31 octobre 2010
WikiLeaks dévoile des documents révélant les crimes de guerre des États-Unis en Irak
dimanche 31 octobre 2010 - 05h:36Patrick Martin - WSWS
Les dossiers confidentiels de l’armée américaine rendus publics vendredi par le site web WikiLeaks documentent exhaustivement le caractère criminel de l’invasion et de l’occupation de l’Irak menées par les États-Unis.
WikiLeaks a publié près de 400.000 rapports d’enquête militaires, rédigés par des soldats de bas rang après des opérations de combat ou de reconnaissance, qui décrivent les pertes de vies humaines dues aux actes de l’armée des États-Unis, aux attaques des insurgés anti-américains ou au conflit civil fratricide déclenché par l’occupation américaine. Les rapports couvrent la période allant du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2009, et ne fournissent donc pas d’information concernant les massacres perpétrés durant l’invasion initiale par les États-Unis en mars 2003.
Certains journaux et médias ont pu avoir accès aux documents plusieurs semaines à l’avance, y compris le Guardian de Londres, le New York Times, le magazine de nouvelles allemand Der Spiegel, le quotidien français Le Monde et Al Jazeera, le diffuseur de langue arabe basé au Qatar. Vendredi soir, ceux-ci ont publié de longs extraits sur leurs sites web du matériel dévoilé.
Le Guardian porte son attention sur l’ampleur du carnage, dont l’existence de 15.000 civils tués dans des incidents qui n’avaient pas été initialement rapportés par l’armée américaine (qui niait publiquement même faire le décompte des morts civiles, alors qu’elle en conservait un dossier détaillé). L’article du journal commence par les mots suivants : « Un sinistre portrait de l’héritage des États-Unis et de la Grande-Bretagne en Irak a été dévoilé par une immense fuite de documents militaires américains qui décrivent en détail la torture, des exécutions sommaires et des crimes de guerre. »
Le quotidien ajoute ensuite : « Les rapports de guerre, consultés par le Guardian, contiennent un horrible dossier regroupant des cas où des soldats américains ont tué d’innocents civils à des points de contrôle, sur les routes irakiennes et durant des raids dans des résidences. On dénombre parmi les victimes des dizaines de femmes et d’enfants. Les États-Unis ont rarement fait part de ces morts publiquement . »
Le Guardian décrit aussi le fait que l’armée des États-Unis n’a pas fait enquête sur la torture et les meurtres des forces irakiennes, recrutées dans la construction du régime fantoche à Bagdad. Le quotidien déclare : « De nombreux rapports de mauvais traitements contre les détenus, souvent appuyés par des preuves médicales, décrivent des prisonniers attachés, un bandeau sur les yeux et pendus par les poignets ou les chevilles, et recevant des coups de fouet, des coups de pied et de poing ou des décharges électriques. Six rapports se terminent par le décès manifeste d’un détenu. »
Un autre article du Guardian porte attention au rôle de la Wolf Brigade, une unité de forces spéciales irakienne créée par l’armée américaine et dirigée par le Colonel James Steele, dont l’expérience de contre-insurrection, torture et meurtre comprend son rôle comme conseiller de l’escadron de la mort soutenu par les États-Unis au Salvador au cours des années 80.
Selon le journal : « La Wolf Brigade a été créée et supportée par les États-Unis dans une tentative d’utiliser des éléments de la garde républicaine de Saddam Hussein, cette fois dans le but de terroriser les insurgés. Les membres portent généralement des bérets rouges, des verres fumés et des cagoules puis partaient faire leurs raids en convoi de Toyota Lancruisers. Ils ont été accusés d’avoir battu des prisonniers, les avoir torturés avec des perceuses électriques et parfois d’avoir exécuté des suspects ».
Le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, Manfred Nowak, a dit au programme télévisé de la BBC Today que le gouvernement américain a l’obligation de mener enquête sur les allégations que l’armée américaine remettait des prisonniers aux gardiens de prison irakiens pour qu’ils se fassent torturer et exécuter, non seulement pour « traîner les auteurs de ces crimes en justice, mais aussi pour que la situation des victimes puisse être corrigée et les réparations adéquates faites ». Omettre de le faire, a-t-il dit, violerait les obligations des États-Unis sous la loi internationale.
Cette violation des droits de l’Homme continue sous l’administration Obama, comme le confirment les documents, avec un rapport mentionnant que l’armée américaine a reçu en décembre dernier une vidéo montrant un officier de l’armée irakienne exécutant un prisonnier à Tal Afar, en Irak du Nord. Selon le journal de l’armée américaine, « l’enregistrement montre approximativement 12 soldats de l’armée irakienne. Dix soldats de l’AI (armée irakienne) parlaient entre eux pendant que deux soldats retenaient le détenu. Le détenu avait les mains liées... l’enregistrement montre les soldats de l’AI amener le détenu dans la rue, le jeter au sol, le frapper et lui tirer dessus ».
Les journaux concluent « qu’aucune investigation n’est nécessaire », car aucun soldat américain n’a été impliqué dans la torture ou les meurtres. Il s’agit de l’application d’une politique officiellement adoptée par l’armée américaine en 2004 sous un ordre militaire connu sous le nom de FRAGO 242.
