En privilégiant le modèle israélien
du groupe Dassault pour équiper l’armée en avions sans pilote, Nicolas Sarkozy provoque l’incompréhension du concurrent EADS et la colère des militaires.
Les drones de la discorde
« J’ai des difficultés à comprendre ce qui s’est passé. Je ne comprends pas très bien pourquoi nous avons perdu. Est-ce à cause des capacités opérationnelles, du prix, du calendrier ? Nous ne savons pas. » Le 29 juillet, en marge de la présentation des résultats de son entreprise, le président exécutif d’EADS, Louis Gallois, ne cachait pas son désarroi. En annonçant « l’entrée en négociations avec la société Dassault Aviation en vue de fournir un nouveau système de drones en 2014 », le ministre de la Défense, Gérard Longuet, n’a pas seulement provoqué la stupéfaction du concurrent EADS, mais également la colère des militaires. Pour mémoire, trois projets étaient en compétition : l’achat de drones Reaper aux Américains (solution privilégiée par l’état-major des armées), une version améliorée de l’actuel drone Harfang, proposé par EADS, et le Heron israélien, construit par la firme Israel Aerospace Industries (IAI) et censé être adapté par Dassault pour les besoins de l’armée française.
En raison de la faiblesse française en matière de drones, les militaires déployés en Afghanistan sont actuellement largement dépendants de l’équipement américain. Le défaut d’assistance aérienne et de renseignement avait d’ailleurs été pointé du doigt lors de l’embuscade survenue au mois d’août 2008 dans la vallée d’Uzbin, qui avait provoqué la mort de dix soldats français, les pertes les plus élevées depuis l’attentat du Drakkar, à Beyrouth, en 1983 (58 morts attribués au Hezbollah et à l’Iran). La solution Dassault repousse à 2014 la livraison des fameux drones, soit l’année prévue... pour le retrait des forces françaises d’Afghanistan !
« Ce choix est criminel », s’exclame un officier supérieur membre du comité de rédaction de Défense (la revue de l’IHEDN, l’Institut des hautes études de défense nationale), sous couvert d’anonymat, « parce qu’il confie la sécurité de nos frères d’armes à un matériel qui n’a pas encore fait ses preuves. Cette décision est d’autant plus incompréhensible qu’elle intervient juste après le savon passé par le président de la République au chef d’état-major des armées - l’amiral Guillaud - suite à la mort des derniers soldats français en Afghanistan ». Pour ce militaire, « les besoins opérationnels en liaison avec la protection de nos forces militaient objectivement pour le choix du Predator-Reaper. À l’évidence, d’autres considérations ont prévalu. La France fait cavalier seul, non pour des raisons opérationnelles, mais en raison de petits calculs politiciens à court terme ».
Inquiétudes sur l’avenir de la filière drone d’EADS
Certains officiers manifestent de l’inquiétude quant à l’avenir de la filière drone d’EADS : « Les conséquences humaines et la perte de la compétence acquise n’ont pas semblé émouvoir Gérard Longuet », s’étonne l’un d’entre eux. Ironie du sort, une version « francisée » du Reaper avait même été étudiée par EADS en 2008, rendant l’argument de la « souveraineté industrielle » brandi par Dassault pour le moins saugrenu.
L’option Dassault dans ce choix stratégique s’impose aussi dans un contexte qui laisse songeur. À quatre-vingt-six ans bien sonnés, le patriarche du groupe, Serge Dassault, sera encore tête de liste UMP pour sa réélection aux sénatoriales du mois de septembre. Le Figaro, fleuron du groupe de presse acquis par le « papyvore » juste avant son entrée au palais du Luxembourg en 2004, déploie ces dernières semaines des trésors d’imagination pour tenter de faire remonter Nicolas Sarkozy dans les sondages en vue de la prochaine présidentielle. Le 23 juillet dernier, trois jours après l’annonce de Gérard Longuet, mais au lendemain de la tuerie en Norvège, le quotidien de droite avait même osé faire sa une sur « les nouvelles ambitions de Sarkozy pour relancer l’Europe »...
Divine surprise pour Dassault
Évalué à environ 300 millions d’euros, le marché des drones est effectivement une divine surprise pour Dassault. Incapable de vendre son Rafale à l’international, il se positionne ainsi sur le marché mondial prometteur des avions sans pilote, évalué par les spécialistes entre 95 et 100 milliards d’euros pour les dix prochaines années (Le Canard enchaîné,
le 27 juillet 2011). « La partie n’est pas encore terminée », veut-on encore croire du côté d’EADS, qui cherche également à diversifier ses activités pour être moins tributaire des ventes d’Airbus : « Louis Gallois a vu Gérard Longuet pour lui demander des explications. Nous attendons son débriefing, mais en raison des congés, il ne devrait pas intervenir avant la fin du mois d’août. »
Deal en Libye du clan Sarkozy ?
Mediapart révèle que le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, aurait travaillé entre 2005 et 2007 avec Ziad Takeddine,
le marchand d’armes franco-libanais, déjà cité
dans l’affaire Karachi. Alors directeur du cabinet du ministre
de l’Intérieur Sarkozy, il aurait conclu « des deals financiers »
avec Kadhafi. Un soupçon de corruption à haut niveau
se précise lorsque le site révèle que Brice Hortefeux,
autre proche de Sarkozy, aurait été en relation avec la Libye.
Alors ministre délégué aux collectivités territoriales,
il aurait œuvré pour la libération des infirmières bulgares
contre la conclusion d’accords « dans le domaine de la sécurité,
(de l’) immigration » et de la « modernisation de l’aviation militaire ».
3 août 2011 - L’Humanité
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