09 octobre 2010

Culture : À PROPOS DE LA LANGUE AMAZIGHE
Ou comment on a forcément raison quand on parle tout seul


Je suis un lecteur d’Ahmed Cheniki. Je ne rate jamais ses textes publiés dans la presse. Je trouve son engagement dans le débat public courageux même quand - et c’est le cas en ce qui concerne la contribution à laquelle je réagis ici - cela trahit ses arrière-pensées. Il préfère écrire ce qu’il pense. Les contributions antérieures d’Ahmed Cheniki ne manquaient pas de clarté. Ce faisant, elles éclairent certains termes d’un débat pas toujours limpide.

Par le Dr Omar Tibourtine

 
J’ai lu avec un intérêt particulier ses réflexions sur la question amazighe. Et du coup, je trouve inquiétante sa contribution publiée dans Le Soir d’Algérie du 18/09/2010. Si inquiétante que je me permets de réagir même si je ne possède peut-être pas à ses yeux la légitimité et le savoir de ces intellectuels dont il déplore l’absence dans le débat et que, soit dit en passant, personne n’interdit de publication à ce que je sache. Pour ma part, si une légitimité est nécessaire pour que je m’exprime, je la tirerai du droit que nous avons en tant que citoyens de nous exprimer sur les questions qui nous concernent. Je fais partie de ce magma indistinct accablé de ce vocable de «tout le monde», autant dire «elghachi men ouala» opposable au brainstorming, unique producteur, consommateur et détenteur de vérité. Ce qui m’a d’emblée inquiété dans cette contribution, c’est la posture suffisante, le pathos codé, le ton magistral, la vision en plongée. Je me suis dit qu’il faut être placé bien haut dans l’Olympe du savoir pour se permettre de renvoyer avec une telle légèreté, en une symétrie insupportable, ce qu’il nomme extrémismes. Dans l’absolu, bien sûr, il est juste de renvoyer dos à dos les extrémismes. Mais classer dans la même catégorie intégriste les revendications démocratiques et culturelles du printemps 1980 et les diktats univoques des baâthistes, c’est fort de café. Surtout quand on se targue, comme le fait Ahmed Cheniki, de scientisme. Il eut fallu relire les textes de 1980. Le professeur se serait aperçu que la revendication démocratique occupe une place primordiale dans ces textes. Peut-être, dans sa hâte de généraliser, voulait- il parler de cet oxymore qu’est «l’intégrisme de la démocratie». Mon inquiétude est nourrie aussi de la convocation compulsive de tout un appareil conceptuel de citations pour habiller un épouvantail restant malgré tout d’une cruelle nudité. Rien ne peut camoufler un anti-kabylisme primaire. Désolé mais ça n’a pas d’autre nom ! Tant de circonlocutions pour ça ! Mais allons dans le texte lui-même. D’abord, on s’aperçoit très vite qu’en guise de nouvelle contribution, ce texte n’est que le recyclage, adapté à la bonne cause, d’un article publié par le quotidien L’expression du 19 mai 2007. Ressortir du grenier ce genre d’outils prouve que le débat est pérenne et que Cheniki pense toujours la même chose depuis trois ans. Une variante cependant. Si dans la version de 2007, le mot «kabyle» n’est utilisé qu’une seule et unique fois, il fait flores dans celle de 2010. La radicalisation anti-kabyle est perceptible dans cette transposition du mot berbère par le mot kabyle. Ahmed Cheniki a par ailleurs actualisé son propos pour voler, bon samaritain, au secours de Ali El- Kenz. Qu’importe que ce dernier n’ait pas besoin d’aide car personne ne l’attaque.
Dans tous les cas, Ahmed Cheniki observe que l'une des difficultés présentées par l'enseignement de tamazight réside dans la diversité des parlers locaux. Comme si cette diversité était un handicap au lieu d'être une richesse.
