il n’y a eu plus guère de différences entre l’OLP et les autres régimes arabes conservateurs et corrompus. Les dirigeants de l’OLP ont, à la fois, été atteints par le pétrodollar arabe, et se sont égarés, perdant toute sagacité en perdant beaucoup de grands intellectuels, assassinés par le Mossad israélien. Ceux qui ont fait les accords d’Oslo n’ont certainement pas été les plus brillants. Ils ont échoué en tant qu’administrateurs, autant qu’ils ont échoué à apporter la paix. Leur corruption a ajouté à la pauvreté du peuple, et les Israéliens leur ont rendu impossible d’apporter la stabilité et l’espoir. Le peuple a fini par en avoir marre et devenir amer. Ecrivains, journalistes, artistes et intellectuels se sont mis à écrire, à lancer des appels, demander le changement, en vain. Les masses, frappées par la pauvreté, le manque de vision et d’espoir, se sont tournées vers les islamistes. Elles voulaient ainsi porter au pouvoir un front qui pourrait les débarrasser de la pauvreté, de la corruption et de l’occupation. C’est ainsi que le Hamas a gagné les élections en Palestine. C’est ainsi que le Hamas a pris le pouvoir à Gaza. C’est ainsi que les masses arabes se sont tournées vers les islamistes pour qu’ils les débarrassent de la pauvreté, et de la défaite.

Nous sommes maintenant dans une situation de désordre. Israël profite de ce gâchis. Outre la poursuite de l’occupation et la construction de nouvelles colonies de peuplements, de milliers de colonies qui ne nous laissent aucun espace pour respirer ; chaque année, ou chaque nouvelle année, Israël lance une nouvelle opération ou une nouvelle guerre, comme celle que vous avez vue à la télévision et qui s’est déroulée dans la bande de Gaza. Les Israéliens envoient leurs obus, leurs missiles, ils tuent et détruisent. Ils détruisent l’infrastructure des villes et des villages. Ils détruisent les centrales électriques, les réseaux d’eau, les systèmes d’assainissement, les hôpitaux, les maisons, les immeubles et les camps de réfugiés. Ils détruisent les bureaux des Nations unies et des ONG, les lieux de stockage du blé et de la farine, du lait et du sucre, les stations essence, les bus et même les ambulances. Ils blessent et tuent des centaines, parfois des milliers de civils innocents, dont des femmes et des enfants.

Où est la Vérité ?

Comme vous pouvez le voir, je vous ai raconté mon histoire, en tant que femme, en tant que Palestinienne, et en tant qu’Arabe. Je vous l’ai racontée à partir de mon opinion, de mon vécu, et de mes convictions, que je pense être vraies et justes. Mais pour vous, Occidentaux, sur ce que vous avez appris ou êtes venus à penser, vous pouvez avoir des idées, des convictions ou des visions différentes sur tout ce dont je vous ai parlé, n’est-ce pas ? C’est normal et compréhensible. Vous savez pourquoi ? Parce que nous aussi, en tant qu’Arabes, Palestiniennes, et en tant que femmes arabes, nous avons des convictions et des visions différentes sur votre culture à vous, sur votre histoire et vos croyances. Mais ce que nous voyons, et ce que vous voyez, est-ce vrai et réel ? Est-ce la vérité ? Nous devons nous poser ces questions, à moins d’être satisfaits de nos préjugés et figés dans nos croyances traditionnelles.

Pour conclure, rappelez-vous la découverte de Cézanne sur le rapport entre la lumière et la vue. Comment une scène ou une vue peut être ressentie différemment sous une lumière différente. Dans ce cadre, permettez-moi de revoir avec vous les différents préjugés culturels, vus différemment, sous des lumières différentes.

- Première image tendancieuse : j’ai examiné la nature des femmes, comme la voient les yeux d’une société traditionnelle considérant les femmes comme immuables, définitivement sans défense, et incapables de recevoir l’héritage de leur famille ou de perpétuer le nom de leur famille. Comment puis-je qualifier cette image, vraie ou fausse ? Répondez s’il vous plaît, vraie ou fausse ? Fausse.

