mai 1945 : les massacres de Sétif et Guelma
article de la rubrique les deux rives de la Méditerranée > la guerre d’Algérie
date de publication : samedi 12 juin 2004
La situation politique de l’Algérie en 1945 est exposée dans l’article aux origines de la guerre d’Algérie.
Le
8 mai 1945, à Sétif, les nationalistes algériens du PPA (Parti du
peuple algérien, interdit) de Messali Hadj (en résidence surveillée) et
des AML (Amis du Manifeste et de la liberté) de Ferhat Abbas organisent
un défilé pour célébrer la chute de l’Allemagne nazie. Les drapeaux
alliés sont en tête. Soudain, pancartes et drapeau algérien sont
déployés. Les pancartes portent les slogans « Libérez Messali », « Vive
l’Algérie libre et indépendante », « A bas le fascisme et le
colonialisme ». Bouzid Saal refuse de baisser le drapeau algérien qu’il
porte ; il est abattu par un policier. Cela déclenche l’émeute.
Les Algériens qui fuient sous les coups de feu des policiers agressent à leur tour les Européens qu’ils rencontrent. Partout résonne l’appel à la révolte. A 13 heures le couvre-feu est instauré et l’état de siège décrété à 20 heures. L’armée, la police et la gendarmerie sillonnent les quartiers arabes. La loi martiale est proclamée, et des armes sont distribuées aux Européens. La répression sera terrible.
Le même jour, à Guelma (est de Constantine), la manifestation pacifique organisée par les militants nationalistes, drapeaux algériens et alliés en tête, est arrêtée par le sous-préfet Achiary. La police tire sur le cortège : quatre morts algériens (aucun européen). Achiary décrète le couvre-feu, et fait armer la milice des colons. Cette milice se livre à un véritable pogrom contre la population musulmane. « Je voyais des camions qui sortaient de la ville et, après les intervalles de dix à quinze minutes, j’entendais des coups de feu. Cela a duré deux mois ; les miliciens ramassaient les gens partout pour les tuer. Les exécutions se faisaient surtout à Kef-El-Boumba et à la carrière de Hadj M’Barak ». [1] Des centaines de musulmans de Guelma furent fusillés sans jugement.
L’écrivain Kateb Yacine était collégien à l’époque ; témoin oculaire des événements de Sétif, il écrit :
L’insurrection va se propager avec la nouvelle de la répression dans toute la région de Sétif, Guelma, Kherrata, Djidjelli.
La répression a été impitoyable et souvent aveugle
La répression, conduite par l’armée française, mais aussi par des milices européennes déchaînées, sera d’une incroyable violence : exécutions sommaires, massacres de civils, bombardements de mechtas en bordure de mer par des bâtiments de guerre ... Le bilan ne pourra jamais être établi.
Le comble de l’horreur est atteint lorsque les automitrailleuses font leur apparition dans les villages et qu’elles tirent à distance sur les populations qui fuient vers les montagnes. Les blindés sont relayés par les militaires arrivés en convois sur les lieux.
De nombreux corps n’ont pu être enterrés ; ils sont jetés dans les puits, dans les gorges de Kherrata. Des miliciens utilisent les fours à chaux pour faire disparaître des cadavres. Saci Benhamla, qui habitait à quelques centaines de mètres du four à chaux d’Héliopolis, décrit l’insupportable odeur de chair brûlée et l’incessant va-et-vient des camions venant décharger les cadavres, qui brûlaient ensuite en dégageant une fumée bleuâtre. [2]
À Kef-El-Boumba, « j’ai vu des Français faire descendre d’un camion cinq personnes les mains ligotées, les mettre sur la route, les arroser d’essence avant de les brûler vivants . » [3]
L’armée organise des cérémonies de soumission où tous les hommes doivent se prosterner devant le drapeau français et répéter en choeur : « Nous sommes des chiens et Ferhat Abbas est un chien ». Certains, après ces cérémonies, étaient embarqués et assassinés. [4]
Le nombre de victimes algériennes reste encore aujourd’hui impossible à établir mais on peut l’évaluer à plusieurs dizaines de milliers de morts. Le consul général américain à Alger parlera de 40 000 morts. Les Oulémas plus proches du terrain, avanceront le chiffre de 80 000 morts.
Selon l’historienne Annie Rey-Goldzeiguer, « la seule affirmation possible, c’est que le chiffre dépasse le centuple des pertes européennes et que reste, dans les mémoires de tous, le souvenir d’un massacre qui a marqué cette génération ».
