Le procès de Rachel Corrie remet en cause l’impunité d’Israël (The Electronic Intifada)
Nora BARROWS-FRIEDMAN
Plusieurs soldats israéliens ont été cités comme témoins à la Cour de Haifa en début de semaine, lors des auditions du procès de Corrie contre l’état d’Israël. Le procès traîne en longueur, mais des années après le meurtre de Rachel Corrie, l’impunité d’Israël fait l’objet d’un sérieux examen et est remise en question.
Il y a huit ans, la militante américaine du Mouvement de Solidarité, Rachel Corrie, a été écrasée par un bulldozer blindé Caterpillar D9 de fabrication étasunienne à Rafah, au sud de la bande de Gaza occupée.
Corrie, qui portait un gilet fluorescent orange et parlait dans un porte-voix, essayait d’empêcher la démolition de la maison d’une famille palestinienne par l’armée dans le corridor de Philadelphie, une large bande de terre de Gaza qui longe la frontière égyptienne en coupant Rafah en deux et dans laquelle des centaines de maisons ont été démolies de 2002 à 2004 selon les rapports sur le terrain de l’association des droits de l’homme Human Rights Watch.
Après des années de procédures légales, les parents de Rachel Corrie, Cindy et Craig, ont réussi à faire comparaître des soldats qui étaient en service ce jour-là à Rafah devant la Cour de Haifa. Les auditions ont commencé en mars 2010 et se sont poursuivies en septembre, novembre et au début de cette semaine.
Les parents de Rachel Corrie ne demandent qu’un dollar de dommages et intérêts à l’armée israélienne mais l’accusent d’être responsable de la mort injustifiée de leur fille et de négligence criminelle.
Des témoignages oculaires d’autres militants du Mouvement International de Solidarité (ISM), attestés par des preuves photographiques, indiquent que Rachel a été écrasée par l’énorme lame d’un bulldozer et est morte peu après. L’armée israélienne et les hommes de loi qui la défendent, prétendent que la mort de Rachel était un accident, que le conducteur du bulldozer ne l’avait pas vue et que ce n’est pas la lame qui l’a tuée mais plutôt un tas de cailloux que le bulldozer a projeté sur elle en rasant la maison.
Dans leurs témoignages, les soldats affirment inébranlablement que tous les Palestiniens de ce secteur étaient armés et considérés comme dangereux par l’unité militaire et que les ordres étaient de tirer pour tuer quand ils démolissaient des maisons. Ils sous-entendent par là que Rachel et les autres militants du Mouvement se sont mis eux-mêmes en danger en pénétrant dans une zone militaire fermée et que par conséquent ni les soldats ni leurs chefs ne peuvent être considérés comme responsables de sa mort.
Mais la question que le juge s’est bien gardé de soulever c’est comment et pourquoi les soldats et leurs bulldozers blindés se trouvaient à cet endroit. Les soldats et leurs chefs obéissaient à l’ordre de démolir les maisons dans le corridor de Philadelphie - le nom qu’Israël donne à la bande de terre [d’environ 10 km de long NdT] qui lui sert de zone tampon entre Gaza et l’Egypte. Ces démolitions ont commencé en 2002 et se sont poursuivies au cours des deux années suivantes provoquant le déplacement de milliers d’habitants. Selon Human Rights Watch, après que les maisons aient toutes été démolies, un mur de fer a été érigé le long du corridor de Philadelphie ("Razing Rafah," 17 October 2004). La démolition des maison palestiniennes est une violation de l’article 53 de la Quatrième Convention de Genève qui stipule que "Toute destruction par une puissance occupante de biens immobiliers ou personnels appartenant individuellement ou collectivement à des personnes privées.... est interdite, sauf si cette destruction est rendue absolument nécessaire par des opérations militaires."
Israël qui a signé la Convention, prétend que la loi "ne s’applique pas à son occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza," selon un rapport détaillé d’Amnistie Internationale ("Document - Israel and the Occupied Territories : Under the rubble : House demolition and destruction of land and property," 17 May 2004).
Amnistie Internationale ajoute que "Des évictions forcées opérées sur une telle échelle violent le droit des habitants au logement, qu’on les justifie par des "besoins sécuritaires/militaires" ou l’application de lois de planification ou qu’elles soient une forme de punition collective. Selon le droit international, il est interdit aux états de procéder par la force à des évictions."
Les forces d’occupation ne se sont pas privées de violer abondamment le droit international - et ce sont ces violations auxquelles Rachel Corrie et ses camarades militants s’opposaient et qu’ils voulaient empêcher.
