07 octobre 2010

Boumediene revient en force dans les débats actuels

         (envoyé  par  Tahar   Hamadache que  nous  remercions)

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Par Mohamed Bouhamidi

Les fantômes, celui de Boumediene ou ceux d’autres personnalités, ne hantent pas pour rien l’esprit des vivants. Seuls d’authentiques acteurs historiques reviennent sur le devant des scènes qu’auraient dû occuper de nouvelles générations attachées à de nouvelles tâches historiques.

Les fantômes sont aussi des idéesDe ce point de vue, tous ceux qui le haïssent lui rendent cette justice qu’il a laissé des réalisations mais surtout un héritage. Car les fantômes ne sont que cela : le signe d’un moment historique inachevé, inaccompli. Un moment qui prend dans ses rets la conscience des vivants pour leur rappeler qu’ils n’en sont que là où a été laissé le travail et qu’il faut se remettre sur le métier. Encore faut-il avoir appris à faire la distinction entre moment politique et moment historique. Disons par pédagogie pour nos jeunes que, si la question industrielle revient trente-deux ans après la mort de Boumediene, c’est qu’elle est une question historique. Et de ne pas la résoudre maintient le pays dans sa condition passée, avec ses problèmes de chômage, de misère, de mal-vivre. On n’ose pas imaginer leur ampleur si nous n’avions pas la rente pétrolière ou si le pétrole était resté sous le régime des concessions et propriété des compagnies étrangères. Même cette réalisation, dangereuse pour lui et pour le régime, est jetée aux oubliettes. Son sort aurait pu être celui de Mossadegh et il serait très intéressant de savoir pourquoi il en fut autrement. Et pourquoi ceux qui ont réussi contre Mossadegh en s’appuyant sur la féodalité et la monarchie iranienne ont échoué contre Boumediene. Comme il serait intéressant de s’interroger pourquoi leur réaction ne fut pas d’agresser l’Algérie comme ils l’ont fait pour l’Egypte après la nationalisation du Canal de Suez. Quels furent les facteurs d’unité et de cohésion internes à l’Etat algérien et à ses structures qui ont découragé l’agression et rendu impossible le coup d’Etat contre Boumediene ? Beaucoup d’Algériens ont de sérieuses raisons de ne pas aimer Nasser et la gestion par Fethi Dib de sa relation avec la révolution algérienne. Mais personne ne peut nier que Nasser a réussi la première nationalisation de l’histoire post-coloniale d’un pays. Et Boumediene a réussi la première nationalisation du pétrole. Il s’agit là d’une réalisation gigantesque. Et par cela seulement il a ébranlé le vieux monde de la domination coloniale et néocoloniale. Ce n’est pas rien. On peut rajouter que la différence entre un moment politique et un moment historique est que ce dernier modifie les rapports sociaux et les rapports des forces en présence.