Le Guardian écrit que les rapports de l’armée, même s’ils sont macabres, sous-estiment de manière significative le nombre de morts dues aux actions militaires américaines, même en les comparant aux statistiques produites par le Iraq Body Count (IBC), qui sont très au-dessous des estimations, basées sur des études démographiques, d’un million ou plus d’Irakiens tués. Le journal écrit : « Un exemple clé de l’échec des forces armées américaines face à l’enregistrement du nombre de morts et de blessés civils qu’elles ont infligé apparaît dans deux batailles urbaines majeures contre des insurgés à Fallouja en 2004. Plusieurs édifices ont été réduits à des amoncellements de débris par des frappes aériennes, des obus de chars d’assaut et des obusiers et il y a eu des centaines de morts de civils. Ceci est un fait bien établi. IBC a identifié entre 1226 et 1362 morts reliées à ces événements en avril et en novembre. Mais, les rapports d’événements pour usage interne des Etats-Unis qui viennent d’être publiés ne rapportent aucun mort ou blessé civil. »
Le Guardian et Der Spiegel ont publié des bilans des morts et des blessés de tous types infligés pendant une seule période de 24 heures pendant l’automne 2006, la période où la guerre civile était la plus intense et lorsque les tueries sectaires entre les sunnites et les chiites étaient à leur sommet. Le Guardian a choisi le 17 octobre 2006, jour où 146 personnes ont été tuées ; Der Spiegel a examiné le 23 novembre 2006, où 318 personnes sont mortes. Chacun a donné comme titre « Une journée en enfer » à leur résumé. Il n’y a pas de ce genre de reportage dans le New York Times.
Le Guardian et Der Spiegel ont en particulier souligné un incident notoire dans lequel des hélicoptères de combat Apache de l’armée américaine avaient piégé deux insurgés qui tentaient de se rendre. Lorsque le pilote a communiqué avec sa base pour avoir des instructions, un avocat de l’armée lui a dit qu’« ils ne peuvent se rendre à des aéronefs et qu’ils sont toujours des cibles ». Les deux hommes se sont sauvés, mais l’hélicoptère les a chassés et les a mitraillés au sol pour finalement les tuer.
Dans son analyse des rapports de l’armée, Al Jazeera a classifié tous les moments dans lesquels les soldats ont tiré et tué des civils irakiens à des points de contrôle le long des autoroutes - arrivant à un total de 681, plusieurs d’entre eux des femmes et des enfants. Plusieurs de ces meurtres ont eu lieu dans des massacres de familles entières, le pire impliquant 11 personnes dans une camionnette, incluant quatre enfants.
La différence est grande entre l’approche des médias européens et arabes et celle du New York Times, approche qu’a ensuite suivi la plus grande partie des médias américains. Les médias hors Amérique ont tous insisté, comme il se doit, sur l’horreur du bain de sang qui a suivi l’invasion menée par les Américains et sur l’importance du matériel publié pour documenter les crimes de guerre.
Le New York Times cherche a détourné l’attention des preuves de la criminalité du gouvernement Etats-Unis, combinant les diversions - comme la suggestion que les documents offrent de nouvelles preuves de l’implication de l’Iran en Irak - et les questions secondaires - la première page portant sur le rôle des sous-contractants privés - avec une campagne de salissage contre le fondateur de Wikileaks, Julian Assange. (Voir “New York Times tries character assassination against WikiLeaks founder Assange”)
Les médias américains ont en général combiné la vilification de WikiLeaks avec des tentatives de minimiser la signification du matériel publié. Les couvertures du New York Times et du Washington Post commencent avec l’assertion qu’il y peu d’informations qu’on ne connaissait pas déjà dans les documents de l’armée, une assertion qui semble contredite par les condamnations publiques du Pentagone et de la secrétaire d’État Hillary Clinton de la publication des documents.
Un autre thème de la couverture que l’on trouve dans les médias américains est celui que le matériel publié par WikiLeaks justifierait la prolongation de la présence américaine en Irak, car il démontre que la police et l’armée irakienne, sous le contrôle du premier ministre Malili, sont des forces criminelles qui ne respectent pas la loi.
C’est ainsi que le Washington Post écrit : « Mais l’aspect le plus troublant des rapports publiés est peut-être le portrait qui est fait du gouvernement irakien ayant pris le contrôle de l’appareil de sécurité alors que les forces américaines se retirent. » Et le New York Times suggère lui que plus de détails sur les conflits entre Kurdes et arabes au Nord de l’Irak pourrait soutenir l’idée qu’il faut des troupes américaines dans cette région en tant que gardiens de la paix. »
Malgré la censure et la distorsion des médias américains, la vérité sur la nature criminelle des guerres américaines en Irak et en Afghanistan atteint un public de plus en plus grand. De par le monde, le gouvernement américain est perçu comme suivant les méthodes des nazis, tant par sa violence que par ses mensonges systématiques et éhontés.
WikiLeaks a rendu un immense service à toute la population. Il a mis en ligne des documents fournissant le matériel pour amener ultérieurement les présidents américains Barack Obama, George W. Bush, et les dirigeants de l’armée, des agences du renseignement et du secrétariat d’Etat responsables de la politique étrangère devant les tribunaux pour crimes de guerre.
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29 octobr 2010 - World Socialist Web Site - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.wsws.org/francais/News/2...
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DCI/PS
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Israël soulagé de ne pas être le seul criminel de guerre
jeudi 28 octobre 2010Gidéon Lévy
Joie et jubilation résonnent en Israël : les Américains et les Britanniques ont, eux aussi, commis des crimes de guerre ; nous ne sommes pas les seuls.
Les révélations de Wikileaks ont enflammé tous nos bruyants propagandistes : où est Goldstone, jubilent-ils et qu’aurait-il eu à dire ? Ils sont soulagés. Si on permet aux Américains de le faire, cela vaut également pour nous.