Après les massacres
La barbarie qui s’est déployée à la suite des manifestations du 8 mai 1945 à Sétif et à Guelma marque un tournant dans l’histoire de la lutte nationaliste. Le fossé entre Algériens et Européens ne sera plus jamais comblé. Dans l’immédiat la répression s’abat encore un peu plus sur la direction du mouvement nationaliste. Pour les militants du PPA, le colonialisme a montré son vrai visage. Le temps de la « Révolution par la loi » est révolue et doit faire place à la « Révolution par les armes ».
Pour de nombreux militants nationalistes comme Lakhdar Bentobbal, futur cadre du FLN, le 8 mai 1945 symbolise la prise de conscience que l’engagement dans la lutte armée reste la seule planche de salut. C’est à la suite des événements du 8 mai que Krim Belkacem, l’un des six fondateurs « historiques » du FLN, décide de partir au maquis.
Les Algériens qui fuient sous les coups de feu des policiers agressent à leur tour les Européens qu’ils rencontrent. Partout résonne l’appel à la révolte. A 13 heures le couvre-feu est instauré et l’état de siège décrété à 20 heures. L’armée, la police et la gendarmerie sillonnent les quartiers arabes. La loi martiale est proclamée, et des armes sont distribuées aux Européens. La répression sera terrible.
Le même jour, à Guelma (est de Constantine), la manifestation pacifique organisée par les militants nationalistes, drapeaux algériens et alliés en tête, est arrêtée par le sous-préfet Achiary. La police tire sur le cortège : quatre morts algériens (aucun européen). Achiary décrète le couvre-feu, et fait armer la milice des colons. Cette milice se livre à un véritable pogrom contre la population musulmane. « Je voyais des camions qui sortaient de la ville et, après les intervalles de dix à quinze minutes, j’entendais des coups de feu. Cela a duré deux mois ; les miliciens ramassaient les gens partout pour les tuer. Les exécutions se faisaient surtout à Kef-El-Boumba et à la carrière de Hadj M’Barak ». [1] Des centaines de musulmans de Guelma furent fusillés sans jugement.
L’écrivain Kateb Yacine était collégien à l’époque ; témoin oculaire des événements de Sétif, il écrit :
“Je témoigne que la manifestation du 8 mai était pacifique. En organisant une manifestation qui se voulait pacifique, on a été pris par surprise. Les dirigeants n’avaient pas prévu de réactions. Cela s’est terminé par des dizaines de milliers de victimes. A Guelma, ma mère a perdu la mémoire (...) On voyait des cadavres partout, dans toutes les rues. La répression était aveugle ; c’était un grand massacre.”
L’insurrection va se propager avec la nouvelle de la répression dans toute la région de Sétif, Guelma, Kherrata, Djidjelli.
La répression a été impitoyable et souvent aveugle
La répression, conduite par l’armée française, mais aussi par des milices européennes déchaînées, sera d’une incroyable violence : exécutions sommaires, massacres de civils, bombardements de mechtas en bordure de mer par des bâtiments de guerre ... Le bilan ne pourra jamais être établi.
Le comble de l’horreur est atteint lorsque les automitrailleuses font leur apparition dans les villages et qu’elles tirent à distance sur les populations qui fuient vers les montagnes. Les blindés sont relayés par les militaires arrivés en convois sur les lieux.
De nombreux corps n’ont pu être enterrés ; ils sont jetés dans les puits, dans les gorges de Kherrata. Des miliciens utilisent les fours à chaux pour faire disparaître des cadavres. Saci Benhamla, qui habitait à quelques centaines de mètres du four à chaux d’Héliopolis, décrit l’insupportable odeur de chair brûlée et l’incessant va-et-vient des camions venant décharger les cadavres, qui brûlaient ensuite en dégageant une fumée bleuâtre. [2]
À Kef-El-Boumba, « j’ai vu des Français faire descendre d’un camion cinq personnes les mains ligotées, les mettre sur la route, les arroser d’essence avant de les brûler vivants . » [3]
L’armée organise des cérémonies de soumission où tous les hommes doivent se prosterner devant le drapeau français et répéter en choeur : « Nous sommes des chiens et Ferhat Abbas est un chien ». Certains, après ces cérémonies, étaient embarqués et assassinés. [4]
Dans son rapport sur les massacres de Sétif, le général Tubert écrit :Le nombre de victimes
« La raison d’Etat, la commodité d’une répression aveugle et massive permettant de châtier quelques coupables parmi les milliers d’innocents massacrés, l’immunité administrative de “fait” couvrant par exemple, le sous-préfet de Guelma, fit délibérément et sans excuse arrêter et fusiller, sans autre forme de procès, des musulmans de la ville dont les familles réclament encore en vain une enquête, un jugement ou même une simple explication. »
Le nombre de victimes algériennes reste encore aujourd’hui impossible à établir mais on peut l’évaluer à plusieurs dizaines de milliers de morts. Le consul général américain à Alger parlera de 40 000 morts. Les Oulémas plus proches du terrain, avanceront le chiffre de 80 000 morts.