La vérité et la bouche des enfants
A l’époque, cette modification des rapports sociaux et ces modifications apportées aux rapports de forces dans le monde s’appelaient socialisme. Le président Chadli vient «naïvement» nous le rappeler. L’indignation des journaux quant à ses propos sur tamazight ont négligé un passage pourtant essentiel de ses déclarations. Selon lui, nous vivions dans le communisme sous Ben Bella et sous Boumediene nous avions le socialisme. Il voulait, lui, rétablir le capitalisme. Le président Chadli n’a pas été affligeant que pour les questions linguistiques. Cette appréciation des étapes historiques -le communisme sous Ben Bella et le socialisme sous Boumediene– peut désespérer les Algériens sur le niveau de conceptualisation de nos dirigeants. Cette vision de systèmes socioéconomiques est une caricature rare. Mais elle n’est pas plus élaborée chez Hafsi et chez les prêtres du marché qui agitent au-dessus de nos têtes le danger d’un retour de Boumediene, du socialisme et de l’«étatisme». Nous avons là un élément clé fourni par le président Chadli pour comprendre l’évolution de l’Algérie post-Boumediene. Chadli mettait en route «une transition» du socialisme au capitalisme. Dans les faits, pour les adultes de cette époque, il est clair que cette «transition» avait commencé par le démantèlement du secteur d’Etat. Les grandes entreprises construites pour réaliser l’industrialisation du pays étaient restructurées. Le pouvoir les avait ramenées à des tailles insignifiantes  ne leur permettant pas de prendre en charge les missions de réalisation de grands chantiers nationaux comme elles avaient réussi à le faire auparavant. Contre toute logique économique et industrielle, le pouvoir est allé contre la concentration qui était la clé pour pouvoir mener les missions de recherche et de développement. Le pouvoir a mené cette casse industrielle avec détermination. Le pouvoir nous donnait d’autres explications que celle de Chadli à cette déstructuration industrielle. Nous savons aujourd’hui qu’à la base de cette politique existait une conviction idéologique hostile au socialisme. La «déboumedienisation» avait un contenu de classe : le retour honteux au capitalisme. Même le président Chadli doit savoir que le capitalisme n’est pas une équation poétique mais le système économique d’une classe sociale qui s’appelle la bourgeoisie. Le président Chadli met le doigt sur la plaie : à cette époque la bourgeoisie en tant que classe avait-elle la force de prendre en charge le pays à l’issue d’une guerre dévastatrice et faite principalement par le peuple et de mener ce pays vers les réalisations économiques qui nous sortiraient du sous-développement ? La réponse est «non» sans équivoque. Et c’est un «non» délivré dans les faits. Quelle bourgeoisie terrienne inexistante pouvait gérer les domaines agricoles des colons ? Les travailleurs ont autogéré ces domaines. Contrairement aux idées avancées par Hafsi, l’autogestion –synonyme de communisme pour lui et finalement pour Chadli aussi– était la seule solution pratique en 1962. La mémoire des luttes sociales des ouvriers agricoles et le poids politique des syndicats dans la composante FLN ont favorisé la légalisation du mouvement dans les décrets de mars. Mais bien avant que Chadli devienne président et s’ouvre à la nécessité de restaurer le capitalisme, Belaïd Abdeslem s’attaquait à l’autogestion dans le secteur de l’industrie et le liquidait. D’autres s’emploieront à étouffer l’autogestion dans l’agriculture. C’est à l’observation de cette mise à mort de l’irruption du peuple dans le processus économique que naît la notion de bourgeoisie bureaucratique. Et effectivement sous nos yeux l’Etat s’engageait dans un processus d’accumulation primitive avec une industrialisation à marche forcée. A contrario, nous pouvons comprendre aujourd’hui la pertinence de cette démarche. Quel effet industriel significatif a pu générer le désengagement de l’Etat de la sphère économique ? Aucun ! L’Etat continue de payer pour la casse sociale en engageant des transferts sociaux qui profitent à la seule consommation des produits des multinationales.
Ces multinationales refusent d’investir dans le développement du pays et ce n’est pas leur intérêt de le faire, etc. Cette redistribution des revenus est incohérente. C’est-à-dire qu’elle ne vise pas une synergie de cohésion entre les ressources et les besoins du développement et ne vise pas à maintenir une espérance de confort social qui stabilise le pays et la société pendant ces mutations. Si, en trente-deux ans après la mort de Boumediene, l’Algérie piétine dans sa quête de développement, cela veut dire que Boumediene a posé la bonne question en industrialisation à partir des ressources de l’Etat. Ses ennemis prétendent qu’il a donné la mauvaise
réponse ? Ils ne peuvent nier que, pour le développement, la seule bonne question est celle de l’intervention de l’Etat. Il faut bien croire que, trente-deux ans après sa mort, l’Algérie est orpheline d’une stratégie de développement et ce n’est pas peu pour souligner l’échec authentifié des démarches libérales et des logiques des prêtres de l’économie de marché. Si, depuis 1962, nous restons confrontés à la question du développement et de ses corollaires, cela signifie que c’est celle-là la question historique et que
Boumediene a su la comprendre, la poser et lui appliquer des réponses que nous pouvons discuter aujourd’hui.