En fait, il n’est pas permis aux Américains de commettre des crimes de guerre, pas plus qu’à nous. Un conducteur arrêté pour excès de vitesse par la police de la route n’aidera pas son cas en prétendant que « d’autres font la même chose » . Quand Richard Goldstone révèle les crimes de guerre à Gaza, prétendre que « tout le monde les commet » ne nous aidera pas. Ce n’est pas tout le monde qui en commet et ceux qui les commettent, doivent être dénoncés et punis.
Selon la logique des propagandistes israéliens, dont certains se sont déguisés en journalistes, Israël devrait maintenant regarder le reste du monde avec fierté : les autres ont tué plus de gens que nous. Pourquoi améliorer les conditions des prisonniers en Israël : en Chine la situation est bien pire ; pas besoin d’améliorer les services de santé : aux USA, 50 millions de personnes n’ont pas d’assurance ; pas besoin de réduire l’écart entre les riches et les pauvres : au Mexique, il est plus important ; nous pouvons continuer à assassiner sans procès : les Britanniques le font aussi ; les droits humains sont protégés ici : les Iraniens sont bien pires ; il n’y a pas de corruption en Israël : regardez ce qui se passe en Afrique ; les USA ont la peine de mort : adoptons-la, nous aussi ; il est même permis de tuer des journalistes dissidents : regardez les Russes.
Il est vrai que la guerre est cruelle, que le monde regorge de crimes et d’injustices, mais rien de cela n’excuse Israël, même si ses péchés palissent en comparaison de ceux des USA. Le moment est venu de censurer sévèrement les USA, non par de pardonner Israël.
Tous les patriotes et les personnes de conscience ont le devoir d’exprimer leur colère devant de telles révélations, spécialement bien entendu, quand elles touchent leur propre pays. Les Israéliens doivent aspirer à un pays plus juste et beaucoup plus respectueux des lois sans se référer à ce qui se passe dans le reste du monde. Il est vrai que nous ne sommes pas les pires ; loin de là. Le nombre de civils tués en Irak est, selon les chiffres, 1000 fois plus horrible que celui des victimes de Gaza. Et alors ? Même si le monde nous applique des normes plus sévères, nos mains n’en deviennent pas plus propres pour autant. Le monde est plus sévère avec nous pour plusieurs raisons, dont certaines sont justifiées, et en même temps, il nous traite favorablement et ferme les yeux sur beaucoup d’autres choses. Et de toute façon, le facteur déterminant devrait être ce que nous voyons dans le miroir quand nous nous regardons honnêtement.
Nos jubilants propagandistes ont changé de tactique : nous ne sommes plus « l’armée la plus morale du monde », affirmation dont toute personne raisonnable peut voir le ridicule. Maintenant ils disent : « nous sommes aussi épouvantables que tous les autres ». Cette affirmation ne tient pas la route d’autant plus qu’Israël n’est pas jugé uniquement en fonction de l’une ou l’autre de ses opérations militaires, mais à l’aune de son occupation qui dure depuis des décennies et dont on ne voit pas la fin. Une occupation aussi longue est sans pareille dans le monde moderne et c’est une honte pour Israël, indépendamment de ce que font les Etasuniens en Irak et en Afghanistan.
Wikileaks a prouvé qu’en dernière analyse la vérité sortira du puits ; il est difficile de cacher quoi que ce soit à notre époque. Goldstone aussi l’a démontré, bien que de façon beaucoup moins spectaculaire. Quelque deux ans après l’opération plomb durci, même les forces israéliennes de défense continuent à y être confrontés, avec ici et là des enquêtes et le procès d’officiers et de soldats qui ont commis et avoué les actes que Goldstone a dévoilés à la grande colère d’Israël.
Israël devrait remercier Goldstone et les USA devraient remercier Julian Assange. Leurs révélations montrent la futilité de la guerre et de ses crimes. Imaginez la haine que les USA ont semée en Irak avec ses milliers de familles en deuil et combien de haine Israël a semé à Gaza avec ses milliers de familles en deuil et ses ruines.
Combien sont futiles tous les assassinats et les tortures, les humiliations et les arrestations sans raison infligés à l’Irak et à Gaza.
Qu’est-ce que nous agitons ? Les plus de 100 000 morts d’une guerre terrible, inutile, caprice d’un dirigeant démocratique ? C’est vrai, George W. Bush devrait maintenant être envoyé à La Haye. Le fait que d’autres commettent ces crimes, comme le montrent les révélations d’Assange, ne peut consoler que les idiots et les seuls idiots.
Du même auteur :
La république juive d’Israël
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Seuls, des psychiatres peuvent expliquer le comportement d’Israël
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"Le Gel" n’est qu’une scène de plus dans la mascarade d’Israël
Pourquoi peut-on parler avec le Hamas pour Shalit, et pas pour la paix ?
C’est Peres le petit homme, pas Goldstone
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Pourquoi peut-on parler avec le Hamas pour Shalit, et pas pour la paix ?
C’est Peres le petit homme, pas Goldstone
26 octobre 2010 - Haaretz - Cet article peut être consulté ici :
http://www.haaretz.com/print-editio...
Traduction de l’anglais : Anne-Marie Goossens
Appel au peuple algérien, le 1er Novembre 1954
par Toufik Villeurbanne Ter, dimanche 31 octobre 2010,
Appel au peuple algérien Texte intégral du premier appel adressé par le Secrétariat général du Front de libération nationale au peuple algérien le 1er Novembre 1954
PEUPLE ALGÉRIEN,
MILITANTS DE LA CAUSE NATIONALE,
A vous qui êtes appelés à nous juger (le premier d’une façon générale, les seconds tout particulièrement), notre souci en diffusant la présente proclamation est de vous éclairer sur les raisons profondes qui nous ont poussés à agir en vous exposant notre programme, le sens de notre action, le bien-fondé de nos vues dont le but demeure l’indépendance nationale dans le cadre nord-africain. Notre désir aussi est de vous éviter la confusion que pourraient entretenir l’impérialisme et ses agents administratifs et autres politicailleurs véreux.
