18 avril 2011

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Les compétences dans l’éducation : une menace pour la transmission ?

Vendredi 12 mars, 2010
Les compétences dans l’éducation : une menace pour la transmission ? 


par :  Angélique DEL REY *
Depuis au moins deux décennies, « l’approche par compétences » a envahi les contenus et les évaluations de l’éducation nationale, sans bruit, par une espèce de révolution silencieuse qui renvoie pourtant (c’est pourquoi j’utilise le mot de révolution) à un changement profond dans la façon de concevoir l’éducation au XXIème siècle. L’approche par compétences de l’éducation est-elle compatible avec la fonction anthropologique de cette dernière, transmettre, faire société ? Comment se fait-il que nulle opposition réelle ne s’élève contre cette approche qui envahit notre système scolaire, comme celui de nos voisins européens, comme celui d’autres pays du Nord et du Sud ?

Comment j’ai été choquée par l’approche par compétences dans l’éducation 
J’enseigne la philosophie au lycée. Aussi avais-je peu de chance d’être confrontée aux « compétences ». Les professeurs de philosophie enseignent sur la base d’un programme de notions, avec une très longue tradition de cours magistraux. Souvent forcés par notre auditoire à adapter notre « pédagogie », nous ne faisons certes plus que du cours magistral mais aussi des débats, sollicitons la participation des élèves dans la construction du cours, partons de leurs représentations, faisons fond sur leurs connaissances, suscitons des découvertes culturelles (artistiques, historiques…) donnant matière à réflexion… Mais quoi qu’il en soit de ces changements, ceux-ci sont davantage dictés par l’expérience que par une pédagogie enseignée dans les IUFM.
C’est en suivant un stage à l’éducation spécialisée, alors que j’avais été nommée sur un poste spécifique, dans un centre de soins études pour adolescents, que j’ai « découvert » les compétences. Une directrice d’école privée (basée entièrement sur l’évaluation par compétences) vint un jour nous présenter l’approche. Elle nous raconta qu’elle accueillait dans son école des élèves en échec scolaire et qu’en leur faisant tenir un « portefeuille de compétences » (dans lequel ils notaient régulièrement le progrès réalisé dans l’acquisition des « compétences attendues »), en leur distribuant aussi, selon leur propre évaluation, des « certificats de compétences acquises », elle leur avait permis de « s’en sortir ».
Venue du Québec, l’approche par compétences nous était présentée comme idéale pour intégrer des élèves en difficulté scolaire : c’est ainsi qu’un jour, je reçus la visite de mon formateur afin d’évaluer mes capacités à travailler avec des élèves présentant des « déficiences cognitives ». Je faisais alors un débat (sur la religion). J’avais demandé à chacun de préparer un aspect de la question, afin de pouvoir incarner un « spécialiste » de l’aspect en question ; ce que j’attendais du débat était qu’il fasse émerger une réflexion sur le problème de la diversité des religions, leurs conflits, un questionnement sur sa définition, le rapport de la croyance à l’humain… Et je dois dire que de ce point de vue, après la séance, j’étais satisfaite. Quant au formateur, il m’indiqua d’emblée qu’en dépit de l’intérêt que pouvait présenter, « pour moi », une telle réflexion, il manquait à ce débat tout le travail nécessaire à ce que mes élèves puissent acquérir des compétences, utiles à leur intégration dans le monde du travail. A l’un de mes élèves, visiblement gêné dans sa prise de parole, j’aurais par exemple dû faire en sorte que le débat serve à améliorer sa capacité à « prendre la parole en public » ; à l’autre, visiblement peu maître de ses émotions (mais, dois-je le préciser, extrêmement actif dans la construction de la réflexion commune), que le débat serve à « maîtriser ses émotions », et ainsi de suite.
