26 mai 2012

Vidéo : Tuer pour le plaisir et le « moral »

jeudi 24 mai 2012 - 07h:28
Ali Abunimah - Electronic Intifada

Une vidéo particulièrement violente et choquante d’une attaque israélienne meurtrière contre des prisonniers palestiniens endormis.







La caméra suit des agents lourdement armés de la sécurité israélienne attaquant un dortoir de prison, hurlant aux détenus de sortir de leur lit et qu’ils seraient abattus s’ils n’obéissaient pas aux ordres.
On peut entendre les prisonniers crier de terreur à cette attaque surprise. Ce fut une nuit de violence brutale et meurtrière que des participants israéliens décriraient comme « belle » et « heureuse ».
L’un des attaquants israéliens hurle, au milieu des flashes, du feu et de la fumée : « Je veux ouvrir ces portes et m’occuper de ces petits fils de putes ». D’autres Israéliens crient aux prisonniers des insultes arabes vulgaires sur leurs mères.
Des prisonniers se tordent de douleur et de peur. On voit l’un d’eux - images rappelant celles d’Abou Ghraïb - étendu sur le sol pendant qu’un Israélien pointe un fusil sur lui en criant « couché sur le ventre ! »
D’autres sont abattus sans raison apparente.
Ce sont des scènes d’une vidéo qui fut montrée en avril 2011 par le programme d’investigation Ouvda sur la station de télévision israélienne Channel 2. La violente attaque enregistrée contre les prisonniers palestiniens le 22 octobre 2007 est réelle, mais elle était exécutée comme un « exercice d’entraînement pour le personnel de sécurité à la prison de Ketziot, pour stimuler son »moral » et sa « motivation ».
Un Palestinien fut tué : Mouhammed Ashqar. Personne n’a été inculpé pour sa mort bien qu’Israël ait récemment accepté de payer une compensation à sa famille.
Cette vidéo, dit Ouvda, en est une que « tout le système »a tenté de garder secrète pendant plus de trois ans.
Le commandant-adjoint de l’administration pénitentiaire israélienne donnera à la performance de ses hommes et leur violence effroyable et meurtrière la cote « dix sur dix ».
Cette vidéo choquante et les événements qui l’entourent donnent un éclairage rare sur les vies de milliers de Palestiniens détenus dans des prisons israéliennes ; près de 2.000 d’entre eux viennent d’achever une grève de la faim de 28 jours contre les traitements cruels et inhumains qu’ils subissent.
Elever le « moral » et la « motivation »
Le contrôle de la Prison de Ketziot dans le sud de la région du Néguev (an-Naqab) de la Palestine historique a été remis à l’administration pénitentiaire israélienne (IPS) par l’armée israélienne en 2007. Selon l’émission Ouvda, l’IPS promit alors de durcir le traitement des prisonniers.
Selo Addameer, Ketziot, qu’on appelle aussi Ansar ou Prison du Néguev, est un centre de détention important pour des Palestiniens en « détention administrative », sans inculpation ni procès.
L’un des objectifs de « l’exercice d’entraînement » à 2 heures du matin que montre cette vidéo était de « relever le moral et la motivation du personnel pénitentiaire » selon Ouvda qui cite des documents de l’IPS.
La vidéo est sous-titrée « Unité d’ Entraînement Massada - archive », décrite comme « l’unité la plus combative du Service pénitentiaire ».
La mission « d’entraînement » confiée à l’unité était la recherche de contrebande dans l’une des ailes de la prison.
Le recours à des Palestiniens - pas seulement des prisonniers » comme cobayes pour la violence israélienne ne s’achève pas avec cet incident. Le 27 mars 2012, Rashad Shawakha, 28 ans, était tué de sang-froid au cours d’une attaque contre le village cisjordanien de Rammoun qui faisait partie d’un « exercice d’entraînement » par une unité israélienne sous couverture.
Une déclaration de guerre
Mais dans la mesure « où les prisonniers sont concernés » dit le narrateur, « l’incursion -surprise par des combattants masqués dans la prison n’a qu’une seule signification - déclaration de guerre ».
Cependant les prisonniers sont « sidérés » et la résistance est « insignifiante ». Entre-temps on entend sur la vidéo la voixd’un membre du personnel israélien disant « le tir est correct » (3:28), ce qui veut dire que le tir que nous entendons à l’arrière-pan est autorisé.