La proposition d’El-Kenz de transcrire tamazight en alphabet arabe a suscité un débat et c’était souhaitable et normal. Ce qui ne l’est pas, c'est que Cheniki voit dans les réactions aux affirmations d’El-Kenz une «levée de boucliers ». Drôle de conception du débat que cette propension à voir dans des réactions utiles au débat quelque chose d’hostile. Pour que le débat s’accomplisse, si je comprends bien, il eut fallu qu’El-Kenz ne reçoive aucune réponse à sa proposition. Que celle-ci soit un diktat, par définition indiscutable ! Pour qu’il n’y ait pas de levée de boucliers, il eut fallu que le dialogue restât un monologue. Ce qu’il a été pendant très longtemps. De surcroît, la généreuse aide de Cheniki à Ali El-Kenz, qui n’en demandait peut-être pas tant, fait partie de ces cadeaux empoisonnés qu’on reçoit sans les demander. Pour avoir raison, Cheniki prête à El-Kenz des propos introuvables dans son texte. Là où El-Kenz parle de langue amazighe, Cheniki, lui, réduit à langue kabyle, une façon de réduire à un problème de régionalisme un problème national. Le procédé est moins astucieux que perfide. Le mot régionalisme sonne comme quelque chose de péjoratif chez les Algériens. De plus, on ne sait pas toujours de quoi parle Ahmed Cheniki. Un coup, il qualifie de langue le kabyle, un autre de dialecte. Etrange approximation pour un universitaire ! Dans tous les cas, Ahmed Cheniki observe que l'une des difficultés présentées par l'enseignement de tamazight réside dans la diversité des parlers locaux. Comme si cette diversité était un handicap au lieu d'être une richesse. La même diversité caractérise l'arabe, ce qui ne l'empêche pas d'être enseigné dans une version unifiée. Il y a des langues arabes : l’arabe classique, arabe littéraire, arabe littéral, arabe standard, arabe moyen, arabe médian, arabe intermédiaire, arabe moderne, arabe dialectal, arabe maghrébin, arabe oriental, enseignées, toutes, dans les bonnes universités ! Le glissement sémantique n’est pas pour rassurer. Il met une symétrie quasi maladive entre les différents protagonistes, soit le pouvoir avec ses moyens et ses relais devenus traditionnels d’un côté et les quelques associations de défense des droits démocratiques de l’autre, qui n’ont de moyens que leur militantisme. N'est-ce pas inquiétant de renvoyer «dos à dos» la revendication identitaire amazighe et l’arabisation forcenée qui ne relève que du souci de l’amarrage idéologique de notre peuple à un espace géopolitique et culturel auquel il n’adhère pas naturellement ? Nous n’avons pour preuve que l’échec maintes fois constaté et après une entreprise de plus de 48 ans, sans aucune contrainte et avec les moyens que tout le monde connaît ! Etablir une symétrie entre une revendication culturelle démocratique et le diktat d'un pouvoir autoritaire est pour le moins injuste. Dans le même registre, nous relevons l’euphémisme à propos des déclarations de Tahar Ouettar, après l’assassinat de Tahar Djaout. Ahmed Cheniki qualifie de «déclarations déplaisantes», ce qui est fondamentalement très grave et plus, au regard de la conjoncture. C'est une faute de goût ! Par ailleurs, Ahmed Cheniki trouve que Abdelkader Hadjar et Othmane Saâdi (qui ne s’expriment sur notre sujet qu’en termes injurieux et d’un autre âge) sont aussi neutralisés que leurs contradicteurs ? Il me paraît utile de rafraîchir la mémoire des lecteurs afin d’apprécier à leur juste valeur les termes utilisés par deux ambassadeurs de notre République ! Jugez-en : «Envahi par l’arabe de tous les côtés, l’Algérien se trouvera obligé de s’arabiser de lui-même, ou alors il se sentirait effectivement étranger dans son propre pays - Abdelkader Hadjar, El Moudjahid, 6/11/1973.» Quant aux déclarations de Othmane Saâdi, il m’est impossible de les relater tant elles foisonnent. A l’abolition du discernement par le recours à la symétrie, à l’euphémisme comme méthode pour émousser les aspérités du discours des anti-berbères primaires, vous concluez votre contribution par une «proposition» qui fait appel à la procédure référendaire ! Le mot est lâché. La probité est mise à mal. La supercherie conclut votre «contribution ». Notre déception suit ! Je pense que le caractère le plus normatif pour l'écriture de tamazight est le caractère latin. Dans tous les segments de la vie active et à l’échelle universelle, il est celui qui sied le mieux, aujourd’hui, à notre langue amazighe pour son intégration, son épanouissement et sa transmission en dehors des champs idéologiques.
 

O. T. 
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/10/09/article.php?sid=107073&cid=16

transmis par Tahar Hadache, que nous remercions.

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