- Deuxième image tendancieuse : j’ai examiné l’image des femmes arabes comme elle est présentée dans les médias occidentaux. Cette image suppose que les femmes arabes sont des harems, coincées dans leurs voiles autant qu’elles sont coincées dans le temps. Elles sont définitivement sans défense, gelées dans une phase statique. Mais cette image ne tient pas compte des femmes comme moi ; elle ignore l’existence de milliers de femmes qui, comme moi, luttent contre le sexisme, le racisme, la colonisation et l’occupation. Cette image ne tient pas compte de l’existence de millions de jeunes femmes qui luttent pour leur éducation, la lumière et la liberté. Elles se battent contre les préjugés d’Orient et ceux d’Occident. Elles se battent pour pouvoir recevoir l’héritage de leur famille et perpétuer le nom de leur famille. Certaines d’entre elles vont réussir finalement, comme je l’ai fait, à ce que leur nom soit inscrit dans les encyclopédies en arabe et à laisser leurs marques dans notre histoire moderne. L’image partiale des femmes arabes présentée en Occident, comment puis-je la qualifier, vraie ou fausse ? Répondes svp, vraie ou fausse ? Fausse.

- Troisième image tendancieuse : les médias occidentaux présentent les musulmans comme des fondamentalistes, les musulmans comme des terroristes, les musulmans comme des Ben Laden, tapis aux quatre coins du Moyen-Orient. Les Arabes ont une nature statique qui génère la violence, un caractère borné, une structure sociale tout autant bornée qui donne finalement naissance à la corruption et à des régimes réactionnaires arriérés. Mais les médias occidentaux oublient de mentionner qu’historiquement, l’Occident a soutenu ces régimes réactionnaires arriérés contre la volonté de leurs peuples qui voulaient défendre les intérêts occidentaux. Les médias occidentaux oublient de mentionner qu’historiquement, les puissances occidentales ont aidé les fondamentalistes islamistes à prendre le pouvoir et contrôler notre région, tout comme cela s’est passé en Afghanistan. Cette image sur les Arabes, en tant que réalité, coincés dans une phase statique, comment pouvons-nous la qualifier, vraie ou fausse ? Répondez svp, vraie ou fausse ? Fausse.

- La dernière image concerne Israël. Israël est la seule démocratie éclairée, laïque, du Moyen-Orient. Israël n’est pas raciste. Israël n’est pas sexiste. Israël n’est pas une théocratie discriminatoire envers les autres religions et croyances. Israël est un allié permanent qui protège les intérêts occidentaux au Moyen-Orient. Des canailles, des puissantes canailles, des canailles très bien armées, remplies de haine, remplies de rancunes, prêtes à tuer et à anéantir, entourent l’innocent Israël. Ces canailles n’écoutent ni la raison ni le bon sens, n’obéissent pas au droit international, font fi des résolutions des Nations unies, tuent et détruisent avec des forces extrêmement organisées, développent l’armement nucléaire et les bombes au phosphore. Comment puis-je qualifier cette image ? Est-elle vraie ? Est-elle réelle ? Est-ce la réalité ? Je ne répondrai pas à cette question ; je vous y laisse réfléchir.

Maintenant, j’aimerais examiner le concept de « liberté d’expression ». En Occident, ou dans le Premier monde comme nous l’appelons, ils supposent que la répression dans le tiers-monde ou les pays arabes fait qu’il est difficile, voire impossible, de dire la Vérité. Mais, mes chers amis, malgré toute la liberté d’expression que vous avez en Occident, je viens juste de vous montrer que vous recevez des images qui sont différentes vues par des yeux différents qui reçoivent des lumières différentes ! Où est la Vérité dans ce que vous voyez ? Où est la Vérité dans ce que nous tous nous voyons ? En Occident, il y a une tendance à mettre tous les Palestiniens, tous les Arabes, et toutes les femmes arabes dans une image statique, dans une phase statique. Nous aussi dans le monde arabe, et peut-être dans les autres cultures du tiers-monde, nous voyons l’Occident comme une seule entité, une seule identité, et un seul visage figé.

