Le
Sahara, c'est l'éloignement, l'infini, la chaleur et le fossé culturel
assuré pour les Algériens du Nord. Mais aujourd'hui, c'est aussi
l'Eldorado de l'emploi et le désert ne fait plus peur aux jeunes femmes
qui veulent trouver du travail. Ingénieures, professeures ou médecins,
elles partent de chez elles et s'exilent au sein de leur propre pays
pour vivre en toute indépendance. Rencontres.
Aux abords de Ouargla, avant Hassi Messaoud (CF)
18.05.2012Reportage : Carole Filiu
Le
bitume trace sa route sur l'infini. A gauche et à droite, la chaleur
jaune écrase toute forme de vie. Bienvenue à Hassi Messaoud, zone
industrielle située à 800 kilomètres au sud-est d'Alger où le pétrole et
l'emploi coulent à flot. A cinquante kilomètres de la ville, dans une
base de vie de la Sonatrach, société nationale gérant le pétrole, les
employés construisent un pipeline pour transporter le pétrole pompé dans
la région aux ports du Nord. Dans ce bout de Sahara aux conditions de
vie extrêmes, vit Nadia, jeune femme de 37 ans originaire
d'Annaba. Voilà bientôt trois ans qu'elle a quitté cette ville de la
côte méditerranéenne, proche de la frontière tunisienne, pour travailler
au Sud : « Je n'attends pas un mari pour faire ce dont j'ai envie,
je suis ambitieuse, j'avais envie de connaître un autre monde,
l'aventure », justifie-t-elle. Dans un sourire, l'ingénieure en informatique de gestion se souvient : « Je me suis testé : est-ce-que je peux me débrouiller toute seule ou non ? Est-ce-que je vais résister, surtout au désert ? »
En août 2009, Nadia a donc sauté le pas. Après avoir fait ses études et
travaillé pendant cinq ans dans sa ville natale, elle profite d'une
offre d'emploi de l'Algérienne des Eaux pour s'exiler à Tamanrasset, à
2000 kilomètres de chez elle. Là, pendant plus de deux ans et demi, elle
travaille au transfert de l'eau d'In Salah à la capitale de
l'extrême-Sud, un projet dantesque de conduites hydrauliques de plus de
700 kilomètres.
«
Au début, j'étais hésitante, je ne connaissais pas le Sahara, c'était
l'infini pour moi, comme s'il n'y avait rien à y faire. Ma mère avait
peur, elle était contre ce départ. Mais ces deux années ont été les plus
belles de ma vie. » Comme la plupart des Algériens du Nord, Nadia
ne connaissait les Touaregs qu'à travers la télévision. A son arrivée à
Tamanrasset, elle découvre leur culture et le calme inhérent de la vie
au Hoggar : « C'était un peu difficile au départ, tout était
différent par rapport à Annaba où tout est en mouvement. Mais c'était
une expérience extraordinaire car j'ai travaillé avec de nombreux
étrangers et j'ai découvert une nouvelle culture. » Depuis six mois,
l'ingénieure travaille plus au Nord, mais dans des conditions de vie
plus ardues. Elle ne sort quasiment jamais de sa base de vie où résident
un millier d'employés. Dès le printemps, les températures atteignent
rapidement les extrêmes, jusqu'à 55° l'été. Nadia assure : « Les
hommes nous voient comme des femmes courageuses, ils nous respectent !
Eux travaillent pour leur famille qui est au Nord et sont prêts à
revenir chez eux même pour un salaire de misère. Nous, on tient toujours
malgré les difficultés... »
"Pourquoi tu te voiles pas ?"
Autre ambiance, même envies d'indépendance. Dans le petit
village d'In Anguel, à 130 kilomètres au nord de Tamanrasset, Sabrina
Bouaicha, 25 ans, vient de quitter sa Kabylie verdoyante pour enseigner
le français dans le seul établissement scolaire de cette base militaire.
Tout juste diplômée d'un master 2 en juillet 2011 à Bejaïa, la jeune
femme décide rapidement de s'installer à Tamanrasset : « On ne trouve
pas de travail au Nord car tout est saturé alors que dans le Sud, il y a
d'énormes besoins d'enseignants en français. J'ai passé le concours en
octobre à Tamanrasset et j'ai commencé à travailler à In Anguel en
novembre. » Le choc culturel est dur : arrivée avec une collègue qui se voile tout de suite « par peur », Sabrina décide de ne pas se voiler mais « se fait discrète dans les rues ». Toutes les deux sont les seules femmes à s'être installées en tant que célibataires dans ce village.« Pendant
les cours, mes élèves me font des prêches et me disent : « Madame !