Nous considérons avant tout qu’après des décades de lutte, le mouvement nationale a atteint sa phase de réalisation. En effet, le but d’un mouvement révolutionnaire étant de créer toutes les conditions d’une action libératrice, nous estimons que, sous ses aspects internes, le peuple est uni derrière le mot d’ordre d’indépendance et d’action et, sous les aspects extérieurs, le climat de détente est favorable pour le règlement des problèmes mineurs, dont le nôtre, avec surtout l’appui diplomatique de nos frères arabo-musulmans. Les événements du Maroc et de Tunisie sont à ce sujet significatifs et marquent profondément le processus de la lutte de libération de l’Afrique du Nord. A noter dans ce domaine que nous avons depuis fort longtemps été les précurseurs de l’unité dans l’action, malheureusement jamais réalisée entre les trois pays.
Aujourd’hui, les uns et les autres sont engagés résolument dans cette voie, et nous, relégués à l’arrière, nous subissons le sort de ceux qui sont dépassés. C’est ainsi que notre mouvement national, terrassé par des années d’immobilisme et de routine, mal orienté, privé du soutien indispensable de l’opinion populaire, dépassé par les événements, se désagrège progressivement à la grande satisfaction du colonialisme qui croit avoir remporté la plus grande victoire de sa lutte contre l’avant-garde algérienne.
L’HEURE EST GRAVE !
Devant cette situation qui risque de devenir irréparable, une équipe de jeunes responsables et militants conscients, ralliant autour d’elle la majorités des éléments encore sains et décidés, a jugé le moment venu de sortir le mouvement national de l’impasse où l’ont acculé les luttes de personnes et d’influence, pour le lancer aux côtés des frères marocains et tunisiens dans la véritable lutte révolutionnaire.
Nous tenons à cet effet à préciser que nous sommes indépendants des deux clans qui se disputent le pouvoir. Plaçant l’intérêt national au-dessus de toutes les considérations mesquines et erronées de personnes et prestige, conformément aux principes révolutionnaires, notre action est dirigée uniquement contre le colonialisme, seul ennemi et aveugle, qui s’est toujours refusé à accorder la moindre liberté par des moyens de lutte pacifique.
Ce sont la, nous pensons, des raisons suffisantes qui font que notre mouvement de rénovation se présente sous l’étiquette de FRONT DE LIBÉRATION NATIONALE, se dégageant ainsi de toutes les compromissions possibles et offrant la possibilité à tous les patriotes algériens de toutes les couches sociales, de tous les partis et mouvements purement algériens, de s’intégrer dans la lutte de libération sans aucune autre considération.
Pour préciser, nous retraçons ci-après, les grandes lignes de notre programme politique :
BUT : L’Indépendance nationale par :
1) La restauration de l’Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques.
2) Le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de races et de confessions.
OBJECTIFS INTÉRIEURS :
1) Assainissement politique par la remise du mouvement national révolutionnaire dans sa véritable voie et par l’anéantissement de tous les vestiges de corruption et de réformisme, cause de notre régression actuelle.
2) Rassemblement et organisation de toutes les énergies saines du peuple algérien pour la liquidation du système colonial.
OBJECTIFS EXTÉRIEURS :
- Internationalisation du problème algérien.
- Réalisation de l’Unité nord-africaine dans le cadre naturel arabo-musulman.
- Dans le cadre de la charte des Nations Unies, affirmation de notre sympathie à l’égard de toutes nations qui appuieraient notre action libératrice.
MOYENS DE LUTTE :
Conformément aux principes révolutionnaires et comptes tenu des situations intérieure et extérieure, la continuation de la lutte par tous les moyens jusqu’à la réalisation de notre but.
Pour parvenir à ces fins, le Front de libération nationale aura deux tâches essentielles à mener de front et simultanément : une action intérieure tant sur le plan politique que sur le plan de l’action propre, et une action extérieure en vue de faire du problème algérien une réalité pour le monde entier avec l’appui de tous nos alliés naturels.
C’est là une tâche écrasante qui nécessite la mobilisation de toutes les énergies et toutes les ressources nationales. Il est vrai, la lutte sera longue mais l’issue est certaine.
En dernier lieu, afin d’éviter les fausses interprétations et les faux-fuyants, pour prouver notre désir de paix, limiter les pertes en vies humains et les effusions de sang, nous avançons une plate-forme honorable de discussion aux autorités françaises si ces dernières sont animées de bonne foi et reconnaissent une fois pour toutes aux peuples qu’elles subjuguent le droit de disposer d’eux-mêmes.
1) La reconnaissance de la nationalité algérienne par une déclaration officielle abrogeant les édits, décrets et lois faisant de l’Algérie une terre française en déni de l’histoire, de la géographie, de la longue, de la religion et des mœurs du peuple algérien.
2) l’ouverture des négociations avec les porte-parole autorisés du peuple algérien sur les bases de la reconnaissance de la souveraineté algérienne, une et indivisible.
3) La création d’un climat de confiance par la libération de tous les détenus politiques, la levée de toutes les mesures d’exception et l’arrêt de toute poursuite contre les forces combattantes.
EN CONTREPARTIE :
1) Les intérêts français, culturels et économiques, honnêtement acquis, seront respectés ainsi que les personnes et les familles.
