On connaît le réseau de cinémas Utopia qui, depuis des années, tente, d’Avignon à Toulouse, de donner à voir un autre cinéma, de faire entendre une autre voix face aux mastodontes de la distribution. Le réseau a été au cœur d’une polémique pour avoir déprogrammé un film israélien après l’attaque meurtrière contre la flottille de Gaza. Si cette décision a suscité une levée de boucliers dans les milieux du cinéma français au nom de la sainteté de l’œuvre de création, elle a aussi donné lieu à une campagne de solidarité d’intellectuels et de cinéastes israéliens (« Merci Utopia ! ») qui savent que la culture n’est pas au-dessus de la politique.
Anne-Marie Faucon, coresponsable des cinémas Utopia, s’en est expliquée, comme le rapporte Rue89 (Zineb Dryef, « Utopia revient sur sa décision de déprogrammer un film israélien »). Et le dernier numéro de la revue de l’Union juive française pour la paix, De l’autre côté (n° 6), revient sur la question du boycott, et notamment du boycott culturel, le seul qui puisse faire polémique (« Irrécupérable », par Frank Eskenazi). Je n’ai pas trouvé le texte sur Internet (procurez-vous la revue), mais citons-en un extrait :
« Si depuis 2000, les autorités israéliennes ont accru l’aide apportée au cinéma, ce n’est certes pas pour le plaisir de se voir régulièrement couvrir de boue. Mais parce qu’après les kibboutz, les oranges de Jaffa, El Al, Israël a besoin de renouveler son image sérieusement écornée. Or si le cinéma israélien était un genre, que raconterait-il ? (...) Pour qui ignore tout du pays, Israël apparaît comme une société ouverte, vivant passionnément ses contradictions, puisant même en celles-ci la force de se renouveler. Israël, vous avez détesté la guerre, vous allez adorer le film. »
Mais c’est d’une autre histoire qu’il s’agit aujourd’hui : la condamnation de Yann Moix, qui avait diffamé les cinémas Utopia. Le chroniqueur du Figaro était, bien évidemment, soutenu par Bernard-Henri Lévy et ses amis de La Règle du Jeu (« Affaire Moix / Utopia : le dossier intégral ») : « L’affaire est grave. Le dossier est explosif. Parce qu’il a eu le courage de dénoncer l’antisémitisme flagrant d’un article anonyme publié sous l’égide des cinémas Utopia, Yann Moix est aujourd’hui l’objet d’une procédure pénale pour “délit d’injure publique”. »
Utopia avait programmé le film d’Elia Suleiman, Le Temps qui reste . Le texte de présentation notait : « Les tragédies de l’histoire sont souvent grotesques. Les Palestiniens vivent depuis 1948 un cauchemar kafkaïen. Alors que musulmans et chrétiens coexistaient pacifiquement en Palestine depuis quelques millénaires avec la minorité juive, les puissances occidentales, en totale méconnaissance de la région, et sous la pression d’une nouvelle idéologie, le sionisme, née en Europe au XIXe siècle, décidèrent implicitement, et ce bien avant la deuxième guerre mondiale comme l’ont montré les nouveaux historiens israéliens, qu’ils seraient expulsés de leur terre pour satisfaire au rêve d’un Etat juif. Quelques massacres plus tard, perpétrés par les milices juives, c’est chose faite en 1948 avec plus de 700 000 Palestiniens jetés comme des malpropres aux frontières, et ce malgré une résolution de l’ONU exigeant le droit au retour : résolution qui, bien que revalidée près de 100 fois, ne sera jamais respectée par Israël. »
Moix riposte :
« Le mot “milice” collé au mot “juif”, ce n’est pas un oxymore, c’est une honte. C’est définir, évacuant Auschwitz d’un coup d’adjectif non seulement mal placé mais déplacé, un concept qui donnerait aussitôt vie, dans la foulée, à de jolis avatars comme des nazis juifs, des fascistes juifs, des hitlériens juifs. » Ce qui frappe ici, c’est l’ignorance de Moix qui oublie que ces milices elles-mêmes se qualifiaient de juives, comme l’Etat qu’elles voulaient construire.
Et le chroniqueur du Figaro de poursuivre :
« Ce n’est pas Alain Soral qui a écrit cela, ni Robert Faurisson, ni Dieudonné. Ce n’est pas Robert Brasillach, ou plutôt si : ce sont les Brasillach d’aujourd’hui. Ils ne se déguisent plus en officiers allemands, avec des bottes et des insignes ; ils portent des sandalettes et se parfument au patchouli, aiment la poterie et les bougies bio. Ils sont très à gauche mais de la manière dont, dans les années quarante, on était très à droite. Ils ont la haine des juifs parce que les juifs représentent à leurs yeux la force impériale dark-vadorienne universelle. »
C’est cette formulation de « Brasillach d’aujourd’hui » que la 17e chambre correctionnelle a condamnée le 19 octobre 2010 : « Eu égard à son sens et à sa portée, celle-ci ne saurait trouver de justification ni dans la qualité d’écrivain de l’auteur, ni dans le registre polémique où il entend se situer et pas plus dans le style “entre deux guerres” susceptible de caractériser son billet, sauf à dégrader gravement le niveau du débat public par des incitations à la haine et à la proscription intellectuelle de ses contradicteurs. » Le tribunal a donc déclaré Francis Morel (représentant Le Figaro) et Yann Moix « coupables du délit d’injure envers particuliers ». Moix a été condamné à payer 300 euros à chacun des cinémas Utopia ainsi qu’à leurs administrateurs.
Au moment où les attaques se multiplient contre les militants et les intellectuels solidaires des Palestiniens, ce jugement portera-t-il un coup d’arrêt à ces campagnes ? On peut en douter, si on lit les attaques de Pierre-André Taguieff contre Stéphane Hessel, et la défense du premier par le site néoconservateur d’extrême droite dont Taguieff est devenu un éminent collaborateur, Drzz.
PS Ajout du 30 octobre. Une référence à un envoi sur ce blog du 2 octobre 2006 (« Peut-on encore critiquer l’islam ? (II) - La lepénisation des esprits ») où je signalais un livre coordonné par Taguieff et qui développait des thèses contraires à celles qu’il défend aujourd’hui.
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