30 octobre 2010

Irak - Réflexions sur les War Logs
 
(1ère partie)
 
  (« Le blues d’une femme Arabe »)
 
Cet écrit pourrait être le premier d’une série de publications sur le sujet ; je ne suis pas encore fixée. Je reste libre de laisser fuir mes pensées comme bon me semblera…
Le 23 octobre 2010, la publication par WikiLeaks de documents classés de l’armée américaine a représenté pour moi un tournant important, autant sur le plan personnel qu’en tant qu’irakienne. Certes je ne suis pas la seule concernée, je connais d’autres irakiens qui se sont sentis un TANT SOIT PEU soulagés.
L’un d’eux s’est exprimé à cet égard sur Twitter : « Je vous aime WikiLeaks, désormais je pourrai peut-être dormir un peu plus en paix ».
Sans que je sache d’où, ces mots sont sortis de ma bouche : « Nous demandons aux États-Unis et à l’Iran d’expliquer pourquoi ils nous ont tués, torturés, violés et exilés ».
En tant qu’irakienne, j’ai eu le sentiment de me réveiller lentement d’un long cauchemar. Ce sentiment ne m’a pas lâché de la nuit…quelque chose me rongeait les tripes. Il fallait que ça sorte.
Ce quelque chose, ce n’était ni la rage ni la tristesse qui m’habitent habituellement, mais bien plus…d’où ce texte.
J’ai passé de longues heures à parcourir les rapports de la Guerre, ou « War Logs », sur le site Web de WikiLeaks. Je les ai lus et relus, même si les noms ont été supprimés…sachant pertinemment que cette fuite ne retrace que de manière infinitésimale ce qui s’est réellement passé, et ce qui se passe encore…
Il n’empêche que je les ai parcourus de long en large, pas dans leur totalité, mais en les filtrant et en les choisissant, au hasard...
Dans les temps anciens, où les récits écrits n’existaient pas, l’Histoire s’écrivait de manière orale…par transmission, ce que l’on appelait « l’historiographie orale ». Les War Logs s’apparentent en quelque sorte à une transmission orale des événements, tels qu’ils se sont déroulés...
Et dans les temps anciens, à partir de cette transmission orale d’événements historiques, les gens étaient en mesure de se faire une idée de ce qui se passait. Avec les War Logs, c’est pareil. Même si les noms ont été supprimés, des indications de lieux et de dates y sont données à partir desquelles il est possible de dépeindre un tableau de la situation, un tableau plus précis je dirai…
Mais pourquoi cette démarche s’est-elle imposée à moi ?  Après tout, les fuites viennent simplement CONFIRMER ce que j’écris dans ce blog depuis des années. Pourquoi ai-je eu besoin de cette confirmation publique des événements, venant d’une instance supérieure, après sept ans de carnage, de torture, de viols et d’exil ?
Pourquoi ce concitoyen irakien a-t-il dit : « désormais, je pourrai peut-être dormir un peu plus en paix » ? Il est certain pourtant que ces documents classés n’ont révélé rien de plus que ce qu’il ne savait déjà.
Je me suis endormie en ruminant ces questions, puis j’ai fini par comprendre…
Avez-vous le souvenir, à un moment ou à un autre de votre vie, d’avoir été témoin de quelque chose d’épouvantable, de l’avoir signalé, d’en avoir parlé sans que personne ne vous croit ? Même ceux qui vous étaient proches, ou que vous croyiez proches, ne vous ont pas cru. Sans répit, vous avez répété ce que vous avez vu, personne n’a cru un mot de ce que vous disiez.
Or, cette vérité dont vous avez été témoin, vous ne vous êtes jamais résolu à l’oublier. Certains vous ont ridiculisé, vous ont traité de tels ou tels noms, vous ont fait taire, vous ont menacé de vous tuer, vous ont collé une étiquette de menteur(se), vous ont accusé de mythomanie ou de conspiration personnelle…Et au ridicule, se sont ajoutés la minimisation et la déformation des faits, ainsi que la culpabilisation : « voyons, ce n’est rien de grave » ou « rien de tout cela ne s’est passé », « tout cela n’est que mensonge et source de problèmes »...et parfois la pression était telle que vous commenciez à vous demander si, après tout, vous n’aviez pas des tendances mythomanes…que peut-être vous aviez mal vu, que tout cela n’était qu’une illusion...En d’autres termes, lorsque vous avez apporté la vérité, ces personnes vous ont ôté toute crédibilité et vous ont fait douté de la véracité de votre récit. Il vous est arrivé de vous murer dans un silence d’autiste ou de parfois surcompenser par une attitude encore plus provocatrice…pourtant vous vous sentiez terriblement seul(e).
Mais vous avez tenu bon, vous n’avez pas lâché prise...et même terriblement seul(e), vous avez réalisé, dans cette démarche d’entêtement et d’obstination, à quel point les faits ont été étouffés. ÉTOUFFÉS.
En même temps, plus vous creusez les faits, plus vous prenez conscience d’autres facteurs encore plus importants : les réseaux, alliances et autres guerres en marge de cette dissimulation. C’est alors que vous comprenez : plus la dissimulation s’installe, plus le mensonge grossit, plus la minimisation enfle, plus les omissions s’accumulent, plus la Vérité devient synonyme de danger. La Vérité derrière ce qui s’est passé et ce qui se passe encore.
Et à un moment précis dans le temps, une voix, une instance bienveillante vient vous conforter en vous disant : « J’ai une histoire à raconter » et dans un langage cryptique, vient répéter votre vérité et la révèle au grand jour. Vous devez encore lire entre les lignes, mais dans votre for intérieur, vous pensez : « Enfin, je ne suis plus seul(e). Enfin, tout ce que je croyais n’être que le fruit de mon imagination, se révèle être la Vérité ».
Alors le fardeau devient un peu moins lourd à porter ; vous avez le sentiment que le cauchemar se termine et que vous pourrez dormir un peu plus en paix.
C’est ce qui s’est passé le 23 octobre 2010 pour de nombreux irakiens qui portaient seuls le fardeau de leur Vérité : ils s’en sont déchargé d’une petite partie et ont pu ainsi espérer dormir plus tranquillement en osant imaginer, comme je l’ai moi-même fait, que peut-être - peut-être - un jour se réveilleront-ils de leur cauchemar en solo…
Dans la prochaine publication, j’aborderai les War Logs proprement dits et certaines informations importantes concernant le nettoyage ethnique, le rôle de l’Iran et les autres mini-guerres qui se sont déroulées dans le cadre de la Guerre elle-même : l’Occupation et la Destruction de l’Irak. Inchallah.
 
Traduction : Magali Fauchet
 
Par Gilles Munier

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