2) Tous les français désirant rester en Algérie auront le choix entre leur nationalité et seront de ce fait considérés comme étrangers vis-à-vis des lois en vigueur ou opteront pour la nationalité algérienne et, dans ce cas, seront considérés comme tels en droits et en devoirs.
3) Les liens entre la France et l’Algérie seront définis et feront l’objet d’un accord entre les deux puissances sur la base de l’égalité et du respect de chacun.
Algérien ! nous t’invitons à méditer notre charte ci-dessus. Ton devoir est de t’y associer pour sauver notre pays et lui rendre sa liberté ; le Front de libération nationale est ton front, sa victoire est la tienne.
Quant à nous, résolus à poursuivre la lutte, sûrs de tes sentiments anti-impérialistes, nous donnons le meilleur de nous-mêmes à la patrie.
1er Novembre 1954
Le Secrétariat national
Algérie : article d'archives (signalé à nous par Toufik)
Envoyé spécial du quotidien ”La Croix” à Alger à la fin des années 50, Jacques Duquesne a recueilli, en plein conflit, de nombreuses preuves des "bavures" de l'armée française. La plupart des photographies qui accompagnent son texte ont été prises par des soldats qui y assistaient. |
Les cadavres ensanglantés de deux jeunes algériens,
à la sortie d'une salle de torture dans la
région de Constantine (1960).
© Collection privée.
"La torture, la torture? Bien sûr, nous la pratiquons. La presse, une certaine presse, nous rebat les oreilles avec cette affaire. Mais comment voulez-vous faire autrement?" Cet aveu du général Massu n'est pas récent. Je l'ai recueilli à l'automne 1957, dans le grand bureau de son PC, situé sur les hauts d'Alger. Une pièce presque nue, une longue table où il m'avait montré d'abord des photos de jeunes Kabyles: "Ils ont de bonnes têtes, ces gosses."
La torture était de règle, la non-torture l'exception
Sa division, la 10e division de parachutistes, avait, avant d'être engagée dans ce qu'on a appelé la "bataille d'Alger", tenté de "pacifier", comme on disait aussi, une partie de la Kabylie. Massu voulait insister sur les activités sociales qu'elle y avait menées, la lutte contre l'illettrisme, les vaccinations, etc. Sympathique, râleur, une gueule un peu tordue et ravinée de baroudeur, il m'impressionnait. Les gens de ma génération savaient qu'il avait participé, au côté de Leclerc, à la libération de Paris. Mais nous étions là, en tête à tête, pour parler de la torture. Ce fut rude, difficile.Témoigner sur la torture en Algérie? A la fin des années 50, c'était une mission presque impossible. |
Cet entretien, je ne l'avais pas demandé. Il a lui-même une histoire, assez significative pour que je la raconte ici, pour la première fois. J'étais en Algérie depuis plusieurs jours, en reportage pour La Croix . J'avais rencontré de multiples personnes de tous bords. Alger était calme: l'armée avait mis à mal une bonne partie de l'organisation du FLN (Front de libération nationale). Mais qui pouvait dialoguer avec des Algériens comprenait bien vite que cette victoire militaire avait été payée d'une défaite politique. Ceux qui osaient parler, même parmi les plus modérés, chuchotaient souvent que les méthodes de la répression les faisaient basculer dans le camp nationaliste. Revenait, obsédante, la question de la torture, et celle des disparitions: des hommes, des femmes parfois, qui avaient été arrêtés et dont on n'avait plus jamais eu de nouvelles, dont les cadavres, pensait-on, étaient jetés à la mer, lestés d'une pierre. 3'000 était le chiffre le plus souvent avancé alors. Jacques Chevallier, le maire d'Alger, me parla même de 5'000. Un après-midi, j'avais rencontré un avocat, Me Popie, ancien dirigeant des mouvements de jeunesse catholiques, avec lequel j'avais correspondu, des années plus tôt, pour de tout autres raisons. Il me parla de la torture. Je pratiquais le doute, systématique. C'était mon devoir de ne rien croire qui ne fût vérifié. Il me tendit l'écouteur de son téléphone: "Vous allez entendre." Il appela le colonel Trinquier, qui commandait alors le DPU (dispositif de protection urbaine), l'obtint assez vite. "Mon colonel, je vous remercie. J'ai vu mon client, Mohammed X, et il n'a pas été torturé par vos services." Réponse du colonel (que je résume): "C'est normal, cher Maître, puisque vous étiez intervenu." La torture était de règle; la non-torture, l'exception.
La tête d'un combattant du FLN fixée
sur le pare-chocs d'un camion blindé français,
près d'Aïn Beïda, dans le département de Constantine.
© Collection privée.
Des avocats en danger de mort
Il faut ajouter que toutes les interventions d'avocat n'étaient pas aussi efficaces. La plupart du temps, quand une personne était arrêtée, on ignorait par qui, on ne savait pas davantage où elle avait été emmenée (sauf dans la villa Susini de sinistre mémoire, connue de tout le monde), et les chefs militaires eux-mêmes n'auraient pu le dire sans de longues enquêtes: les paras sont des gens formés au travail en petits commandos, assez autonomes, qui ne se croient pas obligés de rendre compte sur l'heure.Me Popie me fournit lors de cette rencontre une liste de ses clients disparus en indiquant dans quelques cas par quelle unité militaire ils avaient été arrêtés (j'en ai publié par la suite une partie dans mon journal, qui fut saisi, bien entendu). Comme il devait partir dans la direction de mon hôtel, l'avocat me prit à son bord. Je notai la présence d'un revolver dans sa boîte à gants. Je lui en demandai la raison. "Je suis, me dit-il, en danger de mort." Je crus qu'il exagérait. J'avais tort. Vers la fin de la guerre, l'OAS (Organisation armée secrète) du général Salan le fit exécuter au poignard par deux légionnaires, qui prirent leur temps pour le faire et qui ne payèrent pas très cher, par la suite, cet assassinat.
