Tunisie: le jour où les archives de l’ATCE révèleront leurs secrets...
04 Août 2011 Par Mathieu Magnaudeix
C'était quelques jours à peine après le départ de Ben Ali, dans le centre de Tunis. Devant le bâtiment de l'Agence tunisienne de communication extérieure (ATCE), des monceaux de documents passés au broyeur jonchaient le sol. Les précieuses archives de l'ATCE, chargée sous Ben Ali d'organiser la propagande officielle et d'arroser journalistes et politiques étrangers avaient-elles été détruites? N'en restait-il au mieux que des bribes, sauvées in extremis ou cachées dans la mémoire de quelques ordinateurs? Au mieux, quelques dossiers jalousement conservés par quelques anciens salariés soucieux de garder de quoi se protéger dans la période post-révolutionnaire?
A Tunis, les services du premier ministre Béji Caïd Essebsi l'assurent aujourd'hui: les archives existent bel et bien. «Il y a des traces des virements bancaires, des billets d'avions, des versements aux journaux, explique un porte-parole. Les archives n'existaient pas qu'en un seul exemplaire: sous Ben Ali, tout était centralisé à Carthage.» Or les archives du palais présidentiel ont été passées au peigne fin... «Des commissions administratives ont été instituées, et le travail a déjà bien avancé.» La même source affirme que l'ex-patron de l'Atce, Oussama Romdhani, bien connu de nombreux journalistes étrangers, a été entendu par la justice.
Il est donc permis de penser que, bientôt, on en saura plus sur les agissements de l'ATCE, un organisme sous tutelle directe de la présidence et au coeur de la propagande benaliste. Dotée d'un budget quasi-illimité, cette agence était dirigée d'une main de fer par le tout-puissant conseiller du président, Abdelwahab Abdallah. La révélation de ses archives pourrait donc révéler de grosses surprises. En Tunisie, mais aussi à l'étranger. Et d'abord en France, dont une partie des élites politiques, diplomatiques ou économiques s'est largement compromise avec le régime déchu.
Dans la Tunisie de Ben Ali, l'ATCE avait la main sur la manne publicitaire des entreprises publiques, si vitale pour les journaux. C'est elle seule qui décidait de la répartition des annonces vantant le tourisme tunisien, la Compagnie nationale de navigation (Cotunav) ou encore la compagnie aérienne Tunisair... A la moindre critique, au moindre écart, le robinet était coupé tout net. Les médias proches du pouvoir étaient évidemment fort bien servis.
L'ATCE dépensait également des sommes folles en abonnements de soutien pour les journaux amis, distribués gratuitement dans les ministères. «C'était absurde: par ce système, on a maintenu en vie des médias qui n'avaient absolument aucun impact», se désole un ancien de l'agence rencontré récemment à Tunis.
Mais l'agence ne se contentait pas seulement de subventionner la presse "amie". Elle dépensait aussi des fortunes pour assurer la promotion et la diffusion de livres vantant la Tunisie de Ben Ali ou pour inviter des journalistes ou des politiques étrangers. Plusieurs dizaines de journalistes étaient invités tout frais payés aux symposiums internationaux du RCD, le parti-Etat, devenus au fil des ans de grands raouts insipides, dans la plus pure tradition soviétique. Parmi eux, certains Français, dont des journalistes éminents de la presse quotidienne régionale...
Les gros poissons, directeurs de rédactions ou journalistes influents, étaient cornaqués par l'équipe d'Anne Méaux, grande prêtresse de la communication du Cac 40,, dont l'agence Image 7 avait signé en 1997 un contrat avec le gouvernement tunisien. Le Canard Enchaîné a récemment levé un petit coin du voile sur ces invitations, en révélant les séjours gratuits dans de beaux hôtels de journalistes comme Etienne Mougeotte, Nicolas de Tavernost (M6), Dominique de Montvalon (Le Parisien) ou encore Alain Weil (BFM TV).
Régulièrement, des politiques étaient eux aussi invités à venir passer un week-end, invités tout frais payés dans des hôtels de luxe. Le séjour tout frais payés du ministre de la Défense actuel Gérard Longuet avec son ami le journaliste économique Jean-Marc Sylvestre, révélé par Les Inrockuptibles, n'est sans doute que la partie émergée d'un immense iceberg.
Reste à savoir si le gouvernement tunisien rendra un jour publiques toutes les archives. Car elles pourraient occasionner de sacrées polémiques en Tunisie. Et sérieusement compliquer la relation avec certains pays comme la France qui ont tant soutenu Ben Ali...
mathieu.magnaudeix@mediapart.fr
Source : Mediapart
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