22 mai 2012

Chaos en Libye


Par Abdel Bari Atwan*  (revue de presse : Al-Qods al-Arabi - 22/05/12)
 
Trop peu de bonnes nouvelles nous parviennent de Libye ces jours-ci. Même les stations satellitaires arabes qui ont soutenu l’intervention de l’OTAN visant à renverser le régime corrompu et dictatorial, évitent à présent de parler des développements sur le terrain. Et quand ils le font, c’est avec beaucoup de discrétion.
Hier, un groupe de miliciens armés a pris d’assaut le siège du gouvernement à Tripoli exigeant le paiement de leurs salaires. Ce groupe était équipé d’armes légères et moyennes. Il s’est engagé dans une bataille avec les gardes, ce qui ne manque pas de susciter d’autres préoccupations en Libye.
Il y a plus de 135 conseils militaires dans la capitale libyenne, où des milices armées délimitent leurs zones d’influence et se battent entre elles, tandis qu’il n’y a ni autorité centrale, ni gouvernement digne de ce nom, en plus de l’absence de sécurité et de la propagation de la corruption à une grande échelle.
La Libye a rejoint le club de la corruption
Les pays occidentaux sont intervenus pour renverser le régime et ont prétendu empêcher un massacre par Kadhafi dans Benghazi. Cependant, la question est de savoir pourquoi l’Occident se distancie aujourd’hui de la Libye, alors qu’il aurait pu mettre en place une armée nationale, des forces de sécurité, des hôpitaux, de nouvelles institutions et un système judiciaire indépendant ?
Ce qui préoccupe en priorité l’Occident, c’est de laisser les taux de production de pétrole en Libye (1,3 million de barils) retrouver les niveaux de production d’avant la chute de Kadhafi, et d’assurer un flux continu de pétrole vers les raffineries de l’Ouest. Leur volonté de rester à l’écart de la Libye l’atteste.
Les accusations selon lesquelles l’Occident et les États-Unis d’Amérique, en particulier, ont remplacé la dictature par le chaos, sont fondées. Nous l’avons constaté en Libye comme en Irak. Ces deux régimes ont été renversés par l’Occident par une intervention militaire.
Pourquoi 20 000 Libyens doivent-ils aller suivre un traitement médical à l’étranger ? Pourquoi y a-t-il des centaines de médecins libyens qui travaillent dans les plus grands hôpitaux d’Europe occidentale, d’Amérique et du Canada ? La Libye a de l’argent et reçoit 60 milliards de dollars US par an pour ses revenus pétroliers. Alors, pourquoi l’Occident n’installe-t-il pas un hôpital pour le traitement des Libyens dans leur pays ?
La Libye, ces jours-ci, a rejoint le club de la corruption financière et politique, exactement comme l’Irak, et il détient peut-être un rang plus élevé que l’Irak à cet égard. Le ministre libyen des Finances a démissionné de son poste en signe de protestation contre le pillage des fonds publics. Il avait demandé que les avoirs libyens à l’étranger soient débloqués, plutôt que de les voir transférés de la Libye vers des comptes bancaires européens.
Garder le silence à propos de cette situation est un crime. Le peuple libyen qui a renversé le régime de Kadhafi doit se révolter contre cette situation désastreuse et contre ceux qui ont corrompu leur pays et ont effacé le rêve de la sécurité, de stabilité, de la prospérité et d’une gouvernance démocratique.
Les Libyens sont censés se rendre aux urnes d’ici un mois afin de voter pour un parlement. Cependant, il n’y a aucune indication que les élections auront lieu à la date prévue. Cela est dû à la faiblesse du Conseil national qui représente un trop faible pouvoir exécutif et législatif et qui échoue lamentablement à gérer les affaires du pays.
Le Conseil national reste toujours aussi confidentiel et n’intègre aucune nouvelle personnalité. Son président et ses membres ont essayé à deux reprises de renverser le gouvernement el-Keeb et la troisième est en cours. Le chaos est la seule certitude qui reste au pays.
La Libye fonctionne actuellement sur deux modèles : celui des milices armées et celui des groupes islamistes militants. Il n’y a aucune vision claire de la situation du pays, que ce soit après un an, à deux ou même à cinq ans. Par ailleurs, il n’y a pas non plus de dirigeants compétents qui puissent prendre en charge la direction des affaires.
