17 avril 2011

Fin de mission pour Laurent Gbagbo : Intronisation du fidèle Ouattara

Chems Eddine CHITOUR
 
 


« La France, gendarme de l’Afrique, c’est terminé, désormais, aucun soldat français ne tirera sur un Africain. (…) »

Nicolas Sarkozy (discours au Cap)


Lundi 11 avril, après-midi, Laurent Gbagbo est « capturé » et conduit à l’hôtel du Golf où il est fait prisonnier avec sa femme. Avec un rare cynisme, Alain Juppé sur RTL, implique l’Afrique dans la crise ivoirienne. « De grâce, essayons de ne pas faire toujours porter tout le chapeau à la France. Ce qui est en cause aujourd’hui, je le répète, c’est de savoir si le droit international, proclamé de façon tout à fait évidente par les Nations unies et par l’Union africaine est respecté, tous les chefs d’Etat africains ont fini par lâcher Gbagbo, ce n’est pas la France qui est seule en cause. C’est l’ensemble de l’Union africaine. Si en Afrique, on constate que des élections qui se sont correctement déroulées, qui ont été validées par l’Union africaine et par les Nations unies, sont bafouées par ceux qui ont été battus, alors c’en est fini de la démocratie en Afrique. C’est ça qui est en cause. » Après l’invasion, c’est la démocratie que les puissances occidentales veulent imposer par nouveaux serviteurs interposés. Ouattara est la personne désignée. Laurent Gbagbo a raison de dénoncer l’intervention militaire de la France dans son pays. « Je trouve, dit-il, vraiment ahurissant que la vie d’un pays se joue sur un coup de poker de capitales étrangères. »

Qui est Laurent Gbagbo ?

Pour l’histoire, Laurent Gbagbo n’a pas jailli du néant. Il devient en 1970 professeur d’histoire au lycée d’Abidjan. Chercheur à l’Institut d’Histoire, d’Art et d’Archéologie Africaine (IHAAA) à partir de 1974, il est également titulaire d’une maîtrise d’histoire de la Sorbonne. Il soutient enfin, en juin 1979, une thèse de doctorat. Parti en exil en France en 1985, il cherche à promouvoir le FPI et son programme de gouvernement visant à lutter contre la dictature du Parti démocratique de Côte d’Ivoire, alors parti unique, et à promouvoir le multipartisme. Idéologiquement proche du Parti socialiste français.
« La qualité peut-être dominante, écrit Philippe Bernard, est la personnalité. Le candidat a beaucoup réfléchi, il a un avis précis et le dit dans l’ensemble fort bien. » Le « candidat » en question s’appelle Gbagbo Laurent. Nous sommes le 22 juin 1979 et à l’université Paris VII-Jussieu, un jury de trois historiens salue ainsi la thèse de troisième cycle soutenue par cet étudiant déjà âgé de 34 ans, intitulée. « Les ressorts socio-économiques de la politique ivoirienne (1940-1960) ». Revenu à Abidjan après sa thèse, il fonde dans la clandestinité le futur Front Populaire Ivoirien (FPI), mais doit à nouveau s’exiler à Paris en 1982. Le premier président ivoirien, qui fut ministre de la IVe République française, est présenté par M.Gbagbo comme « le représentant d’une bourgeoisie terrienne (ivoirienne) qui n’a pas intérêt à rompre avec l’ordre colonial, car elle en a besoin pour l’écoulement de ses produits agricoles qui n’ont pas de débouchés sur le marché intérieur ». Le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) d’Houphouët, « en pactisant avec l’occupant (français) et en adoptant les mots d’ordre collaborationnistes, poursuit la thèse, a permis la seconde pacification et a instauré un climat politique propice à l’exploitation économique de type néocolonial ». Quant à l’enseignement dispensé par les Français, il « permet à l’administration coloniale de pratiquer sur une vaste échelle le génocide culturel, prélude à la confiscation de la pensée des peuples soumis ». (1)

Par qui a été arrêté Laurent Gbagbo ?

