La guerre contre l'Iran est presque inévitable
A Washington, le discours va-t-en-guerre est de retour. Candidats républicains, commentateurs et une bonne partie de l'opinion publique penchent en faveur de frappes contre Téhéran. Le président Obama et les services de renseignements préfèrent, quant à eux, temporiser.
23.02.2012 | Scott Shane | The New York Times
Les Etats-Unis sont confrontés aux conflits armés les plus longs de leur histoire, qui ont coûté la vie à plus de 6 300 militaires américains et en ont blessé 46 000 autres, en Irak et en Afghanistan (pour un coût cumulé estimé à 3 000 milliards de dollars). Ces deux guerres ont duré plus longtemps que prévu et leur résultat semble aussi décevant qu'incertain. Dans ce cas, pourquoi décèle-t-on dans l'air comme une nouvelle odeur de poudre ? Depuis quelques semaines, les discours va-t-en-guerre à propos du programme nucléaire iranien frisent l'hystérie. Israël joue la carte de l'escalade en brandissant la menace d'une frappe, la rhétorique des politiciens américains se fait plus belliqueuse et, en réaction, l'Iran adopte une attitude de défi. Tel-Aviv et Téhéran s'accusent mutuellement de tentatives d'assassinat et, à en croire certains spécialistes, on court le risque de se retrouver entraîné dans une guerre qui impliquerait inévitablement les Etats-Unis.
On ne manquera pas d'y voir une situation comparable à celle qui a précédé la guerre en Irak, en 2003, et l'on peut se redemander si les journalistes n'exagèrent pas les progrès accomplis par l'Iran dans le domaine du nucléaire militaire. Toutefois, il y a une différence de taille : contrairement à 2003, où le gouvernement Bush avait présenté l'Irak comme une menace imminente, les responsables du gouvernement Obama et les membres du renseignement semblent tenir à modérer les ardeurs guerrières.
"Crise des missiles au ralenti"
D'après le général Martin Dempsey, chef d'état-major des armées, les Etats-Unis auraient prévenu Israël qu'il serait "déstabilisant" de procéder à une frappe maintenant. Selon lui, l'Iran n'aurait pas encore décidé de fabriquer une arme atomique. Et les autorités américaines soupèseraient actuellement une offre iranienne de reprendre les pourparlers sur le nucléaire.
Mais des événements imprévus pourraient servir de catalyseur. Graham Allison, spécialiste de la stratégie nucléaire à Harvard, compare le conflit au sujet du programme nucléaire iranien à une "crise des missiles de Cuba au ralenti". Comme chaque camp, déjà au bord de l'apoplexie, ne dispose que d'informations fragmentaires, cela accroît le danger de conséquences dévastatrices.
"M'étant penché sur l'histoire, je suis parfaitement conscient que, quand la politique est en surchauffe et que l'on ne contrôle qu'imparfaitement les événements, il est possible de se retrouver embarqué dans une guerre, commente Graham Allison. Quand on observe l'Iran, Israël et les Etats-Unis, poursuit-il, on a le sentiment que les parties glissent vers la collision, lentement, mais de façon presque inexorable."
L'impact politique d'Israël
Le rôle central joué par Israël est une autre différence essentielle par rapport au débat sur la guerre en Irak. L'Etat hébreu considère l'éventualité d'une arme nucléaire iranienne comme une menace existentielle et a averti que les installations iraniennes risquaient d'être bientôt enterrées trop profondément pour que des bombardiers étrangers puissent les atteindre.
La position d'Israël a un impact politique aux Etats-Unis. A l'exception notable de Ron Paul, député du Texas, les candidats à l'investiture républicaine se bousculent pour menacer l'Iran et se présenter en protecteur d'Israël. Un groupe bipartisan de sénateurs viennent d'adresser une lettre au président Obama dans laquelle ils affirment que le fait de reprendre les négociations pourrait constituer une "dangereuse diversion", qui permettrait à l'Iran de gagner du temps pour développer la bombe.
58% des Américains favorables à une intervention
En dépit d'une décennie de guerre, la plupart des Américains partagent apparemment la ferveur martiale de la classe politique. Ce mois-ci, un sondage du Pew Research Center a révélé que 58 % des personnes interrogées estimaient que les Etats-Unis devraient avoir recours, si besoin était, à la force militaire pour empêcher l'Iran de se doter d'armes nucléaires. Trente pour cent seulement seraient contre.
Micah Zenko, spécialiste de la prévention des conflits au Council on Foreign Relations [l'un des think tanks les plus influents sur les questions internationales], y voit un schéma classique. "Cela s'est vérifié tout au long de l'histoire : on croit toujours que la prochaine guerre se passera bien mieux que la précédente, dit-il. Confrontés à un défi insoluble en matière de sécurité, les hommes politiques comme les gens de la rue 'veulent ‘faire quelque chose'. Et pour cela, il n'y a rien de tel que la force."
Prudence des services de renseignements
On ne manquera pas d'y voir une situation comparable à celle qui a précédé la guerre en Irak, en 2003, et l'on peut se redemander si les journalistes n'exagèrent pas les progrès accomplis par l'Iran dans le domaine du nucléaire militaire. Toutefois, il y a une différence de taille : contrairement à 2003, où le gouvernement Bush avait présenté l'Irak comme une menace imminente, les responsables du gouvernement Obama et les membres du renseignement semblent tenir à modérer les ardeurs guerrières.