Cette approche me frappa ; d’abord, pour sa dimension hautement normalisatrice. J’étais frappée qu’on veuille faire de la philosophie une matière utile à la réussite dans une vie active dont les critères d’intégration avaient été par avance définis. Comme l’énonçait l’article 9 de la loi du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, « la scolarité obligatoire doit au moins garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun constitué d’un ensemble de connaissances et de compétences qu’il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel et réussir sa vie en société. » Quand je dis « normalisatrice », je fais référence au fait que mes élèves, en l’occurrence, n’étaient pas forcément en mesure de maîtriser leurs émotions et ou de prendre hautement et clairement la parole devant les autres, et que ceci n’était pas nécessairement lisible comme un manque, un défaut, ou une anormalité, mais était lié à leur parcours de vie, leur état présent… faire comme si leur problème était de manquer d’un comportement pourtant « constructeur », c’était renoncer à prendre au sérieux leurs qualités réelles au profit de compétences abstraites…
Mais cette approche me frappait aussi par son utilitarisme. On veut que la philosophie soit utile à prendre la parole en public, à maîtriser ses émotions, à « prendre conscience que nul ne peut exister sans autrui », à « être capable de raisonner avec logique et avec rigueur », à « distinguer ce dont on est sûr de ce qu’il faut prouver », autant d’attitudes prescrites par le Socle commun de connaissances et de compétences arrêté par décret en juillet 2006. Comme si tout pouvait être linéairement utile à quelque chose ; comme si transmettre des « savoirs », des « attitudes » ou de « capacités » était soluble dans une liste de « compétences attendues » ainsi que dans la formalisation de techniques pédagogiques pour faire acquérir cette liste (sans oublier l’évaluation de l’efficacité de cette acquisition). N’y a-t-il pas tout un tas de dimensions que l’on acquiert par efficacité « paradoxale », comme disait Michel Foucault, c’est-à-dire sans l’avoir visé, cherché, et sans pouvoir le faire ? Autrement dit tout un tas d’attitudes, de capacités et de savoirs que l’on acquiert, définitivement, d’une façon non linéairement rationnelle ? Evacuer cette réalité relève, pour moi, d’une forme de barbarie : on prétend maîtriser toutes les dimensions de l’apprentissage… et l’on évacue la transmission
Ce qui m’a peut-être le plus choqué dans cette séance, c’était de penser que la réflexion sur la religion (dimension qu’on trouve dans toutes les cultures et à toutes les époques, qui a généré tant de créativité, culturelle, intellectuelle, artistique, tant de confits et de guerres aussi…) puisse être mise au service de l’acquisition par l’individu de compétences à « réussir personnellement et professionnellement sa vie en société ». Une telle absurdité me semble à peine mériter de commentaire : comment transmettre pourrait-il avoir le moindre rapport avec un tel bidouillage ? La transmission est de nature collective. On peut bien entendu transmettre individuellement des savoirs, des valeurs, des techniques, tout ce que vous voulez… mais la transmission est une affaire collective. La culture se transmet ; et comment se transmet-elle ? En permettant que se réactualisent les connaissances, techniques, et valeurs du passé ; réactualisation qui implique la longue durée, la capacité de mémoire qui est celle d’une époque et la création de nouvelles formes de transmission… Or avec les compétences, de quoi s’agit-il, sinon d’une pure et simple évacuation de la transmission ? Les Québécois d’ailleurs ne s’y trompent pas, qui opposent le paradigme de la transmission à celui de l’apprentissage, la réforme par compétences du système impliquant le dépassement du premier par le second.