Par la force, l’Occident a pris le pouvoir en Côte d’Ivoire, l’Otan sera sur place, la France coloniale et texane via Sarkozy a montré ses muscles et va continuer la politique françafricaine, le FMI pourra piller le pays et l’offrir aux multinationales et à Monsanto (à la clé, ruine des paysans, suicides, santé en péril), le sous-sol du pays le plus riche d’Afrique sera aux mains des Anglo-Saxons et des Israéliens, les Chinois seront boutés dehors, la pègre va diriger le pays, bref, à la tête du pays un sinistre valet de l’Occident criminel, à son image. Pauvres Africains !
Une dépêche Reuters, agence de presse américaine peu soupçonnable d’être complice de Gbagbo, a annoncé le lundi 11 avril 2011 à 15h41 que Gbagbo a été arrêté par les forces spéciales françaises. Et ce ne sont pas des hommes de Laurent Gbagbo qui le lui avaient signalé, mais des hommes de Ouattara ! Un autre porte-parole du camp Ouattara, Hervé Cohx, basé à Paris, a précisé que Laurent Gbagbo avait été emmené à l’hôtel du Golf, QG des forces du vainqueur reconnu de l’élection présidentielle du 28 novembre. « Je vous confirme l’arrestation de Gbagbo qui se trouve actuellement à l’hôtel du Golf », a-t-il confié à Reuters. « Il a été arrêté par les forces françaises qui l’ont remis aux forces républicaines ». (2)

Comment l’opinion internationale évalue la capture de Laurent Gbagbo ?