« Ceci n’est pas un tir à vif » dit le narrateur, voulant dire que l’on n’utilise pas de balles réelles « mais ces mesures de dispersion de manifestation pourraient aussi tuer ».
Bien sûr il n’y avait aucune manifestation à disperser. Les prisonniers étaient endormis - dans des dortoirs fermés et des tentes dans l’enceinte d’une prison lourdement fortifiée - qund ils furent attaqués avec des armes que les autorités israéliennes refusent d’identifier.
Et sans doute les prisonniers ignoraient-ils que ce n’était pas un tir à balles réelles et qu’ils n’allaient pas être tués. Et les armes utilisées ont bien tué cette nuit-là.
Comme les choses dégénéraient, deux commandants envoyèrent l’Unité de combat Massada pour donner l’assaut aux autres ailes de la prison.
A un moment, on peut voir et entendre un officier israélien parlant dans un micro quand il fait face à l’enceinte de la prison en feu. Il parle en mauvais arabe « à tous les prisonniers pour la dernière fois, celui qui sort et se couche sur le ventre on ne lui tirera pas dessus » (7:23).
« C’est la dernière fois avant que nous ne tirions sur tout le monde » » dit-il (7:50).
Les attaquants, note le narrateur, tirent n’importe comment malgré l’obscurité.
Une arme inconnue
Un Palestiniens identifié comme Nabil, ancien détenu de Ketziot, a raconté à l’émission Ouvda que les armes tirées par les Israéliens causaient des douleurs extrêmes. « Cela frappe ton corps, et cela explose » dit Nabil (8 ::15).
Un autre ancien détenu, non identifié, a dit que les armes étaient chargées de billes. Nabil montre des marques sur son dos : « J’ai été frappé dans le dos et c’était insupportable, imaginez si ça m’avait frappé à la tête ou dans l’oeil ou à une autre endroit sensible ».
Selon Ouvda, l’IPS a refusé de dévoiler quelle arme ils ont utilisée contre les prisonniers.
« Un des arabes est blessé » - le meurtre de Mohammed Ashqar
Celui-ci est étendu sur le sol, mortellement blessé et sans soins.
« Dani, Dani, un des arabes est blessé » entend-on dire un attaquant israélien (9:01)
La caméra fait un panoramique sur un homme couché au sol, la tête ensanglantée.
D’autres voix,off : « Quelqu’un s’occupe de lui ? » « Non, personne, juste Dima [nom russe] est là avec lui ».
L’homme gisant au sol est Mohammed Ashqar, qui devait être libéré quelques mois plus tard. Il n’y a aucune preuve montrant qu’il ait fait quoi que ce soit pour menacer ses attaquants.
Ashqar « avait été incarcéré deux ans avant l’incident pour adhésion au Jihad islamique » selon Ha’aretz qui rapportait le 3 mai qu’Israël acceptait de payer 1,2 millions de shekels [245.000€] de compensation à sa famille.
Mais le quotidien ajoute :
... Cependant, le ministère public a clos le dossier contre les gardiens impliqués dans la perquisition, qui s’est soldée par un prisonnier mort, 15 prisonniers blessés, 15 gardiens blessés et une section de la prison incendiée.
Il note aussi :
... Les autorités ont d’abord raconté à la famille qu’Ashkar a été abattu alors qu’il tentait de s’échapper a dit son père Seti Ashkar à Ha’aretz. Ensuite ils ont dit qu’il avait été abattu accidentellement pendant l’émeute.
Le frère de Mohammed, Loai était également détenu sans charge ni procès à la prison de Ketziot au moment de l’attaque du 22 octobre 2007.
Un prisonnier abattu pendant qu’il négociait avec des gardiens
Quelques instants après Ashqar gisant sur le sol, la vidéo montre un autre prisonnier émergeant d’un des bâtiments dans la cour (10:00). Les attaquants israéliens négocient avec lui. Mais au milieu de la conversation et sans raison apparente il tirent sur lui. Il tombe par terre et du sang coule d’une blessure à sa jambe. Personne ne s’occupe de lui.
Assis par terre le prisonnier blessé essaie de se soigner lui-même, criant aux autres prisonniers dans la tente de sortir, craignant sans doute qu’ils ne subissent le même sort.
Abattu sans provocation
Smadar Ben Natan, une avocate représentant la famille de Mohammed Ashqar, a raconté à Ouvda qu’elle avait trouvé que :