Selon l’historienne Annie Rey-Goldzeiguer, « la seule affirmation possible, c’est que le chiffre dépasse le centuple des pertes européennes et que reste, dans les mémoires de tous, le souvenir d’un massacre qui a marqué cette génération ».
Après les massacres
La barbarie qui s’est déployée à la suite des manifestations du 8 mai 1945 à Sétif et à Guelma marque un tournant dans l’histoire de la lutte nationaliste. Le fossé entre Algériens et Européens ne sera plus jamais comblé. Dans l’immédiat la répression s’abat encore un peu plus sur la direction du mouvement nationaliste. Pour les militants du PPA, le colonialisme a montré son vrai visage. Le temps de la « Révolution par la loi » est révolue et doit faire place à la « Révolution par les armes ».
Pour de nombreux militants nationalistes comme Lakhdar Bentobbal, futur cadre du FLN, le 8 mai 1945 symbolise la prise de conscience que l’engagement dans la lutte armée reste la seule planche de salut. C’est à la suite des événements du 8 mai que Krim Belkacem, l’un des six fondateurs « historiques » du FLN, décide de partir au maquis.
Des extraits du rapport du général Tubert, après les massacres de mai 1945 [5]
Alors que la fraternité régnait sur les champs de bataille de l’Europe, en Algérie le fossé se creusait de plus en plus entre les deux communautés. Déjà les provocations fusent. Les indigènes menacent les Français. Beaucoup n’osent plus se promener avec des Européens. Les pierres volent, les injures pleuvent. Les Européens répliquent par des termes de mépris. "Sale race" résonnait trop fréquemment. Les indigènes n’étaient pas toujours traités, quel que fût leur rang, avec le minimum d’égards. Ils sont l’objet de moqueries, de vexations.
Trois faits nous ont été racontés, prouvant l’état d’esprit de la population musulmane :
- Un instituteur de la région de Bougie donne à ses élèves un modèle d’écriture : " Je suis français, la France est ma patrie." Les enfants musulmans écrivent : "Je suis algérien, l’Algérie est ma patrie."
- Un autre instituteur fait un cours sur l’Empire romain. Il parle des esclaves. "Comme nous", crie un gosse.
- A Bône enfin, une partie de football opposant une équipe entièrement européenne à un "onze" musulman doit être arrêtée par crainte d’émeute...
La multiplicité des renseignements qui nous sont parvenus permet d’affirmer que les démonstrations de cet état d’esprit couvraient tout le territoire algérien.
[...] Les musulmans ayant séjourné en métropole comme soldats ou travailleurs ont porté leur attention sur des faits sociaux qui passaient inaperçus aux yeux de leurs parents. Ils font des comparaisons entre leur situation et celle des Européens, qu’ils jugent privilégiés. [...] Ils jalousent les colons propriétaires de grands domaines. Un seul colon règne en maître sur des milliers d’hectares et ils comparent sa richesse à leur misère.
P.-S.
Bibliographie sommaire sur les événements du 8 mai 1945- sur le site : le rapport du Consul de Suisse,
- Yves Benot, Massacres coloniaux, éd La Découverte, Paris, 2001.
- Boucif Mekhaled, Chronique d’un massacre : 8 mai 1945, Sétif-Guelma-Kherrata, éd. Syros, Paris, 1995.
- Annie Rey-Goldzeiguer, Aux origines de la guerre d’Algérie 1940-1945 : de Mers El-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois, éd. La Découverte, Paris, 2001.
Notes
[1] Mekhaled, p. 192.[2] Mekhaled, p. 187.
[3] Mekhaled, p. 187.
[4] Mekhaled, p. 191.
[5] Cité dans Benjamin Stora, Histoire de l’Algérie coloniale (1830-1954), éd. La Découverte, Paris, 1991.
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