Plusieurs médias occidentaux ont fait part de leur scepticisme concernant le scénario incanté par les chaînes françaises. « Que les bottes françaises aient foulé le sol du palais présidentiel ou pas, il est clair que les militaires français ont fait basculer la lutte pour le pouvoir en faveur de Ouattara », estime John Lichfield du journal The Independent. Pour le quotidien britannique, la position de la France était décidée avant même l’arbitrage de l’ONU et de la communauté internationale, qui ont déclaré Alassane Ouattara président élu : c’est Nicolas Sarkozy, lorsqu’il était maire de Neuilly, qui a marié le couple Ouattara. « Paris avait perdu patience avec Gbagbo depuis des années », croit savoir le journal, pour qui le rôle de la France en Côte d’Ivoire se résume à la « sale habitude » de la « Françafrique ». L’analyse est partagée par El Pais : selon le journal espagnol, cette « guerre » en Côte d’Ivoire est un héritage du passé colonial. Sous le couvert de l’ONU, Nicolas Sarkozy a joué le « rôle de gendarme néocolonial », commente El Pais. « Sarkozy a suivi la crise de très près en communiquant régulièrement avec Outtara par téléphone », souligne le journal.
L’intervention de la France dans la crise ivoirienne pourrait coûter cher à Ouattara, estiment les analystes. Pour Ishaan Tharoor, du magazine Time, « Ouattara devra se défaire de l’étiquette de marionnette de la communauté internationale et surtout de la France, que ses opposants essaient de lui coller ». Mais l’arrestation de Laurent Gbagbo ne signe pas la fin de la crise, prévient le New York Times. Les frappes aériennes de l’ONU et de la France « vont nourrir la colère des pro-Gbagbo, mus par un sentiment anti-occidental », prédit le quotidien américain. (3) « Pour déloger le président sortant de son bunker, écrit Leslie Varenne de la Tribune de Genève, la France et l’ONU ont sorti l’artillerie lourde. Opération réussie. L’opération minutieusement préparée par les forces françaises et onusiennes a été un vrai succès. Laurent Gbagbo et ses proches ont été arrêtés lundi en début d’après-midi et conduit directement à l’hôtel du Golf, QG d’Alassane Ouattara. » (4)
« Lundi en milieu de matinée, une quarantaine de blindés quittent le camp militaire français, direction Cocody, le quartier où se trouve le président sortant avec ses proches. Selon un autre témoin, au même moment, des parachutistes sont largués au-dessus du Palais présidentiel. Puis les forces spéciales entrent en action du côté du bunker. Une heure plus tard, l’arrestation du clan Gbagbo est réalisée et rendue officielle. Dans un premier temps, l’ambassadeur de France reconnaît que l’arrestation a été réalisée par les soldats français. Puis, dans la foulée, une source diplomatique dément : « Le président Ivoirien sortant, Laurent Gbagbo, a été arrêté lundi dans sa résidence d’Abidjan par les forces de son rival Alassane Ouattara et non par les forces spéciales françaises. » Une source militaire déclare : « Ce ne sont pas les forces de Ouattara qui ont arrêté Laurent Gbagbo, ce n’est pas possible, l’armée de Ouattara n’a jamais pu approcher le périmètre. » (4)
En fait, la situation était arrivée à un blocage. Il fallait crever l’abcès. En fin de matinée de lundi, rapporte le Monde, M.Gbagbo et son entourage avaient tenté une sortie de leur résidence qui était en feu, touchée par un tir de missile français la veille au soir. Les partisans de Laurent Gbagbo avaient riposté et mis les assaillants pro-Ouattara en fuite. Laurent Gbagbo avait ensuite tenté de s’enfuir par une vedette au bord de la lagune. Il semble en avoir été dissuadé par l’hélicoptère français. Les diplomates français estiment que la situation s’était à ce point dégradée, qu’ils n’avaient pas d’autre choix que de précipiter la chute de Laurent Gbagbo. Ne rien faire, aurait précipité le pays dans la guerre civile (...). La présence des troupes françaises à Abidjan ne relève pas cependant d’un hasard. Il est évidemment lié au passé colonial de la France. Mais l’intervention de Licorne, en 2011, n’a absolument pas les mêmes bases que celle des soldats français en 2004. Il s’agissait alors des militaires du bataillon d’infanterie de marine basé à Abidjan qui avaient tiré sur la foule des « jeunes patriotes », lancés dans des manifestations anti-françaises. Le bombardement mortel de l’aviation ivoirienne sur le camp français de Bouaké avait conduit la France à détruire l’intégralité de l’aviation ivoirienne et déclenché en représailles des manifestations « patriotiques » ». (5)
« La décision prise par Nicolas Sarkozy d’intervenir directement, même sous un clair mandat de l’ONU, contredit toutefois formellement ses discours antérieurs. L’interpellation de Laurent Gbagbo ne signifie pas nécessairement la fin du conflit, étant donné le nombre important d’armes qui a été distribué à ses partisans ces derniers jours. Le retour à la paix dépendra aussi de la capacité du nouveau président à enclencher un processus de justice visant les auteurs de violence, y compris dans son propre camp. Un autre grand défi sera la reconstitution d’une armée réellement nationale avec la fusion des forces qui viennent de s’entretuer. Cette fusion, qui devait être réalisée depuis plusieurs années, ne l’a pas été. Guillaume Soro, ancien chef de la rébellion du Nord, ancien Premier ministre de Laurent Gbagbo, et actuel Premier ministre de M.Ouattara, a probablement pris encore de l’ascendant en tant que responsable militaire des opérations qui ont conduit à la reconquête de la totalité du territoire ivoirien. Chef militaire, connu pour son impulsivité, il pourrait, en effet, s’imposer face au très policé Alassane Ouattara ». (5)