...les combattants de l’Unité Massada tiraient sur les prisonniers même lorsque leur vie n’était pas en danger ;
... le plan initial du commandant était d’attacher les prisonnier à leurs lits alors qu’ils étaient encore endormis, mais que le plan avait été suspendu au dernier moment ;
... les surveillants étaient insuffisamment formés ;
« Dix sur dix »
Quand on lui demanda de coter les surveillants et les combattants, Dov Lutzki, commandant-adjoint de l’administration pénitentiaire, dit à Ouvda : « Je leur mettrais dix sur dix. Cet événement a eu des résultats mortels et tragiques avec un prisonnier blessé, alors que l’intention n’était pas d’aboutir à ce résultat, mais jusqu’à présent, les perquisitions de nuit sont une routine dans le traitement des prisonniers de sécurité ».
Dov Lutzki, commandant-adjoint de l’administration pénitentiaire, donne dix sur dix à ses troupes
Quand on lui demanda si « relever le moral » était une raison suffisante pour monter une telle opération, Lutzki répondit : « Un surveillant doit croire en ses propres capacités. Il doit comprendre que sa position est importante, qu’il protège la patrie via la façon dont il fait son boulot. Toute tentative d’exprimer de la faiblesse est immédiatement vue par l’autre partie comme une occasion de parvenir à des fins supplémentaires ».
Promotion d’un commandant inapte
Le commandant adjoint de Ketziot était Shlomi Cohen au moment de l’attaque. Il avait une histoire de « sales complications » après l’évasion de deux prisonniers de la prison de Shikma à Ashkelon, qu’il commandait auparavant, selon Ouvda. Une commission d’enquête suggéra que l’aptitude de Cohen à commander une « prison de sécurité » soit « reconsidérée », mais il fut néanmois promu et placé en charge de Ketziot.
La propension de Cohen à la brutalité est quelque chose qu’il atteste de lui-même. Dans un clip vidéo montré par Ouvda on voit le commandant sermonnant deux prisonniers : « C’est vrai que depuis un an et demi vous vivez dans des conditions beaucoup plus dures, parce qu’il est apparu que c’est la seule manière de vous garder ».
Une nuit de plaisir et de « bonheur »
A un moment, sans doute après l’attaque, le cadreur demande à un officier de poser pour une photo « comme souvenir des événements de Ketziot ». L’officier casqué, en chemise bleue, s’approche en souriant (6:30).
Tandis que nous entendons des coups de feu et voyons des flammes dans une autre séquence, une voix off dit en hébreu : « quelle beauté » ou plaisir. Un autre s’écrie : « ça c’est vraiment beau ! filme ! filme ! ».
Dima -sans doute le même Dima qui filmait Mohammed Ashqar mourant - est sommé de filmer quand les attaquants israéliens blaguent et rient.
L’un d’eux se met à chanter une chanson évoquant comment les choses étaient heureuses avant sa naissance.
« Heureux, oui - c’est une jour heureux aujourd’hui »
« Heureux, oui - c’est une jour heureux aujourd’hui » dit un autre Israélien. Un camarade répond : « C’est ça que tu voulais. Sûr, frère, c’est la plus belle chose. Excellente ».
Toujours selon Ouvda, l’administration pénitentiaire publia ensuite un communiqué disant :
« ...En une heure tous les prisonniers gisaient au sol, criant qu’ils se rendaient. Nous avons l’intention d’envoyer les prisonniers au tribunal, de les punir et d’exiger qu’ils paient pour les dommages. »
C’est cette incompréhensible cruauté, cette inhumanité gratuite qui a indubitablement contribué et continuera de soutenir le mouvement des prisonniers palestiniens.

Traduit de l’hébreu avec l’aide de Dena Shunra

(JPG)
*Ali Abunimah est l’auteur de One Country, A Bold Proposal to End the Israeli-Palestinian Impasse. Il a contribué à The Goldstone Report : The Legacy of the Landmark Investigation of the Gaza Conflict.
Il est le cofondateur de la publication en ligne The Electronic Intifada et consultant politique auprès de Al-Shabaka, The Palestinian Policy Network.

Du même auteur :
17 mai 2012 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/blogs...
Traduction : Info-Palestine.net - Marie Meert

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