"Crise des missiles au ralenti"
D'après le général Martin Dempsey, chef d'état-major des armées, les Etats-Unis auraient prévenu Israël qu'il serait "déstabilisant" de procéder à une frappe maintenant. Selon lui, l'Iran n'aurait pas encore décidé de fabriquer une arme atomique. Et les autorités américaines soupèseraient actuellement une offre iranienne de reprendre les pourparlers sur le nucléaire.
Mais des événements imprévus pourraient servir de catalyseur. Graham Allison, spécialiste de la stratégie nucléaire à Harvard, compare le conflit au sujet du programme nucléaire iranien à une "crise des missiles de Cuba au ralenti". Comme chaque camp, déjà au bord de l'apoplexie, ne dispose que d'informations fragmentaires, cela accroît le danger de conséquences dévastatrices.
"M'étant penché sur l'histoire, je suis parfaitement conscient que, quand la politique est en surchauffe et que l'on ne contrôle qu'imparfaitement les événements, il est possible de se retrouver embarqué dans une guerre, commente Graham Allison. Quand on observe l'Iran, Israël et les Etats-Unis, poursuit-il, on a le sentiment que les parties glissent vers la collision, lentement, mais de façon presque inexorable."
L'impact politique d'Israël
Le rôle central joué par Israël est une autre différence essentielle par rapport au débat sur la guerre en Irak. L'Etat hébreu considère l'éventualité d'une arme nucléaire iranienne comme une menace existentielle et a averti que les installations iraniennes risquaient d'être bientôt enterrées trop profondément pour que des bombardiers étrangers puissent les atteindre.
La position d'Israël a un impact politique aux Etats-Unis. A l'exception notable de Ron Paul, député du Texas, les candidats à l'investiture républicaine se bousculent pour menacer l'Iran et se présenter en protecteur d'Israël. Un groupe bipartisan de sénateurs viennent d'adresser une lettre au président Obama dans laquelle ils affirment que le fait de reprendre les négociations pourrait constituer une "dangereuse diversion", qui permettrait à l'Iran de gagner du temps pour développer la bombe.
58% des Américains favorables à une intervention
En dépit d'une décennie de guerre, la plupart des Américains partagent apparemment la ferveur martiale de la classe politique. Ce mois-ci, un sondage du Pew Research Center a révélé que 58 % des personnes interrogées estimaient que les Etats-Unis devraient avoir recours, si besoin était, à la force militaire pour empêcher l'Iran de se doter d'armes nucléaires. Trente pour cent seulement seraient contre.
Micah Zenko, spécialiste de la prévention des conflits au Council on Foreign Relations [l'un des think tanks les plus influents sur les questions internationales], y voit un schéma classique. "Cela s'est vérifié tout au long de l'histoire : on croit toujours que la prochaine guerre se passera bien mieux que la précédente, dit-il. Confrontés à un défi insoluble en matière de sécurité, les hommes politiques comme les gens de la rue 'veulent ‘faire quelque chose'. Et pour cela, il n'y a rien de tel que la force."
Prudence des services de renseignements
Or c'est justement la hiérarchie militaire et du renseignement qui s'est discrètement efforcée de tempérer la rhétorique agressive des politiciens sur le programme nucléaire iranien. Lors d'une audience au Congrès la semaine dernière, Lindsey Graham, sénateur républicain de Caroline du Sud, a insisté auprès du directeur du renseignement national, James R. Clapper Jr. "Doutez-vous de l'intention des Iraniens de fabriquer une arme nucléaire ?" a demandé Graham. "J'en doute, en effet," a rétorqué Clapper.
Peter Feaver, de la Duke University, spécialiste de longue date des relations entre l'opinion publique et la guerre, qui a travaillé pour le gouvernement du président George W. Bush, explique que la politique de l'équipe Obama se trouve aujourd'hui "à l'intersection entre les différents courants de l'opinion publique américaine au sujet de l'Iran" - elle s'oppose fermement à un Iran doté de l'arme nucléaire, tout en rejetant l'option militaire pour l'instant et en durcissant les sanctions. Mais à l'approche de l'élection de novembre, poursuit Feaver, les discours incendiaires vont se multiplier, même s'ils ne conviennent pas à un problème aussi complexe que les ambitions nucléaires de Téhéran.
http://www.courrierinternational.com/article/2012/02/23/la-guerre-contre-l-iran-est-presque-inevitable
Peter Feaver, de la Duke University, spécialiste de longue date des relations entre l'opinion publique et la guerre, qui a travaillé pour le gouvernement du président George W. Bush, explique que la politique de l'équipe Obama se trouve aujourd'hui "à l'intersection entre les différents courants de l'opinion publique américaine au sujet de l'Iran" - elle s'oppose fermement à un Iran doté de l'arme nucléaire, tout en rejetant l'option militaire pour l'instant et en durcissant les sanctions. Mais à l'approche de l'élection de novembre, poursuit Feaver, les discours incendiaires vont se multiplier, même s'ils ne conviennent pas à un problème aussi complexe que les ambitions nucléaires de Téhéran.
http://www.courrierinternational.com/article/2012/02/23/la-guerre-contre-l-iran-est-presque-inevitable
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