Une approche mondialisée 
On me dira peut-être que si je suis choquée par l’approche par compétences, cela vient de ce que je suis professeur de philosophie. Pour un professeur de matières techniques, n’est-il pas logique, normal, que l’école permette d’acquérir des compétences permettant d’être plus tard employé dans une entreprise ou dans une usine ? D’abord, ce n’est pas certain. Le problème, c’est la dimension prescriptive des listes de « compétences ». Car comme l’ont très bien montré les sociologues dans les années 70, il y a le travail prescrit et le travail réel. Les deux ne se confondront jamais. Or les listes de compétences prétendent rabattre tout le processus de formation au niveau d’une prescription, sans plus laisser de place à la créativité propre à tout apprentissage. Ensuite, le problème est justement qu’on veuille imposer une vision techniciste à toute forme d’enseignement, y compris à celui qui est en l’occurrence à l’opposé de la possession d’une technique : l’enseignement philosophique (mais cela pourrait se dire des lettres, de l’histoire, de l’enseignement artistique, et ainsi de suite).
Du reste, j’ai vite découvert que l’approche par compétences, non seulement était mondialisée, mais qu’elle soulevait un débat international sur sa pertinence dans l’éducation. Ses détracteurs lui reprochent généralement de rabattre les questions éducatives sur la pure et simple efficacité économique et de viser directement, plutôt que la transmission, la croissance des nations et la compétitivité des entreprises. Dans le paysage de l’éducation nationale française, les compétences se sont imposé depuis l’arrivée des socialistes au pouvoir, qui ont voulu marquer leur différence en réformant les contenus. C’est ainsi que
la Charte des programmes introduisit en 1990 la notion de « compétences attendues » à la sortie de l’école, et à l’acquisition desquelles les différentes disciplines devaient en principe servir. Ceci fut formalisé par le Socle de connaissances et de compétences, adopté par décret en juillet 2006, ainsi que par les nombreuses formes d’évaluation par compétences (formatives, diagnostiques et bilans) qui virent progressivement le jour, faisant concurrence à la traditionnelle évaluation par la note.
Mais le cadre français n’est pas le bon pour comprendre cette évolution. Le Socle de connaissance et de compétences s’inscrit dans le « cadre de référence » de
la Recommandation du Parlement et du Conseil sur les compétences-clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie, dont la dernière version date du 18 décembre 2006. Les huit compétences-clés décrites par le cadre européen (communication en langue maternelle, communication en langues étrangères, compétence mathématique et compétences de base en sciences et technologie, compétence numérique, apprendre à apprendre, compétences sociales et civiques, esprit d’initiative et d’entreprise et sensibilité et expression culturelle) se retrouvent presque à l’identique dans les sept « compétences et connaissances » du Socle français (maîtrise de la langue française, pratique d’une langue vivante étrangère, compétences de base en mathématiques et culture scientifique et technologique, maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication, culture humaniste, compétences sociales et civiques, autonomie et initiative des élèves.) A simplement disparu la compétence « apprendre à apprendre » et surtout, s’est transformée la compétences « esprit d’initiative et d’entreprise » en « autonomie et initiative de l’élève » : on imagine le tollé qu’aurait provoqué en France une compétence comme « l’esprit d’entreprise » ! Reste que le cadre est globalement conservé, et que la définition du Socle français apparaît donc comme une réponse à la demande émanant des institutions européennes « d’adapter les systèmes d’éducation et de formation aux nouveaux besoins en matière de compétences »