Oublier quelques détails
Il faut dire cependant que, pour appliquer une solution à cette question historique, il fallait trouver l’argent, les ressources pour mobiliser les capitaux énormes nécessaires à la mise en œuvre de la stratégie de développement.  Il fallait prendre ces ressources là où elles se trouvaient en Algérie : dans les gisements pétroliers.  De cette période, il ne nous est pas resté que cet exploit et nul ne peut nier qu’il s’agit d’un exploit. En tout cas pas aujourd’hui que l’intervention militaire directe de l’OTAN nous rappelle la triste époque de la canonnière. Et c’est bien cela que les partisans de l’alignement sur les Etats-Unis et sur l’UE nous agitent comme menace : si nous ne suivons pas, nous serons rayés de la carte. Inutile de répondre que c’est en suivant que l’Etat algérien sera le plus sûrement rayé de la carte. Eux, ils seront ailleurs et bien au chaud. Pourtant, la nationalisation du pétrole pour historique qu’elle soit est le plus souvent absente dans les bilans de ses adversaires ! Elle ne constitue jamais pour eux un intérêt.  Cet oubli ou ce déni mérite qu’on les interroge. On peut penser que cette omission relève du refus de lui trouver la moindre qualité ou le moindre mérite. C’est possible. Cela peut ne tenir qu’à ce petit déni. Mais ce n’est pas crédible comme hypothèse dans la logique de leur discours : parler des hydrocarbures et de leur nationalisation revient à examiner la période Boumediene et les réalisations de Boumediene à partir du contexte réel de l’époque et des rapports de force de l’époque et de la signification des luttes de l’époque. Ou pire pour ceux qui attaquent Boumediene à partir du déroulement de la guerre de libération nationale, parler de la nationalisation des hydrocarbures revient à parler du sens de la guerre de libération et de la compréhension que nos aînés se sont fait du colonialisme. Est-ce une faiblesse que les analyses de toutes parts du spectre politique et idéologique algérien s’accordaient sur la nature économique et technologique du phénomène colonial ? C’était et cela reste une phase d’accumulation du capital sur le dos des peuples et par leur
massive exploitation sous toutes les formes de l’esclavage et du pillage. Une phase d’accumulation du capital des pays coloniaux, à un moment où ces pays devaient payer le prix de la colonisation. Bien d’autres approches peuvent apporter un plus dans la compréhension du phénomène colonial. Les approches culturalistes, religieuses, exotiques éclairent certains aspects et les itinéraires de certains personnages pittoresques de la colonisation comme Isabelle Eberhardt ou le Père Foucault. Même la théorie de l’éventail peut trouver sa place. Mais l’anecdote ne peut se substituer au sens général et tout nous ramène à cette banalité que le colonialisme relève du processus économique et de ce processus dans la phase de l’accumulation primitive au profit du capital du pays colonisateur. Sur le terrain, le colonialisme lui-même n’a pas industrialisé le pays mais créé une économie extravertie, tout juste quelques industries
artisanales de substitution et une agriculture destinée à l’exportation. C’est de cette réalité que les militants anticolonialistes les plus radicaux et les plus conséquents ont compris et affirmé que la seule indépendance viable, celle qui mettrait les ex-colonies à l’abri des convoitises néocoloniales, c’est l’indépendance économique.C’est cela le contexte de l’époque et envisager une indépendance économique revenait d’abord à récupérer les ressources naturelles et compenser la faiblesse du capital national par une mobilisation et une intervention de l’Etat. C’est tout à l’honneur du concept socialisme d’avoir eu à désigner cette phase historique de consolidation de l’Etat national naissant. Cela voulait dire au moins que cette tâche était indissociable de la justice sociale et impossible sans elle.
Boumediene aura laissé cette image aussi.

M. B

http://www.latribune-online.com/suplements/culturel/40902.html 

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