30 janvier 2009

effacez le nom de mon grand-père à Yad Vashem


Effacez le nom de mon grand-père à Yad Vashem


jeudi 29 janvier 2009,



Monsieur le Président de l’Etat d’Israël,


Je vous écris pour que vous interveniez auprès de qui de droit afin que l’on retire du Mémorial de Yad Vashem dédié à la mémoire des victimes juives du nazisme, le nom de mon grand-père, Moshe Brajtberg, gazé à Treblinka en 1943, ainsi que ceux des autres membres de ma famille morts en déportation dans différents camps nazis durant la seconde guerre mondiale.Je vous demande d’accéder à ma demande, monsieur le président, parce que ce qui s’est passé à Gaza, et plus généralement, le sort fait au peuple arabe de Palestine depuis soixante ans, disqualifie à mes yeux Israël comme centre de la mémoire du mal fait aux juifs, et donc à l’humanité tout entière.


Voyez-vous, depuis mon enfance, j’ai vécu dans l’entourage de survivants des camps de la mort.J’ai vu les numéros tatoués sur les bras, j’ai entendu le récit des tortures ; j’ai su les deuils impossibles et j’ai partagé leurs cauchemars.Il fallait, m’a-t-on appris, que ces crimes plus jamais ne recommencent ; que plus jamais un homme, fort de son appartenance à une ethnie ou à une religion n’en méprise un autre, ne le bafoue dans ses droits les plus élémentaires qui sont une vie digne dans la sûreté, l’absence d’entraves, et la lumière, si lointaine soit-elle, d’un avenir de sérénité et de prospérité.Or, monsieur le président, j’observe que malgré plusieurs dizaines de résolutions prises par la communauté internationale, malgré l’évidence criante de l’injustice faite au peuple palestinien depuis 1948, malgré les espoirs nés à Oslo et malgré la reconnaissance du droit des juifs israéliens à vivre dans la paix et la sécurité, maintes fois réaffirmés par l’Autorité palestinienne, les seules réponses apportées par les gouvernements successifs de votre pays ont été la violence, le sang versé, l’enfermement, les contrôles incessants, la colonisation, les spoliations.


Vous me direz, monsieur le président, qu’il est légitime, pour votre pays, de se défendre contre ceux qui lancent des roquettes sur Israël, ou contre les kamikazes qui emportent avec eux de nombreuses vies israéliennes innocentes.Ce à quoi je vous répondrai que mon sentiment d’humanité ne varie pas selon la citoyenneté des victimes.Par contre, monsieur le président, vous dirigez les destinées d’un pays qui prétend, non seulement représenter les juifs dans leur ensemble, mais aussi la mémoire de ceux qui furent victimes du nazisme.C’est cela qui me concerne et m’est insupportable.


En conservant au Mémorial de Yad Vashem, au cœur de l’Etat juif, le nom de mes proches, votre Etat retient prisonnière ma mémoire familiale derrière les barbelés du sionisme pour en faire l’otage d’une soi-disant autorité morale qui commet chaque jour l’abomination qu’est le déni de justice.Alors, s’il vous plaît, retirez le nom de mon grand-père du sanctuaire dédié à la cruauté faite aux juifs afin qu’il ne justifie plus celle faite aux Palestiniens.


Veuillez agréer, monsieur le président, l’assurance de ma respectueuse considération.


( Le Monde du Jeudi 29 janvier 2009 )

1 commentaire:

Harmoblues a dit…

Shimon Peres
Président de l'Etat d'Israël
Jérusalem, capitale réunifiée du peuple juif

A l'attention de Monsieur Jean-Moïse Brajtberg

Objet : Votre lettre ouverte, intitulée « Effacez le nom de mon grand-père à Yad Vashem »


Monsieur,

Votre lettre, dont je vous remercie, a retenu toute mon attention. Qu'il me soit permis, d'entrée de jeu, de vous rappeler que je ne suis que le Président de l'Etat d'Israël, et non celui de Yad Vashem, qui est une institution privée et, à ce titre, indépendante du pouvoir politique.

Je me garderai de juger de la motivation que vous invoquez pour émettre l'exigence - peu commune pour un descendant de victimes de la Shoah -, que soit retiré du Mémorial de Yad Vashem, ainsi que vous l'écrivez, « le nom de mon grand-père, Moshe Brajtberg, gazé à Treblinka en 1943, ainsi que ceux des autres membres de ma famille morts en déportation dans différents camps nazis durant la seconde guerre mondiale ».

Vous me pardonnerez, j'espère, de ne pas me reconnaître dans votre démarche, et j'ose espérer que vous comprendrez que je ne puisse déférer à votre demande, pour le motif évoqué plus haut, ni même l'appuyer de quelque manière que ce soit. En effet, non seulement le droit, mais également la décence, sans parler du respect dû aux défunts, interdisent à quiconque, y compris à vous, de prendre à titre posthume, des dispositions que vos ascendants décédés n'ont pas explicitement mentionnées, ou dont aucun élément crédible ne prouve qu'ils les aient implicitement souhaitées.