Pour mon travail, j'ai été condamné à mort par l'OAS. |
Le soir même, je dînais chez le commandant Hélie de Saint Marc, du 1er régiment étranger de parachutistes, qui devait, par la suite, participer activement au putsch des généraux. Je connaissais sa famille. Je savais que tout jeune, gamin presque, il avait participé à la Résistance, puis été déporté. Une figure de héros. Il avait invité quelques jeunes officiers de la 10e DP.
Je ne souhaitais pas parler, au cours d'une réunion amicale, de ce que j'entendais depuis des jours. Mais l'un ou l'autre, bientôt, s'en prit à la presse: "L'Express", "Témoignage chrétien", surtout jugés coupables de salir l'armée française en dénonçant la torture ou les exécutions sommaires. Agacé, puis irrité, je finis par sortir de ma poche la liste que m'avait donnée l'avocat. Quelques disparus avaient été arrêtés par les unités que ces officiers commandaient. Commença un long débat.
Voici venu le temps de l'Histoire
Le lendemain matin, presque à l'aube, je reçus à l'hôtel Aletti, où je logeais, un appel téléphonique du commandant de Saint Marc. "Si vous êtes d'accord, vous pouvez voir Massu, il nous attend." Les conditions étaient claires: rien ne devait filtrer de cet entretien. J'acceptai, quoi qu'il m'en coûtât par la suite quand mes articles sur la torture me firent qualifier de menteur. Hélie de Saint Marc m'emmena dans sa Jeep, chez Massu.Il n'existait donc pas de doute sur l'existence de la torture, les exécutions sommaires. Ce ne fut pas un phénomène limité à Alger, ni à la bataille d'Alger, en 1957. Les photos que publie L'Express dans ce numéro datent de 1959 et 1960, elles ont été prises dans le Constantinois par des soldats français eux-mêmes. Je les détiens depuis quarante ans et n'avais jamais voulu les publier, mais voici venu le temps de l'Histoire. Dans le bled, comme on disait, les exactions de troupes françaises comprenaient aussi des viols, des destructions de gourbis.
Toutes les troupes françaises? Il exista des exceptions. On connaît le cas des divisions commandées par les généraux Buis ou de Bollardière, tous deux décédés aujourd'hui, mais qui auraient pu en dire long sur le sujet. Il y eut d'autres unités, à des échelons inférieurs, qui se comportèrent mieux également. L'attitude des officiers et sous-officiers de carrière était décisive.
En Algérie, à l'époque, il fallait être aveugle pour ignorer qu'on torturait. |
Des cris obsédants pour les soldats
Mais je pourrais raconter des dizaines et des dizaines d'histoires. Une, parmi d'autres. Presque banale. J'étais ce dimanche-là à Affreville, une grosse ville de la vallée du Cheliff, où résidaient nombre de pieds-noirs dont je voulais connaître les sentiments et la situation. Je décidai d'aller voir, notamment, le curé, après la messe. Il ne me reçut pas très bien, ne m'apprit pas grand-chose: la presse parisienne n'avait pas bonne presse. Un soldat, un séminariste qui faisait son service militaire, lui avait servi la messe. Ce garçon me chercha ensuite dans la ville: il voulait me dire qu'infirmier dans son unité il devait, chaque matin ou presque, soigner des hommes qui avaient été torturés toute la nuit et dont les cris obsédaient souvent les soldats qui ne participaient pas à ces opérations.Une jeune Algérienne mise à nu et emmenée par
deux soldats français, appelés du contingent,
dans la région de Constantine (1960).
© Collection privée.
La "gégène", pas "terrible"
La torture le plus souvent pratiquée, un peu partout, fut vite connue sous le nom de "gégène": c'était le passage d'électricité à travers le corps par l'intermédiaire d'électrodes placées parfois dans le sexe des femmes et reliées à un magnéto. On a souvent affirmé que le général Massu se l'était appliquée à lui-même, "pour voir". Je ne peux l'affirmer. Il m'a dit, je m'en souviens, qu'il ne fallait pas exagérer, que ce n'était pas "terrible". D'autres, quoi qu'il en soit, étaient destructrices: absorption forcée de plusieurs litres d'eau à l'aide d'un tuyau de caoutchouc placé dans la bouche, ce qui pouvait entraîner la mort, coups multiples, ongles arrachés, immersion dans une baignoire jusqu'à étouffement, pendaison par les poignets durant des heures, les pointes des pieds frôlant le sol. Celle-ci fut appliquée aussi à des femmes. On n'écrit pas cela aisément. Il y en eut d'autres, plus affreuses.Sur la torture, on ne peut pas tout dire, tout écrire. |
Le cou tranché, le sexe dans la plaie
L'action de nombreux terroristes ou combattants du FLN ne l'était pas moins. Entrons donc dans le débat, un débat auquel j'ai participé, sur le terrain, très souvent. Situons d'abord les acteurs. Les nationalistes algériens, d'abord. Le 1er novembre 1954, leur insurrection, qui ne manquait pas de motifs (inégalité des droits entres Européens et "musulmans", élections généralement truquées, promesses non tenues de libertés nouvelles, répression sauvage du 8 mai 1945, etc.), avait consisté en l'attaque de quelques gendarmeries ou sentinelles de garde à l'entrée des casernes, la pose de bombes de faible puissance et, déjà, l'exécution dans les Aurès (Est algérien), d'un civil, un instituteur, Guy Monnerot, dont le seul tort était d'avoir pris place dans un car auquel quelques fellagas (les rebelles armés) tendirent une embuscade. A mesure que les années passèrent, leur action devint plus sauvage. On parlait dans l'armée du "sourire kabyle": égorgement de pieds-noirs ou d'Algériens supposés favorables à la France dont on avait tranché le cou et fourré le sexe dans la plaie. Il y eut ainsi, en mai 1957, l'horrible massacre de Melouza, où les hommes du FLN tuèrent à coups de pioches, de balles bien sûr, d'armes blanches, les habitants d'une région, au sud de Bougie, qui étaient nationalistes aussi, mais dissidents. Il y eut, encore, pendant la bataille d'Alger, de nombreux attentats, dans les bars, à des arrêts d'autobus, qui tuèrent bien des innocents.Le FLN a continué. Jusqu'au bout