Non seulement les médias tendent à montrer les choses autrement, ou à tirer des conclusions tordues, ou à mettre toutes les images dans un cadre unique. La religion, la politique, la race, le sexe et les intérêts, tout cela peut déformer les images et jouer un rôle en forgeant des opinions et en cadrant les esprits. De ma place au Moyen-Orient, avec mon identité de Palestinienne, d’Arabe et de femme musulmane, comment oserais-je parler de Vérité ? Quelqu’un peut-il me dire ici si nous arrivons jamais à la Vérité ?

La Vérité, celle fondée sur l’amour

Où en suis-je arrivée avec mes idées décousues et mes images éparses ? Qu’il n’y a aucune Vérité à croire ou pour laquelle œuvrer ? Que nous sommes tous victimes de cultures tendancieuses ? C’est vraiment absurde ! C’est injuste et déprimant. Pour nous, êtres humains, en dépit de nos différences, de nos barrières et de nos sphères et visions limitées, nous partageons tous une Vérité, qui est absolument vraie et digne, qui est lumineuse et pleine d’espoir, qui vaut de vivre et de mourir pour elle. C’est la Vérité qui est fondée sur l’amour et la liberté. L’amour pour tous, et la liberté pour tous. Et encore, en dépit de nos différences de race, de religion, de sexe et de politique, nous avons tous besoin d’amour, nous avons tous besoin de chaleur, nous avons tous besoin d’intimité. Nous avons tous besoin d’être reconnus en tant qu’humains, humains sensibles, humains fragiles et d’humains capables. Nous avons tous besoin d’échanger sur nos idées et nos sentiments. Nous avons tous besoin de nous étreindre et nous embrasser. Depuis l’enfance et jusqu’à ce que nous soyons devenus très vieux, nous avons besoin d’aimer et d’être aimé. Nous cherchons l’amour, nous pleurons d’amour, et parfois, nous mourons d’amour. Nous cassons tout quand nous perdons l’amour ou quand nous nous sentons trahis par l’amour. Y a-t-il une vérité au-delà de cette vérité, plus réelle, plus sincère, et plus précieuse et digne ?

Et la liberté. Y a-t-il un être humain qui ne cherche la liberté ou qui passe toute une vie dans la recherche de la liberté ? Nous appelons cela la liberté qui conduit à la grande cause de la liberté, la liberté du corps, la liberté de l’âme, la liberté du cœur, la liberté de l’esprit et la liberté d’expression. Donc, je le crois, il y a bien une Vérité, en dépit de mes doutes et de mon esprit critique. Au fond de mon cœur, je crois que les peuples méritent l’amour, l’amour et la liberté qui les rendent, tous, remplis de lumière.

M’avez-vous crue quand j’ai commencé mon intervention ce soir en disant qu’il n’y a pas de Vérité qui soit éternellement figée ? M’avez-vous vraiment crue ? Eh bien, ce n’était pas vrai, c’était une astuce, un jeu, ou ce que nous appelons en littérature, une technique. Tout ce que je voulais, c’était attirer votre attention, afin de secouer certains préjugés et de jeter des couleurs différentes sur différentes vues et lumières. J’espère que vous me pardonnez, j’espère que vous me reconnaissez, j’espère que vous m’aimez, en dépit des différences de couleur et de lumière, de vision et de vue.

Sahar Khalifeh


(JPG) Kawther Salam est une journaliste palestinienne. Elle a travaillé plus de 20 ans pour différents journaux et stations de télévision en Palestine. Elle est obligée de vivre en exil à Vienne depuis 2002.

De Kawter Salam :

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30 avril 2010 - Kawter Salam - Palestine Think Tank - sous-titrage et traduction : JPP

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