[1]. Et ces nouveaux besoins, ce sont ceux d’une économie désormais fondée sur la « connaissance », autrement dit la communication et l’information en permanence renouvelées et devant circuler le plus vite possible. D’où l’inutilité des savoirs (contenus), vite périmés, et l’utilité de compétences permettant de recycler ce que l’on sait en permanence (« apprendre à apprendre »). D’où l’importance aussi de « savoir faire » et de « savoir être » « flexibles », permettant aux entreprises « d’adapter leurs structures de plus en plus rapidement afin de rester compétitives ».
Le conseil européen de Lisbonne soulignait que « les ressources humaines sont le principal atout de l’Europe », d’où « la nécessité d’adopter un cadre européen définissant les nouvelles compétences de base à acquérir par l’éducation et la formation tout au long de la vie ». Mais l’Europe n’est pas la seule à s’être lancée dans ces « nouvelles stratégies compétitives » basées sur l’investissement dans la ressource humaine flexible. En Amérique latine par exemple, de nombreuses organisations internationales comme l’organisation internationale du travail et son centre de recherche et d’investigation, l’UNIFOR ou encore l’OIE (organisation ibéroaméricaine pour l’éducation et la culture), militent pour l’introduction de l’approche par compétences dans les systèmes scolaires nationaux. Le Chili, le Vénézuela, le Brésil… le Mexique, ont connus des réformes à des degrés divers de leurs programmes scolaires et de leurs systèmes d’évaluation, basées sur les compétences. En Argentine, l’école secondaire a été réformée en 1993 sur la base de la définition de 5 grandes compétences, et la filière technique fut restructurée sur la base d’un calcul des besoins de l’industrie en compétences qui ne tenait pas compte (étant fondé sur les entreprises légales de plus de 10 salariés) de plus de cinquante pour cent des travailleurs réels ! L’Amérique latine n’est du reste pas la seule à miser sur ces nouvelles (et efficaces !) stratégies compétitives : si j’en crois les nombreuses occurrences sur internet du terme « compétences » pour le continent africain, les entreprises africaines sont également demandeuses de compétences flexibles.
La portée mondiale de l’approche par compétences dans l’éducation s’explique à mon sens par le nouveau rapport qui s’est noué, depuis la seconde guerre mondiale, entre l’école et le monde du travail. Ce nouveau rapport est dû, premièrement, à l’entrée de l’éducation dans un calcul économique, un calcul de croissance. Des économistes « découvrirent » (ou inventèrent ?) le concept de « capital cognitif », producteur de croissance pour les Etats et en tirèrent l’idée que pour les Etats, miser sur les compétences et leur valorisation par l’éducation, c’est miser sur plus de croissance. Puis, il y eut le rapport noué entre l’école et l’entreprise, via l’idée et la réalité d’un devoir de « formation continue » de la part des entreprises vis-à-vis de leurs employés. Les entreprises deviennent alors directement ou indirectement formatrices, elles récupèrent l’idée des compétences source de croissance –qui, dans l’esprit de l’entreprise, devient compétitivité, et « formatent » les compétences en un mixte de savoirs, savoir faire et savoir être censés être source de compétitivité pour l’entreprise. Entre l’école et l’entreprise, une concurrence de fait s’installe sur le terrain de la formation et du « comment former ». Former par compétences devient de plus en plus incontournable. D’autant plus que, côté planification des systèmes éducatifs, l’évaluation-monde des systèmes éducatifs se fait désormais sur l’acquisition de « compétences à réussir dans la vie moderne », listées par des « experts internationaux » et dont les niveaux d’acquisition furent normativement définis. Et c’est ainsi que les Etats décident de leurs réformes des systèmes éducatifs avec, d’un côté, une idéologie de l’éducation source de croissance pour les Etats et de l’autre, une évaluation de la réussite des systèmes éducatifs sur la base de compétences à réussir dans la vie, c’est-à-dire à être « employables ». Voilà ce qui me convainc qu’avec l’approche par compétences, le marché néolibéral a saturé le monde éducatif public et qu’on est complètement à l’opposé d’une logique de transmission…