L'ethnologue Germaine Tillion avait, à cette époque, obtenu de Yacef Saadi, qui dirigeait le terrorisme dans la ville, une sorte de trêve: qu'il en finisse avec les bombes; le pouvoir français, en échange, en finirait avec les exécutions capitales. Celles-ci étaient fréquentes. En fut victime, notamment, Fernand Yvton, membre du Parti communiste algérien, qui avait préparé une bombe en prenant soin qu'elle n'éclate, dans les installations d'Electricité et Gaz d'Algérie, qu'après le départ du personnel. Cette trêve fut rompue par la partie française (Maurice Bourgès-Maunoury dirigeait le gouvernement). Le pire continua. Le pire, c'était le cycle infernal terrorisme-répression (qu'il ne faut pas confondre, bien entendu, avec un génocide).Dans un tel cycle, si déshonorant, la question n'est pas: qui a commencé le premier?, mais: qui s'arrêtera le premier? Personne ou presque. Le FLN a continué. Jusqu'au bout. Après l'indépendance aussi, en massacrant de manière horrible les harkis, des Arabes et des Kabyles qui, pour toutes sortes de raisons, avaient choisi le parti de la France. Puisque l'on parle aujourd'hui de devoir de mémoire, il importe de se souvenir de cela aussi.
Des soldats français devant les cadavres de
combattants algériens, dans la région d'Aïn Beïda (avril 1959).
© Collection privée.
Deuxième acteur, l'armée française. Quand commence la guerre d'Algérie, elle est meurtrie. Nombre de ses cadres ne peuvent se glorifier de leur attitude entre 1940 et 1945. Les plus jeunes, eux, ou ceux de la France libre et de la Résistance, ont été entraînés ensuite dans la guerre d'Indochine, où ils avaient le sentiment d'être lâchés, au loin, par leur pays. Une sale guerre. Pire encore, je le crois, que celle d'Algérie: j'ai appartenu à l'infanterie coloniale, j'ai recueilli assez de témoignages. La fin de cette guerre-là s'appelle Dien Bien Phu. L'humiliation.
Une armée frustrée de victoires...
En 1956, beaucoup d'entre eux, comme Massu, participent à l'expédition de Suez, lancée par le Français Guy Mollet, dirigeant de la SFIO (le nom, alors, du parti socialiste), président du Conseil, en accord avec le Premier ministre britannique Anthony Eden et les Israéliens.Les Français, là, commencent par gagner. Mais les Etats-Unis et l'URSS font les gros yeux. Français et Anglais sont contraints de cesser le combat contre les troupes de Nasser, qu'il s'agissait d'abattre. Voilà les cadres de notre armée frustrés d'une victoire. Ils ne s'en remettront jamais tout à fait. Ils méprisent le pouvoir politique qui les envoie se faire tuer sans savoir exactement ce qu'il veut, et dont les têtes changent souvent. Il n'ont pas vraiment tort, même si leur sens politique à eux, les jeunes officiers, est d'un simplisme déconcertant. Ils croient lutter en Algérie contre la subversion communiste; ils disent "les Viets" en parlant des fellagas; ils tracent, raisonnant en termes de stratégie, une flèche rouge qui, partant de la Russie, atteint l'Atlantique par le Moyen-Orient et le Maghreb en contournant l'Europe par le sud.
En Algérie, le pouvoir politique a été d'une lâcheté terrifiante. |
... et qui détient tous les pouvoirs de police
Le pouvoir politique, c'est le troisième acteur. Il transfère à l'armée, à Alger, tous les pouvoirs de police. Autrement dit: débrouillez-vous. Une folie. S'attaquer à l'appareil souterrain du FLN est une oeuvre policière ardue à laquelle les militaires ne sont pas évidemment préparés. Dans le bulletin ronéotypé "Messages des forces armées", un officier anonyme parle en juillet 1957 de "confusion totale et permanente". Il s'interroge: "A quelles règles se raccrocher? A quelle expérience ? En fonction de quels critères juger ?"Lourde est la responsabilité d'un pouvoir politique désemparé, lâche, qui laisse les exécutants se dépêtrer seuls dans un tel bourbier. La torture, les exécutions sommaires, le pire, Guy Mollet, président du Conseil, le savait; Robert Lacoste, ministre de l'Algérie, le savait; Max Lejeune, secrétaire d'Etat aux Forces armées, le savait; les radicaux Bourgès-Maunoury et Félix Gaillard, présidents du Conseil en 1957 et 1958, le savaient. L'opposition le savait aussi, comme le démocrate-chrétien Georges Bidault, qui osa pourtant déclarer à la tribune de l'Assemblée qu'il fallait employer en Algérie "tous les moyens, mais seulement les moyens, que l'on pouvait enseigner aux petits enfants des écoles". Tous ces hommes, anciens résistants, perdus, dépassés. Et quand de Gaulle arrivera au pouvoir, la gangrène perdurera en dépit des efforts de l'homme qu'il nommera en Algérie, Paul Delouvrier: les images que "L'Express" publie aujourd'hui datent, il faut le rappeler, de 1959 et 1960.