Ceci étant dit, je ne puis vous laisser écrire, sans réagir : « malgré plusieurs dizaines de résolutions prises par la communauté internationale, malgré l'évidence criante de l'injustice faite au peuple palestinien depuis 1948, malgré les espoirs nés à Oslo et malgré la reconnaissance du droit des juifs israéliens à vivre dans la paix et la sécurité, maintes fois réaffirmés par l'Autorité palestinienne, les seules réponses apportées par les gouvernements successifs de votre pays ont été la violence, le sang versé, l'enfermement, les contrôles incessants, la colonisation, les spoliations. »

En effet, vous faites état de ce que votre « sentiment d'humanité ne varie pas selon la citoyenneté des victimes » - ce qui est également mon état d'esprit ainsi que celui de la majorité de mes concitoyens. Mais, après avoir affirmé qu'il vous « est insupportable » que notre pays « prétende, non seulement représenter les juifs dans leur ensemble, mais aussi la mémoire de ceux qui furent victimes du nazisme », vous affirmez « En conservant au Mémorial de Yad Vashem, au coeur de l'Etat juif, le nom de mes proches, votre Etat retient prisonnière ma mémoire familiale derrière les barbelés du sionisme pour en faire l'otage d'une soi-disant autorité morale qui commet chaque jour l'abomination qu'est le déni de justice ».

A ce propos, je tiens à vous dire ce qui suit, certain de représenter le sentiment de la majorité des Israéliens et, très probablement, celui des Juifs du monde entier.

Je m'étonne que vous ne fassiez preuve d'un sens de la justice sociale et politique aussi aigu, que pour les Palestiniens et non pour les Juifs israéliens qui ne sont pas moins victimes d'injustice et de déni d'existence de la part de ce peuple, auprès duquel, depuis plus d'un demi-siècle, ils aspirent à vivre dans la paix et la concorde.

Vous évoquez, à juste titre, « la cruauté faite aux Juifs », mais c'est pour la mettre immédiatement en parallèle avec « celle faite aux Palestiniens », selon une formule d'équivalence morale, très en vogue de nos jours, mais, en fait, éminemment perverse. En effet, nous ne traitons pas les Palestiniens avec cruauté, même si la guerre qu'ils nous imposent a des conséquences cruelles, comme c'est le cas dans tous les conflits.

C'est pourquoi je me permets de vous dire, sans langue de bois et à l'israélienne, qu'il m'apparaît clairement que vos motivations sont tout sauf familiales et honorables, et qu'elles procèdent, en fait, d'un mal-être existentiel et identitaire que vous tentez de compenser et de justifier en vous lançant, à corps perdu, dans une phraséologie à caractère idéologique et partisan (*). Cette logique revendicative et accusatrice vous amène à calomnier votre peuple et l'Etat qui le représente et qui constitue pour lui et constituera encore davantage dans l'avenir le seul refuge sûr contre les insultes, les calomnies et les menaces contre son existence même.

Cher Monsieur, ayez la décence de ne pas instrumentaliser, par un anachronisme culturel et psychologique, de nature quasi pathologique, le nom et la mémoire de vos ascendants pour les mettre au service d'une cause idéologique, dont rien ne prouve qu'ils y adhéreraient.

Enfin, vous semblez ignorer l'origine du nom de l'institution où les noms de vos ascendants, victimes de la Shoah, sont inscrits. L'expression "Yad Vashem" est tirée d'un verset du prophète Isaïe (Is 56, 4-5), que j'ai inscrite en hébreu, en tête de cette lettre :

"Car ainsi parle L'Eternel aux eunuques qui observent mes sabbats et choisissent de faire ce qui m'est agréable, fermement attachés à mon alliance: Je leur donnerai dans ma maison et dans mes remparts un monument et un nom meilleurs que des fils et des filles; je leur donnerai un nom éternel qui jamais ne sera effacé."

Les eunuques, ce sont nos morts, qui ne peuvent plus ni engendrer ni enfanter. Notre Dieu, par la bouche de son prophète leur garantit lui-même que leur nom ne sera jamais effacé. Et vous, vous prétendez le faire !...

Il semble que vous ne croyiez pas (ou plus) au Dieu de nos Pères. Votre ignorance est donc excusable. Par contre, déférer à votre exigence, à supposer que ce fût possible, équivaudrait à se révolter contre l'Esprit Saint, inspirateur des prophètes, et à enfreindre consciemment un commandement de la Torah : "Honore ton père et ta mère, afin que durent tes jours sur la terre que te donne L'Eternel ton Dieu." (Ex 20, 12).

Pour toutes ces raisons et par respect pour vos morts,

Laissez le nom de votre grand-père en paix, à Yad Vashem!


(*) Nota. J'ai fait procéder par mes services à une brève vérification dans la base de données informatique que Yad Vashem met à la dispositions de tous les internautes. En effet, vous n'êtes pas sans savoir que l'inscription dans les registres de Yad Vashem n'est pas une décision de cet organisme; il faut, pour qu'elle soit homologuée, qu'un descendant direct authentifie l'assassinat de la victime par les nazis.. Or, les archives montrent que ce n'est pas vous qui avez rempli la fiche de témoignage, mais une petite-fille du défunt (voir Annexe 1, ci-après). Enfin, il semble que vous n'ayez jamais consulté le dossier, puisqu'il fait état du décès de votre grand-père en 1942 et non en 1943, comme vous le mentionnez (voir Annexe 2, ci-après), Ces résultats confirment mes soupçons, évoqués plus haut, à savoir que vous vous êtes livré à une instrumentalisation démagogique de l'assassinat de votre grand-père par les nazis, pour servir votre idéologie anti-israélienne et soigner votre image personnelle de défenseur du droit du plus faible (le Palestinien, selon vous) contre le plus fort (l'Israélien, toujours selon vous). Ce pathos déplacé pourra facilement abuser des journalistes peu perspicaces, il a été sans effet sur mes services et sur moi-même.

Shimon Peres