Quel « homme » éduquons-nous ?
Certains se diront pourtant peut-être que l’approche par compétences de l’éducation répond à une exigence de justice sociale, de démocratisation scolaire, d’ailleurs c’est présenté comme cela, et beaucoup d’enseignants s’en servent dans cet esprit, tâchant de moins stigmatiser… et c’est vrai que la note stigmatise… tâchant aussi de se préoccuper davantage de l’apprentissage réel et effectif, et non seulement de la capacité à réaliser des exercices standardisés, très éloignés de la « capacité à affronter la vie réelle ». Dans les sciences de l’éducation, même ceux qui s’opposent à l’approche par compétences reconnaissent qu’elle a l’avantage de mettre le doigt sur un problème réel de l’école d’aujourd’hui : comment faire en sorte que ce qu’on acquiert à l’école ne soit pas un savoir mort et puisse « servir à quelque chose dans la vie » (y compris à trouver un métier) ?
Et là, je crois que nous sommes effectivement aujourd’hui devant un choix très clair, même si nous n’en sommes pas nécessairement (je parle des enseignants comme moi, des gens qui s’occupent d’éducation à la base) très conscients. Ce choix est entre, faire de l’école une boîte de formation, ou faire de l’école un véritable lieu d’éducation à faire société. Et là, il faut faire bien attention à ce que nous entendons par « servir à quelque chose dans la vie ». Parce que s’il est essentiel que les cours d’histoire permettent aux élèves de se situer dans leur monde, situant le présent dans le passé et envisageant de cette façon plus clairement l’avenir… quel rapport avec une quelconque « réussite dans la vie » ? Se pose donc aussi la question de l’efficacité : qu’est-ce qu’un enseignement efficace ? Il ne faut pas évacuer la question de l’efficacité, bien entendu, mais l’efficacité de l’éducation ne se mesure pas uniquement au taux d’employabilité de l’individu. C’est l’économicisme actuel qui recherche le rabattement de l’efficacité interne sur l’efficacité externe (combien coûte le système éducatif, quelle croissance et productivité entraîne-t-il ? Et donc comment gérer au mieux l’employabilité des individus…). Le processus consiste alors à faire en sorte que l’individu serve le plus efficacement le système… On cherche, c’est certain, une forme d’intégration, mais qui n’est pas pensée depuis la réalité sociale, depuis un « la société c’est tout le monde », mais depuis un « la société, c’est ceux qui possèdent telles et telles compétences utiles socialement. Les autres seront (ou sont, de fait, comptabilisés comme tels), marginalisés ». On a donc un système à trois vitesses : ceux qui ont le droit à un avenir, ceux qui ont l’avenir de tout le monde (la ressource humaine flexible), et ceux qui feront toujours partie de la marge… les « besoins éducatifs particuliers », les promis aux « sous » compétences, les populations faiblement éducables voire non éducables.
Mais si l’on se préoccupe de « faire société », c’est là que commence la difficulté pour prendre en charge la réalité, faire preuve de réalisme, se demander par où passe un enseignement efficace. Car il s’agit de penser une tout autre forme d’efficacité, partant du principe que les gens sont viables tels qu’ils sont, et qu’on doit faire société en partant de tous, des capacités réelles de chacun et non d’une prescription quant aux compétences nécessaires à faire partie de la société. On doit partir des hommes tels qu’ils sont, avec leurs qualités et défauts, affinités électives, tropismes et vies singulières ; on doit partir donc aussi du décalage de ces réalités par rapport aux « besoins » économiques en compétences ciblées, en flexibilité et en formatage, de la tension relative aussi à la pression de la société dans l’expulsion de certaines catégories de populations à la marge… Il faut donc pouvoir travailler avec le conflit.  Ce que je veux dire par là, c’est que lorsqu’on refuse de travailler sur la base de « compétences à réussir dans la vie », mais tout en prenant en charge les difficultés réelles de l’école aujourd’hui, la difficulté de transmettre, l’inadaptation des modes de transmission, la violence, le désintérêt des jeunes et ainsi de suite… il nous partir de l’hypothèse qu’en assumant les conflits qui sont ceux de nos situations, nous allons pouvoir les faire évoluer vers davantage de puissance, développer les potentialités de transmission et d’éducation qu’elles contiennent. Pour l’approche par compétences, le monde est loin et il faut travailler pour que les jeunes s’y adaptent : ne peut-on pas travailler avec l’hypothèse que le monde se reflète dans chacune de nos situations et que c’est en approfondissant nos territoires, avec tout ce qui les singularisent (tropismes, qualités et affinités électives de chacun, histoire du quartier, du lieu, de l’endroit, liens réels avec la société, et ainsi de suite), que nous trouvons la pierre de touche d’une transmission véritablement efficace ?
Qu’on me comprenne bien : je ne dis pas qu’il ne faille pas se préoccuper de l’intégration de nos élèves au monde du travail. Mais si nous saturons l’acte d’éduquer par la préoccupation d’une adaptation des « compétences acquises » à l’école aux besoins du marché en compétences nouvelles, aux « nouvelles stratégies compétitives », et à la compétitivité des entreprises, nous participons à la destruction de l’essence anthropologique de l’éducation : transmettre. La transmission a beau être en crise aujourd’hui, jamais la rétablir n’aura pour effet de résoudre le problème de la compétitivité des entreprises et du chômage en période de crise économique. C’est pourquoi nous avons le devoir de protéger le sens de l’éducation et de la culture de la fabrique de ressources humaines que tend à devenir l’école publique au niveau mondial.

 * Professeure de philosophie, auteure du livre “À l'école des compétences. De l’éducation à la fabrique de l’élève performant”. Voir ici sa bibliographie.

[1] Recommandation…, Journal Officiel de l’Union Européenne, L 394/10
http://satefdz.unblog.fr/tag/reformes/
Transmis par Tahar Hamadache que nous remercions vivement

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