Les Libyens se sont révolté
pour l’amour de la justice
Nous avions l’habitude de nous moquer des lois étranges de Mouammar Kadhafi, comme l’abolition de l’armée, l’interdiction de la formation de partis politiques ou de tribunaux d’appel. Cependant, il semble que la philosophie de Kadhafi et ses lois soient toujours en cours, appliquées d’une manière illégale, offensante pour l’Islam et les musulmans.
Mustafa Abdul Jalil, le Président du Conseil national a émis des lois accordant l’immunité aux révolutionnaires pour les crimes commis pendant la révolution, criminalisant aussi toute critique contre la révolution et les révolutionnaires. Ces lois ont suscité des protestations de tous les organismes de défense des droits de l’homme dans le monde entier.
Abdul Jalil dirige un conseil provisoire qui n’a pas le droit de décréter de telles immunités. Celui qui commet un crime de viol, un meurtre ou des actes de torture est un criminel et doit être jugé en tant que tel devant la justice et recevoir un châtiment mérité, qu’il soit un partisan de la révolution ou de l’ancien régime.
Les libyens se sont révoltés pour l’amour de la justice, pour la démocratie et pour disposer d’un vrai gouvernement, et non pas pour un duplicata ou une version encore pire de ce qu’ils ont connu.
En Libye, il y a des centres de détention mis en place par les milices qui arrêtent, torturent, tuent, violent des milliers de personnes accusées de soutenir l’ancien régime. Les rapports des organisations des droits de l’homme, dont Médecins Sans Frontières, Amnesty International et Human Rights Watch mentionnent de telles pratiques dans les détails. Par ailleurs, Médecins Sans Frontières s’est retiré de Misrata et a interrompu toutes ses activités en signe de protestation contre le viol et les actes de torture commis par les milices et leurs partisans dans une absence totale de droits.
Les révolutionnaires ne sont pas au-delà de la critique et ils n’ont pas droit d’être au-dessus de la loi, parce que ceux qui sont torturés sont aussi des Libyens et des compatriotes. Si le régime actuel ne parvient pas à assurer la coexistence entre les personnes d’un même pays et à maintenir la loi et l’ordre, alors à quoi sert une révolution ?
La haine de Sarkozy
envers les Arabes et les musulmans
L’Occident qui a organisé le changement de régime en Libye tient la majeure responsabilité de cette catastrophe. En l’ignorant, l’Occident prouve que sa principale préoccupation est le pétrole et le pillage des richesses du pays, tout en encourageant la corruption et en semant le chaos, allant même jusqu’à démanteler l’unité géographique et démographique du pays.
La Libye est confrontée à un sort incertain et les mouvements séparatistes se renforcent en raison de la faiblesse du Conseil de transition et l’absence d’un gouvernement central fort capable de faire face à cette situation désespérée.
Nous espérons entendre maintenant ceux qui ont critiqué les avertissements selon lesquels la Libye sera entraînée dans une situation similaire à celle de la Somalie - je parle de ceux qui nous ont dit que le nouvelle Libye sera différente et une sorte de modèle. Pourquoi sont-ils silencieux maintenant ?
Cette dégringolade concerne directement Sarkozy qui a prétendu être loyal envers la Libye, bien que sa haine envers les Arabes et les musulmans soient connue, comme sa volonté de piller la richesse pétrolière du pays sous couvert d’apporter la démocratie et les droits de l’homme.
Cette démocratie et ces droits de l’homme ont été mis de côté lors de sa campagne présidentielle qui s’est concentrée sur le racisme anti-immigrés - dont beaucoup sont originaires du Maghreb - et l’interdiction de leur venue en France, .
Il n’y a pas de regret à avoir face à la chute de Khadafi, mais le peuple libyen mérite un autre présent et un meilleur avenir que ce à quoi nous assistons aujourd’hui.
 
* Abdel Bari Atwan est palestinien et rédacteur en chef du quotidien al-Quds al-Arabi, grand quotidien en langue arabe édité à Londres. Abdel Bari Atwan est considéré comme l’un des analystes les plus pertinents de toute la presse arabe.
 

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