01 mai 2012

Une journaliste de Mediapart agressée au meeting de Sarkozy

Marine Turchi couvre la droite à Mediapart. C'est à ce titre qu'elle suivait, mardi 1er mai, le meeting de Nicolas Sarkozy à Paris, place du Trocadéro. Repérée à cause de son badge professionnel qui la désignait comme journaliste à Mediapart, elle a été agressée physiquement par des militants présents, sans qu'aucun autre ne la protège. Mediapart s'associe à la plainte déposée par Marine et espère que le parquet de Paris mettra autant de diligence dans cette affaire que dans d'autres, aussi récentes.


Les faits parlent d'eux-mêmes et sont racontés, avec précision, dans la plainte pour "violences volontaires légères" déposée par Marine Turchi au commissariat du XVIe arrondissement de Paris (lire son intégralité à la fin de ce billet). Vers 13 h 30, alors que le meeting n'avait pas commencé, elle a été repérée comme journaliste de Mediapart à cause de son badge officiel (ci-contre celui de sa consœur Ellen Salvi qui couvrait aussi le rassemblement du Trocadéro). C'est alors que Marine a été insultée, bousculée et malmenée, à deux reprises, par des groupes de plusieurs individus, dont l'un lui a brutalement arraché son badge, en tirant le cordon qui le tenait autour du cou. Aucun des militants présents n'a pris sa défense ou ne l'a protégée.
Ces faits peuvent paraître à certains sans gravité, bien qu'ils soient toujours une épreuve traumatisante, pour quiconque. Mais, s'agissant d'une journaliste et du titre qu'elle représente, ils sont d'une gravité autrement symbolique, relevant d'une attaque à la liberté fondamentale, celle de la presse. Ils disent en effet un contexte, et il est inquiétant pour la démocratie: un climat de violence inhabituel dans les rassemblements de l'ex-droite républicaine, une agressivité inédite à l'égard des journalistes des médias indépendants du pouvoir, une hystérie jamais vue qui libère des pulsions hier réservées à l'extrême droite.
Il faut croire que la droite extrême de Nicolas Sarkozy n'aime pas plus la liberté que l'extrême droite qu'elle copie désormais et qui, d'ailleurs, a récemment décidé d'interdire à Marine, qui la couvre aussi, l'exercice de sa profession, en lui barrant l'accès à ses meetings et en refusant de répondre à ses questions. De l'UMP au FN, les militants se sentent donc autorisés à déverser leur haine contre les journalistes qui ne pensent pas comme eux. Le poisson pourrit toujours par la tête, dit un proverbe. Aussi cette transgression n'est-elle pas seulement imputable aux militants qui ont agressé Marine, mais à ceux qui ont libéré cette violence, notamment MM. Sarkozy et Fillon en traitant Mediapart d'officine et en nous accusant d'être des faussaires.
Faut-il rappeler à ces messieurs, qui sont encore président de la République pour l'un et premier ministre pour l'autre, que la liberté d’expression et le droit à l'information sont des principes à valeur constitutionnelle? Une démocratie suppose des citoyens librement informés, pouvant recevoir et rechercher librement des informations, de façon pluraliste, dans la diversité de leurs opinions. Inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (Article 11 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme »), c’est la première liberté sur laquelle reposent les fondations des sociétés démocratiques.
Faut-il leur rappeler que de nombreux engagements internationaux souscrits par la France protègent cette liberté d’expression et ce droit du public à être librement informé qui en est la condition? Il s’agit notamment de l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. » Mais aussi de l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000 : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières. La liberté des médias et leur pluralisme sont respectés. »
La liberté de la presse n'est pas un privilège des journalistes mais un droit des citoyens. Quand elle commence à être malmenée dans une réunion publique d'un parti politique au pouvoir, tous les citoyens doivent s'alarmer: ce sont leurs propres libertés qui sont en cause.

Le récit des faits dans le dépôt de plainte de Marine Turchi
« Je suis journaliste pour Mediapart et ce jour alors que je me trouvais au meeting de Monsieur Sarkozy, j'ai été pris à parti par des personnes venues assiter au meeting. En effet, dans un premier temps, alors que je me trouvais sur le rond-point et plus précisement sur le terre plein central, prenant des photos, j'ai été repérée par une huitaine de militants UMP qui sont venus vers moi et ont commencé à hurler: "Aaaaaah! il y a Mediapart !"
« J'ai réussi à plus ou moins calmer la situation mais, sentant qu'il y avait quand même une certaine tension, j'ai voulu sortir de ce terre plein. J'ai, pour ce faire, enjambé la délimitation extérieure du rond-point pour rejoindre la chaussée, mais de nombreuses personnes étaient arrivées entre temps et il était très difficile de traverser la foule.
« Après avoir passé cette délimitation, un homme d'une soixantaine d'années a saisi mon bagde de jounaliste qui était attaché à mon cou et l'a levé au ciel en criant: "C'est Mediapart !". Ce badge était attaché à un cordon autour de mon cou, avec également mon appareil photo. Après cela, il a arraché ce dit badge et l'a jeté au sol.
« Entre temps, les gens autour de nous se sont retournés vers moi et j'ai été insultée notamment de "sale gauchiste" et ce à plusieurs reprises. Cet homme m'a également insultée de la sorte et disait avec les autres militants : "Ils sont là!, ils sont là!". Comme je sentais monter un énervement contre moi, je l'ai pris en photo afin qu'il cesse de me bousculer.
« J'ai réussi à quitter la foule en laissant au sol mon badge professionnel car je ne pouvais pas le récupérer. J'ai été extrèmement choquée par cette situation car j'ai été secouée lors de mon passage à travers la foule. Je ne suis pas blessée et ne désire pas me rendre aux urgences-médico-judiciaire.
« Après ces faits je suis allée rejoindre le responsable de la sécurité de l'UMP qui m'a invitée à me rendre auprès de la Police afin de relater les faits, car j'étais sous le choc et en larmes. Je vous envoie par mail la photographie de l'individu responsable de ces violences.
« Je dépose plainte contre X pour les faits relatés.
« Je prends acte que vous me remettez un récépissé de dépôt de plainte .
« Je prends acte que je serai avisée par le Parquet territorialement compétent des suites de l'enquête.»

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