Après la destruction d'une mechta (hameau) par
des blindés de l'armée française dans
l'est du pays (1960).
© Collection privée.
Le pouvoir politique, pendant la plus grande partie de cette guerre, a été totalement impuissant. Exemple: en 1957, j'ai rencontré à Alger un notable de Tizi Ouzou, capitale de la Kabylie. La cinquantaine, époux d'une Française, possédant là un commerce et la pompe à essence - ce qui n'était pas rien. Un homme très modéré, sage. Quelques heures plus tard, il est arrêté. Par qui? Mystère. Je l'apprends, je me sens impliqué dans cette affaire. J'ai quelques relations au cabinet de Robert Lecourt, ministre de la Justice. Je téléphone donc à Paris. Alger se moque d'eux: de quoi se mêlent ces Parisiens? On ne trouvera la trace de ce monsieur - appelons-le Mustapha X - que bien plus tard. Entre-temps, il aura été, comme de règle, torturé.
Alors, la torture? Entrons dans le débat. Lorsque des militaires ont entre leurs mains un homme dont ils pensent, avec une certitude presque absolue, qu'il connaît le lieu où sont entreposées des bombes, on peut comprendre - non approuver - que "pour le faire parler" ils emploient des moyens, disons, anormaux, dans l'espoir de sauver des innocents. Lorsque les soldats ont trouvé des camarades sauvagement mutilés, on peut comprendre qu'emportés par la colère ils se livrent à des violences sur les Arabes jugés complices du crime. Il n'y a pas de guerre propre.
On finissait par torturer par routine, par sadisme. |
Mais le premier cas, souvent cité comme justification aujourd'hui encore, s'est peu produit. Il était très rare d'avoir entre les mains un dépositaire de bombes, ou un homme qui "savait". Sous la torture, en outre, les gens avouaient n'importe quoi pour échapper, ne serait-ce qu'un instant, à l'insupportable douleur. Mustapha X, dont je parlais, m'a dit après sa libération: "S'ils avaient voulu, je leur aurais dit que j'avais chez moi un sous-marin." Les Algériens du bled, volontiers procéduriers, et souvent en litige pour la propriété d'une chaise, d'un mouton ou d'un bout de terrain, ont ainsi dénoncé leurs adversaires, ou l'ennemi traditionnel de la famille.
Un grand nombre de ces tortures n'avaient d'ailleurs pas pour but la recherche du renseignement immédiat. On torturait par routine - ou par sadisme, sale maladie qui s'attrape vite - des suspects à peine suspects, avant tout interrogatoire. Où on les plaçait dans des postures humiliantes, les femmes surtout, des postures qui n'étaient absolument pas nécessaires pour obtenir de quelconques aveux, la souffrance physique y suffisant amplement. J'ai parfois cité à mes interlocuteurs d'alors ce qu'avait écrit le pape Pie XII, pour qui la torture lèse un droit naturel même lorsque l'accusé est réellement coupable. J'ajoutais qu'à plus forte raison elle était inadmissible s'agissant d'un simple témoin ou d'un suspect. Tous les prêtres, sur le terrain et en France métropolitaine, ne partageaient pas, il est vrai, ce sentiment, mais un bon nombre, quand même, approuvaient Mgr Duval, l'archevêque d'Alger, plutôt conservateur, qui ne cessa de dénoncer, clairement, ces pratiques. A ces citations de Pie XII, mes interlocuteurs militaires me répondaient, eux, par l'argument de l'efficacité.
L'efficacité policière immédiate fut relative, je viens de le dire. Le résultat politique fut lamentable. Par l'effet du mystérieux "téléphone arabe", toutes les fautes de l'armée - et, moins souvent, de la police, mieux formée à ce type d'activités - étaient connues dans toute l'Algérie et provoquaient une réaction de solidarité avec les victimes. Les médiocres victoires sur le terrain entraînèrent une grave défaite politique.
Naïfs que nous étions...
Restait, pour les journalistes, une question: ce que nous savions, devions-nous le dire? Pour en avoir dit, un peu, moins que ce que je savais, j'ai été condamné à mort par l'OAS; on a rapporté à la direction de mon journal des propos attribués au général Massu, selon lesquels, si je remettais les pieds en Algérie, il m'en "ferait voir" (vraie ou fausse, cette rumeur eut pour résultat que l'on m'interdit d'y retourner, par prudence, pendant plusieurs mois); j'ai reçu bien des menaces, souvent anonymes. Mais quoi ? Il fallait le dire. Parce que l'essentiel était en jeu: l'âme de la France, les droits de la personne. Parce que, pour ma génération, de tels actes avaient été jusque-là, naïfs que nous étions, l'exclusivité des SS et de la Gestapo. Parce que le dire, en un temps où les médias étaient, pourtant, moins puissants qu'aujourd'hui, était l'un des moyens d'empêcher que cette gangrène - qui a traumatisé toute une génération d'appelés silencieux sur ce drame - ne s'étende davantage.Copyright L'EXPRESS et Jacques Duquesne, Paris. "L'express en ligne", 30 novembre 2000.
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