Le sort des civils

La guerre civile qui a eu lieu s’est soldée par la mort de plusieurs centaines de civils. Les deux camps se rejettent mutuellement la responsabilité. Cependant, des informations font état de massacres perpétrés par les troupes de Ouattara. « Jusqu’à un millier de civils auraient été massacrés dans la ville de Duékoué en Côte d’Ivoire, pays d’Afrique de l’Ouest. C’est la plus forte perte en vies humaines dans l’ancienne colonie française depuis les élections présidentielles contestées de novembre 2010. (...) La résolution de l’ONU a donné le feu vert à une guerre civile aux conséquences désastreuses pour la population civile. Un million de personnes sont supposées avoir fui la Côte d’Ivoire ces derniers mois. La politique de la France en Côte d’Ivoire suit le modèle fixé en Libye où la France et la Grande-Bretagne ont obtenu une résolution de l’ONU pour une zone d’exclusion aérienne, sous prétexte de protéger les civils. L’action militaire en Libye et en Côte d’Ivoire reflète l’attitude de plus en plus agressive que les puissances occidentales sont en train d’adopter en Afrique où elles se trouvent confrontées à une concurrence de plus en plus acharnée de la part de la Chine et d’autres économies émergentes pour l’obtention de ressources.
Paris a dépêché maintenant 300 troupes supplémentaires en faisant passer le nombre de soldats français à 1400. Ils ont pris le contrôle du principal aéroport. (...) L’aéroport s’était précédemment trouvé entre les mains de l’ONU et aurait pu servir à une évacuation en cas de besoin. La prise de contrôle de l’aéroport par les Français est un acte d’agression coloniale. Sous le couvert du droit international et de préoccupations humanitaires, la France est en voie de réaffirmer un contrôle direct sur la Côte d’Ivoire. Les victimes à Duékoué sont les conséquences immédiates de cette poussée de la France de ré-établir son pouvoir en Afrique. Washington a été obligé de critiquer Ouattara malgré son soutien politique à son égard. La secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, a exprimé des préoccupations au sujet du massacre à Duékoué, en appelant « les forces du président Ouattara à respecter les règles de la guerre et à cesser d’attaquer des civils. » Guillaume Ngéfa, directeur adjoint de l’Onuci, a dit que les forces de Ouattara avaient perpétré les meurtres à Duékoué. « Nous avons des preuves, nous avons des photos. C’était des représailles . »
« Nous recevons des appels de partout, du nord, de l’Est, du sud, d’Abidjan et de villages aussi, » a dit Guillaume Ngéfa à la radio Deutsche Welle. La porte-parole de la Croix-Rouge (ICRC) Dorothea Krimitsas, a reconnu : « Il ne fait pas de doute que quelque chose s’est produit dans cette ville sur une grande échelle et sur quoi l’ICRC continue de recueillir des informations. Tout semble indiquer qu’il s’agissait de violence interethnique. » (6)
Y aura-t-il une justice pour ces morts ? On aurait cru que le colonialisme c’est du passé. Il n’en n’est rien, il renaît de ses cendres sous les habits humanitaires. Farid Mellal écrit à ce propos : « La France l’a voulu, la France l’a obtenu. Laurent Gbagbo est tombé. Les intérêts français en Côte d’Ivoire sont sauvés. La fameuse force « Licorne », a montré ce lundi que ce n’était pas qu’une simple force d’interposition, mais une armée au service de l’Etat français pour sauver l’intérêt de la France dans un pays indépendant et souverain depuis le 7 août 1960. La Françafrique a de beaux jours devant elle. La France ne serait plus le « gendarme de l’Afrique », avait promis Sarkozy. Gbagbo est tombé...mais le gendarme français est de retour en Afrique ». (7) Nous sommes d’accord.

Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique enp-edu.dz

1. Philippe Bernard. En 1979, la thèse marxiste de « l’étudiant » Gbagbo Le Monde 12.04.2011
2. http://fr.reuters com/article/topNews/idFRPAE73AODU720110411
3. Flora Genoux. Côte d’Ivoire : la presse internationale juge « néo-coloniale » l’action de la France. Le monde.fr 12.04.2011
4. Leslie Varenne. Laurent et Simone Gbagbo, sont désormais aux mains de Ouattara, La tribune de Genève 11.04.2011
5. Côte d’Ivoire : « L’interpellation de Laurent Gbagbo ne signifie pas nécessairement la fin du confit ». Le Monde. fr 12.04.2011 6. Ann Talbot : Des civils massacrés en Côte d’Ivoire par les forces soutenues par l’Occident. Mondialisation.ca 7.04.2011
7. http://bellaciao org/fr/spip.php ?article116043

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http://www.legrandsoir.info/Fin-de-mission-pour-Laurent-Gbagbo-Intronisation-du-fidele-Ouattara.html

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