Pour résumer, il n’y a aucun fait nouveau qui pourrait éventuellement avoir conduit Richard Goldstone à modifier son avis sur l’enquête soutenue par les Nations-Unies sur Israël et le conflit dans la bande de Gaza.
Richard Goldstone, après avoir présenté son rapport au Conseil des droits de l’homme au siège des Nations-Unies à Genève, le 29 septembre 2009.
Photo : Getty Images
Dans un article paru dans le Washington Post, Richard Goldstone, ancien juge à la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud et ancien procureur près du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, exprime ses craintes quant à la conclusion centrale du rapport de la mission d’enquête du Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies sur le conflit de Gaza de 2008/2009 (du nom du président de la mission, « Le rapport Goldstone ») selon laquelle les attaques aveugles contre les civils étaient intentionnelles.
Un article à la lecture étrange
Il indique que le rapport Goldstone aurait été un document différent, « si j’avais su alors ce que je sais aujourd’hui », mais il omet de divulguer la moindre information qui remettrait en cause sérieusement les conclusions du rapport Goldstone.
Il prétend que les enquêtes publiées par l’armée israélienne et reconnues par un rapport ultérieur de la commission des Nations-Unies présidée par la juge Mary McGowan Davis et paru en mars, « indiquent que les civils n’auraient pas été délibérément pris pour cible en tant que question politique ». Mais le rapport McGowan Davis ne contient absolument aucune « indication » de ce genre, et qu’au contraire, il met sérieusement en doute les enquêtes d’Israël, estimant qu’elles manquent d’impartialité, de diligence et de transparence.
Goldstone se dit « confiant » que l’officier responsable de ce qui est peut-être la plus grave atrocité de l’opération Plomb durci (nom de code donné par Israël à son agression contre la bande de Gaza) - à savoir l’assassinat de 29 membres de la famille al-Samouni) - sera puni convenablement par Israël, bien que le rapport McGowan Davis apporte une estimation critique sur la gestion par Israël de son enquête sur ces assassinats.
Enfin, il affirme que le rapport McGowan Davis arrive à la conclusion qu’Israël a mené ses enquêtes « à un degré significatif », alors qu’en réalité, ce rapport dresse un tableau très différent des enquêtes d’Israël sur 400 incidents, enquêtes qui n’ont débouché que sur deux condamnations, une pour le vol d’une carte de crédit avec sept mois de prison, et une autre pour l’utilisation d’un enfant palestinien comme bouclier humain, qui a conduit à une condamnation avec sursis de trois mois.
De manière froide, calculée et délibérée
Bref, il n’y a aucun fait nouveau qui pourrait disculper Israël et avoir amené Goldstone à changer d’avis. Ce qui le fait changer d’avis reste donc un secret bien gardé.
Le rapport Goldstone n’est pas le seul rapport d’enquête sur l’opération Plomb durci. Amnesty International, Human Rights Watch et la Ligue des États arabes (dont j’ai présidé la mission) ont tous produit des rapports minutieux sur le conflit.
Dans tous les rapports, y compris dans le rapport Goldstone, il est tenu compte des assassinats de civils par les Forces de défense israéliennes (FDI) de manière froide, calculée et délibérée. Mais la principale accusation portée contre Israël est que durant son assaut sur Gaza, il a utilisé la force d’une façon indiscriminée dans des zones densément peuplées et qu’il est resté indifférent aux conséquences prévisibles de ses actions, lesquelles ont entraîné la mort d’au moins 500 civils et des blessures à 5000 autres.
Selon le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, il y a crime de guerre lorsqu’une attaque vise directement et intentionnellement une population civile (article 8-2-b-i) (*). Une telle intention n’a pas besoin d’être préméditée : il suffit que la personne qui se livre à une telle action ait l’intention de provoquer la conséquence de son acte, ou qu’elle soit « consciente que cette conséquence adviendra dans le cours normal des évènements » (article 30 - 3) (*).
L’article de Goldstone peut s’interpréter aussi comme la démonstration de sa conviction d’aujourd’hui (bien qu’il n’y ait aucune preuve qui vienne l’appuyer) qu’Israël n’a pas pris pour cible les civils dans le cadre d’une question politique, ni de manière préméditée, et que là où des meurtres calculés de civils se sont produits, ils l’ont été sans la bénédiction de l’armée israélienne ni de la direction politique.
Mais il ne lui est pas possible de dire qu’Israël « n’a pas intentionnellement pris pour cible des civils en tant que question de politique » au sens juridique de l’intention. Que l’agression par Israël ait été conduite d’une manière indiscriminée en sachant parfaitement que les conséquences en seraient des morts et des blessés civils est un point du dossier public parfaitement établi par le rapport Goldstone, et par d’autres conclusions également crédibles.