Pourquoi tu te voiles pas ? C'est haram (péché) ! » Mais j'ai de
l'affection pour eux, j'essaye de leur parler librement de la religion
et du racisme. » Loin de l'ambiance à l'européenne des rues de
Bejaïa, la jeune professeure se heurte aux problèmes ethniques de ce
bout du Sud où cohabitent Touaregs, anciens esclaves noirs et Arabes. « Si on rentre dans ces détails, c'est la guerre entre les élèves », soupire-t-elle.
Mais malgré la routine, l'éloignement et l'absence de ses proches, Sabrina ne regrette pas un instant son choix : « Quand
je suis retournée voir mes anciennes camarades de promotion, soit elles
travaillaient dans des boutiques pour un petit salaire, soit elles
restaient toute la journée chez elles, raconte-t-elle. Pour les femmes,
la seule issue pour partir de la maison, c'est les études puis le
travail. Et pour moi il était hors de question de ne pas sortir, je ne
suis pas une vieille ! » Convaincre sa famille ne lui a pas été très difficile : sa sœur l'a précédé à Tamanrasset et son père est plutôt « ouvert ». Elle explique : « Pour
les filles, tout dépend du milieu familial, mais aussi de leur volonté.
La plupart essayent de trouver un bon mari pour changer de vie, sans
trop se casser la tête. Les femmes célibataires qui partent de chez
elles sont encore rares... »
"Le travail, c'est l'arme pour se détacher"
Le travail comme excuse pour vivre indépendante, c'est
également le leitmotiv de Soraya Halfaoui. Originaire d'Ifri, un petit
village des montages kabyles, la jeune femme diplômée en chimie
industrielle à l'université de Bejaïa, convainc son père de la laisser
partir à Tamanrasset une quinzaine de jours. Elle y rejoint une amie, ne
rentre pas aussi tôt que prévue chez elle, et au bout d'un mois, passe
un entretien pour travailler en tant que chimiste à la Sonelgaz (Société
nationale gérant le gaz). Voilà maintenant quatre ans qu'elle réside
ici et pour elle, il n'est plus question de repartir : « J'ai compris
que je ne pourrais plus me réintégrer au Nord. Ici, j'ai découvert le
vrai sens de la vie, les gens sont sages et ne sont pas stressés. »
Sportive et aventureuse, la jeune femme profite dès qu'elle le peut des
paysages désertiques somptueux des alentours de la ville. Pour autant,
elle n'oublie pas les difficultés de son installation : « La première
année était dure, surtout à propos des mentalités, on ne voit pas de
femmes sans voiles ici ! Tout le monde a une image négative de toi... »
Au
bout de longs mois de recherches, elle trouve un appartement, mais à un
prix prohibitif : on ne loue pas encore facilement à une célibataire.
Seule femme cadre à son boulot, elle doit subir l'intégrisme de son
chef. Son père lui dit d'assumer, et c'est ce qu'elle fait : « Dans
ma tête, j'ai toujours voulu être indépendante de mes parents. Le
travail, c'est l'arme pour se détacher de la maison familiale et se
faire accepter dans la société. » Comme nombre de ses concitoyens,
Soraya a d'abord voulu partir en Europe pour pouvoir vivre à sa guise.
Mais la jeune femme a finalement décidé de rester dans son pays : « Dans
mon village, j'étais la première à partir travailler seule au Sud.
Depuis un an ou deux, de plus en plus de familles me donnent les
dossiers de leurs filles pour qu'elles me rejoignent, c'est quelque
chose qu'on ne voyait pas auparavant ! » Et de conclure : « Si nous les libéraux fuyons le pays, qui va faire avancer cette société ? »
http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/Terriennes/Dossiers/Algerie/p-21612-Algerie-pour-l-emancipation-destination-desert.htm
Merci à Djamel Rouani, d'Alger, qui nous a signalé cet excellent article. En cliquant sur le lien, vous pourrez admirer le diaporama que je n'ai su copier :-(
http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/Terriennes/Dossiers/Algerie/p-21612-Algerie-pour-l-emancipation-destination-desert.htm
Merci à Djamel Rouani, d'Alger, qui nous a signalé cet excellent article. En cliquant sur le lien, vous pourrez admirer le diaporama que je n'ai su copier :-(
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