24 février 2012

La France et ses musulmans
 
La mayonnaise a fini par prendre sur cette hallucinante affaire de la viande halal qu’on aurait raisonnablement pu considérer comme anodine et périphérique par rapport aux préoccupations des Français. Les musulmans ne peuvent plus compter sur leur discrétion (ils n’ont pas de candidat à la Présidence de la République) pour espérer rester à l’abri de la campagne de 2012. Ils seront bel et bien au menu des prétendants à l’Elysée.

Il faut reconnaître qu’en ce temps de crise, où les politiques semblent démunis face aux défis d’ordre économique et les désastres sociaux, la thématique de l’islam était trop belle pour être laissée de côté. Ça a toujours marché en période électorale, et même en temps ordinaires : le quinquennat qui s’achève a été émaillé, comme aucun autre auparavant, d’interminables polémiques sur les musulmans et l’islam. Certaines ont abouti à l’adoption de lois indignes et indiscutablement islamophobes.

En tout cas, la France a réussi le triste exploit de se « fabriquer » une communauté bouc émissaire sur laquelle les politiques peuvent se défouler à souhait sans prendre le moindre risque pour leur carrière. Car, contrairement à l’image véhiculée sur eux, les musulmans de France sont sans doute parmi les minorités nationales les plus paisibles du monde. Aux Etats-Unis, les Noirs n’auraient jamais laissé prospérer le genre d’attaques répétées contre leur communauté à l’image de la campagne de stigmatisation menée en France contre les musulmans depuis les cinq dernières années.

Evidemment, les Noirs américains, eux, ont des élus suffisamment influents, et disposent d’un véritable« vivier » permettant l’émergence des élites dans tous les secteurs de la vie nationale (politique, milieux d’affaires, armée,…), ce qui, pour l’anecdote, a largement contribué à l’arrivée de l’un des leurs à la Maison Blanche, tout en préservant l’unité nationale.

Les musulmans de France, dont le poids démographique (9 à 10 % de la population) est assez comparable à celui des Noirs dans la population américaine (13,6%), ont quant à eux du chemin à faire. Et leur attitude, qui s’assimile à la politique de la « joue tendue », ne les aide pas à se faire juste « respecter ». La« marche des beurs » de 1983 et la révolte des banlieues de 2005 n’ont rien à voir avec la lutte des Noirs américains.

Alors les politiques français, comme des gamins dans une cour de récréation, ne se privent pas chaque fois qu’ils en ont l’occasion de taquiner l’éternel souffre-douleur. Et puisque les brimades contre ses propres musulmans ne suffisent pas, apparemment, la France s’est octroyée le luxe d’aller « chercher »les Turcs, musulmans, avec la fameuse loi sur le génocide arménien. Comme si nos élus n’avaient vraiment rien d’autre à faire.

Pour revenir sur la fameuse affaire de la viande halal, qui n’est rien d’autre qu’une provocation politicienne, on peut juste souligner le niveau de l’iniquité du traitement infligé, une fois de plus, aux musulmans. En effet, en France, (et dans le monde d’ailleurs) deux communautés procèdent à une forme d’abattage rituel d’animaux, ce qui permet, chez les musulmans, d’obtenir une viande considérée comme « halal » (licite, propre à la consommation) alors que chez les Juifs, qui procèdent, eux aussi, à l’abattage rituel, la viande devient « kacher », l’équivalent de « halal ». C’est une pratique millénaire dans ces deux communautés et tout le monde le sait.

Dès lors, pourquoi accabler les musulmans, en particulier, pour leur viande halal et passer sous silence la viande kacher ?

On connaît la réponse : les Juifs, il ne faut pas leur chercher des noises. Même quand on s’appelle Le Pen, on est certain qu’on y laissera énormément de plumes. Et les conséquences peuvent déborder le cadre national… Un incident diplomatique avec Israël est vite arrivé.

Alors, on prend le soin de choisir une cible à peu près à sa portée. On ne cherche pas loin puisqu’il y en a une toute désignée. Les musulmans. Les mal aimés de la République. Ils ont beau être six millions, ils n’ont ni député ni sénateur, ni aucune personnalité influente dans les instances des grands partis. Même pas une personnalité de référence dans l’histoire de France, comme Martin Luther King aux Etats-Unis ou une icone nationale comme le général Colin Powell. Juste une ancienne gloire du football que les publicitaires ont réussi à rendre muet comme une carpe. Zidane ne parlera pas. En gros, les musulmans n’ont personne, ils n’ont rien, ils ne pèsent pas lourd. On peut donc se défouler à souhait. Alors halal par-ci, halal par-là ! Racaille, voile islamique, islamistes, terroristes, Al-Qaïda, polygamie, les moutons dans la baignoire, civilisation, …

Une rhétorique xénophobe, aux allures de « ratonnades », dont les politiques se sont persuadés qu’elle est toujours profitable sur le plan électoral. On remonte dans les sondages et, semble-t-il, les Français adorent ça.

Dans ces conditions, y a-t-il encore une explication rationnelle pour justifier la poursuite du modèle républicain français (qui refuse les identités communautaires au nom de la seule identité nationale) ? Faut-il continuer à se mentir au sujet de l’égalité lorsque les élus de la République sont à ce point engagés en première ligne dans la stigmatisation d’une partie de la population nationale ?

Il semble que le temps est venu pour que les musulmans de France, excédés par ces outrages répétés,pour des broutilles, se rendent compte qu’ils n’ont plus le choix. Ils ne peuvent plus continuer à se laisser endormir alors qu’ils ont toutes les raisons de s’organiser en communautés politisées sur l’exemple d’autres « minorités » dans le monde (Noirs américains, Indopakistanais outre-manche, Noirs sud-africains, Néerlandophones belges,…) pour exiger juste le respect. C’est la première étape dans la lutte pour l’égalité effective, promise par la République.

Boniface MUSAVULI

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