S.R., le commandant d’une unité de l’armée israélienne qui a témoigné mercredi et dont le visage était dissimulé par un écran pour que les Corrie ne puissent pas le voir, a dit que "aucune des maisons [qui avaient été rasées dans le secteur] n’étaient habitées... Elles servaient toutes de bases à des activités terroristes."
C’est une allégation mensongère ; la maison que Rachel essayait de protéger était habitée par la famille Nasrallah. Ni le Dr. Samir Nasrallah, un pharmacien, ni les membres de sa famille qui habitaient cette maison n’ont jamais été accusés "d’activités terroristes" par l’armée israélienne. Le Dr Nasrallah n’a jamais représenté la moindre menace pour l’armée ni le gouvernement israéliens la preuve c’est qu’Israël l’a même autorisé à aller aux USA animer une tournée d’information avec les Corrie -déplacement qu’un Palestinien soupçonné d’avoir des liens avec des terroristes n’aurait jamais pu faire.
Quand j’ai assisté à une série d’auditions en septembre dernier, un autre responsable de l’entraînement militaire a affirmé avec impudence que "en temps de guerre, il n’y a pas de civils". Craig Corrie m’a dit que cette aveu avait été un choc pour sa famille et ceux qui les accompagnaient au procès mais pas une surprise vu la manière dont se comportait l’armée depuis le début.
A Gaza ce n’était pas une guerre ; c’était -et c’est toujours- une occupation militaire agressive, meurtrière et inégale infligée au million et demi de résidents de Gaza.
Human Rights Watch affirme que, le long de la frontière avec Israël cette fois, 2500 maisons de Gaza ont aussi été détruites de 2002 à 2004 après l’éclatement de la deuxième Intifada, pour que l’armée puisse réaliser ce qu’elle appelle la "zone tampon". La zone tampon est une bande de terrain de 300 mètres de large, un no-man’s land militarisé, le long de la frontière avec Israël qui a privé Gaza de plus de 35% de ses terres cultivables - et coûté la vie à plus de 100 Palestiniens tués par balle depuis mars 2010.
En plus de la famille Corrie, assistaient aux audiences des militants, des journalistes et des observateurs spécialisés dans le droit de l’Ambassade des USA, the National Lawyers Guild, Human Rights Watch, Al-Haq, Avocats Sans Frontieres, Amnesty International, Yesh Din et d’autres organisations des droits de l’homme et des droits civils internationales, palestiniennes et israéliennes.
Dans un communiqué de presse, Zaha Hassan de the National Lawyers Guild (l’association nationale des avocats) a dit "cela fait maintenant huit ans que la famille de Rachel et nous tous qui venons au procès pour les soutenir, nous attendons qu’on nous dise pourquoi le commandant de l’unité à ordonné au conducteur du bulldozer de passer sur l’endroit même où Rachel était en train de crier dans un porte-voix" ("National Lawyers Guild Free Palestine Subcommittee to Observe Resumption of Trial Brought by Family of Slain Peace Activist Rachel Corrie," 4 April 2011).
Hassan a ajouté : "La justice exige qu’on réponde à ces questions et qu’on demande des comptes à ceux qui sont responsables de sa mort."
Mercredi, le juge, Oded Gershon, a avoué fièrement en pleine Cour, qu’il avait été juge militaire plus tôt dans sa carrière. On ne sait pas encore si son parti pris en faveur de la politique de l’armée influencera la décision finale dans l’affaire Corrie, mais l’événement dans son entier constitue un précédent d’une importance capitale.
Des soldats israéliens responsables de la démolition de maison et du meurtre de Palestiniens et d’internationaux peuvent désormais être amenés devant la justice. Les ordres militaires sont méticuleusement examinés. Des fissures dans le système extrêmement solide de l’impunité militaire commencent à apparaître et les Corrie sont déterminés à élargir ces fissures pour que d’autres familles endeuillées puissent elles aussi demander justice.
La prochaine série d’auditions commence le 22 mai et la salle du palais de justice sera à nouveau bondée. Pour les Corrie et les membres des innombrables familles palestiniennes qui attendent depuis le début de l’occupation israélienne en 1948 qu’on leur rende enfin justice, le processus légal est peut-être pénible et douloureux mais il est vital. Cela fait trop longtemps qu’on attendait ça.
Nora Barrows-Friedman
Nora Barrows-Friedman est une journaliste indépendante primée qui écrit pour The Electronic Intifada, Inter Press Service, Al-Jazeera, Truthout et d’autres organes de presse. Elle fait régulièrement des reportages en Palestine.
On peut trouver le résumé des auditions et d’autres informations sur le site web de la fondation de Rachel Corrie à l’adresse rachelcorriefoundation.org.
Pour consulter l’original : http://electronicintifada.net/v2/ar...
traduction : D. Muselet
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