Dans son article, Goldstone déclare que les tirs aveugles de roquettes par le Hamas sur Israël, qui ont eu pour conséquence la mort de quatre civils, étaient des ciblages de civils « intentionnels » et que par conséquent ils constituent des crimes de guerre. Mais ce qui reste un mystère, c’est comment il peut affirmer que les bombardements et les tirs aveugles par les FDI sur les Palestiniens de la bande de Gaza, qui ont eu pour conséquence la mort de près d’un millier de civils, n’étaient pas « intentionnels ».
Goldstone ne présente pas, comme ses détracteurs, son article comme une rétractation du rapport Goldstone. Ce qui n’est pas surprenant. Richard Goldstone est un ancien juge et il sait très bien qu’un rapport d’enquête de quatre personnes différentes, dont il n’est que l’une d’elles, tout comme le jugement d’un tribunal, ne peut être modifié par les réflexions ultérieures d’un seul membre de la Commission.
Une telle rétraction ne peut se faire que par la Commission elle-même et par l’ensemble de ses membres, et avec l’approbation de l’organisme qui a institué ladite mission d’enquête, à savoir, le Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies. Et cela est fortement improbable, compte tenu que les trois autres membres de la Commission - la professeure Christine Chinkin de la London School of Economics, madame Hina Jilani, avocate à la Cour suprême du Pakistan, et le colonel Desmond Travers, ancien officier des Forces de défense irlandaises - les trois ont fait savoir qu’ils ne partageaient aucunement les craintes de Goldstone à propos du rapport.
Un combat pour que... Israël et le Hamas rendent des comptes
Le mois dernier, le rapport Goldstone a été renvoyé devant l’Assemblée générale des Nations-Unies par le Conseil des droits de l’homme avec la demande que l’Assemblée générale le renvoie à son tour devant le Conseil de Sécurité, et que le Conseil de sécurité soumette le dossier au procureur de la Cour pénale internationale, comme cela a été fait dans les cas du Darfour et de la Libye.
Sans aucun doute, l’Assemblée générale transmettra le rapport au Conseil de Sécurité, en dépit de l’article de Goldstone, mais elle s’en tiendra là, car le veto d’usage des États-Unis veillera à ce qu’Israël n’ait toujours pas à assumer ses responsabilités.
Le rapport Goldstone est une étape historique. Il est crédible, motivé, complet et il rend compte minutieusement des atrocités - crimes de guerre et crimes contre l’humanité - commises par Israël au cours de l’opération Plomb durci, et des crimes de guerre commis par le Hamas en tirant aveuglément des roquettes sur Israël. Il s’agit d’une tentative sérieuse pour arriver à faire rendre des comptes à un État qui a trop longtemps été autorisé par l’Occident à se comporter sans aucun respect du droit.
Que la crédibilité du rapport Goldstone soit sapée par l’étrange article de Goldstone dans le Washington Post, ne peut être nié.
Même si le rapport a été rédigé par quatre experts avec l’appui d’une équipe du bureau du Haut Commissaire aux droits de l’homme, il a fini par être associé au nom de Richard Goldstone. Inévitablement, les craintes que celui-ci a exprimées sur son propre rôle dans le rapport vont affaiblir son impact en tant que compte rendu historique de l’opération Plomb durci.
Déjà, le gouvernement israélien a exprimé sa joie pour ce qu’il interprète comme une rétractation du rapport, et il a demandé à la fois des excuses contrites par Goldstone, et une réfutation du rapport par les Nations-Unies. Comme on pouvait s’y attendre, le Département d’État US a salué l’article de Goldstone, et l’on craint que les gouvernements européens n’en prennent prétexte pour justifier leur soutien permanent à Israël.
Richard Goldstone a consacré une grande partie de sa vie à la cause de la responsabilisation pour les crimes internationaux. Il est triste aujourd’hui que ce champion de la responsabilisation et de la justice pénales internationales doive renier cette cause à travers un tel article hâtif, et néanmoins extrêmement nuisible.
article 8(2)(b)(i) : Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile en tant que telle ou contre des civils qui ne participent pas directement part aux hostilités ;
article 30(3) : Il y a connaissance, au sens du présent article, lorsqu’une personne est consciente qu’une circonstance existe ou qu’une conséquence adviendra dans le cours normal des événements. « Connaître » et « en connaissance de cause » s’interprètent en conséquence.
Voir aussi :
LA SITUATION DES DROITS DE L’HOMME EN PALESTINE ET DANS LES AUTRES TERRITOIRES ARABES OCCUPÉS - résumé en français
Nations-Unies, Assemblée générale - A/HRC/12/48 (ADVANCE 2) - 24 septembre 2009 - CONSEIL DES DROITS DE L’HOMME - (Rapport de la Mission d’établissement des faits de l’Organisation des Nations Unies sur le conflit de Gaza Conclusions et recommandations).
John Dugard enseigne le droit à l’université de Prétoria, il est professeur émérite à l’université de Leiden et ancien rapporteur spécial des Nations-Unies sur les droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés.
Une interview de John Dugard, par Adri Nieuwhof :
La fin de l’impunité pour Israël ? - The Electronic Intifada - 5 octobre 2010
6 avril 2011 - NewStatesman - traduction : JPP
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