05 août 2011

La solidarité bidon de la gauche sioniste israélienne

jeudi 4 août 2011 - 06h:57
Budour Youssef Hassan - The Electronic Intifada




Le 15 juillet, des milliers d’Israéliens ont participé à une marche à Jérusalem-Est occupée pour témoigner leur soutien à la création d’un Etat palestinien en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza. 
 
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C’est à ça que ressemble la solidarité ?
Selon les organisateurs israéliens, la marche était une action conjointe réunissant Palestiniens et Israéliens. Elle avait pour slogans « lutte commune » et « solidarité » ; pourtant, la participation comptait bien peu de Palestiniens. Cet événement s’est produit quelques semaines après une marche similaire à Tel-Aviv ; mais si celle de Jérusalem-Est a attiré plus de publicité étant donné le lieu où elle se tenait, les deux événements mettent en lumière l’échec de la prétendue solidarité des sionistes israéliens de "gauche" avec les Palestiniens.
Le terme solidarité - tout comme celui de coexistence - a été tellement utilisé dans le discours sioniste libéral qu’il a perdu tout son sens. L’erreur sur la signification du mot solidarité soulève la question suivante : que signifie le mot solidarité et, plus précisément : quand une action organisée par des Israéliens au nom du soutien des Palestiniens peut-elle être considérée comme un acte de véritable solidarité ?
Peut-on considérer allègrement que toutes les fois où des Israéliens envahissent les rues en scandant « arrêtez l’occupation » ils posent un acte de solidarité ? Chaque fois que des Israéliens brandissent des drapeaux palestiniens, faut-il le se réjouir d’un élan majeur pour la cause palestinienne ? Les Palestiniens doivent-ils simplement être reconnaissants de ce que, en pleine construction de colonies en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, et dans la déferlante de racisme dans la société israélienne, il reste quelques voix israéliennes disposées à « reconnaître » un État palestinien ?
Lorsque des privilégiés formulent et conçoivent une solution et l’imposent à un peuple colonisé et occupé comme étant la seule solution viable et la seule étape constructive restante », ainsi que le stipule l’appel du 15 juillet, il ne s’agit pas de solidarité, mais d’une autre forme d’occupation. Si l’on est solidaire, l’on ne dit pas aux personnes ce que l’on pense de leur problème et encore moins comment l’on envisage la solution. Être solidaire ne veut pas dire que l’on est d’accord sur tout, voire qu’on est d’accord sur une solution fixe, mais qu’on se bat pour une cause commune indépendamment des différences.
Un quasi État construit sur 22 % de la terre de la Palestine historique n’est pas ce pour quoi les Palestiniens se battent depuis 63 ans, et présenter cela comme un Etat, équivaut simplement à priver les Palestiniens de leur voix et du droit de décider de leur propre destin.
Beaucoup diront, pourtant, que lutter cote à cote avec les gauchistes sionistes élargit la base du soutien de la Palestine et donne aux Palestiniens l’occasion de débattre avec l’autre partie et de la convaincre. Ceci serait vrai si les sionistes considéraient les Palestiniens comme des partenaires égaux,ce qui n’est pas le cas. Tout le concept des deux états pour deux peuples comme seule solution à l’impasse palestino-israélienne, extrêmement populaire parmi les sionistes libéraux, repose sur l’isolationnisme, l’exceptionnalisme et la bonne conscience des sionistes ainsi que sur leur sentiment de supériorité à l’égard des Palestiniens qui leur donne le droit de déterminer le problème, sa solution et les moyens à utiliser pour mettre la solution en oeuvre.
Une marche palestino-sioniste « conjointe » n’est pas l’occasion d’engager un dialogue productif, mais donne plutôt aux sionistes plus de chances de marginaliser les voix des Palestiniens et de faire la leçon aux Palestiniens sur la manière dont ils doivent résister et ce qu’ils devraient accepter.
Donc, ces manifestations qui réclament ostensiblement l’égalité,maintiennent en fait le statut privilégié des juifs israéliens. Et bien que de telles manifestations soient capables d’attirer des milliers d’Israéliens de temps à autre, elles n’élargissent pas véritablement la base de soutien israélienne pour les Palestiniens. Au lieu de cela, elles reflètent le soutien d’une « solution » qui néglige le problème des réfugiés, problème qui est au coeur de la lutte palestinienne, ainsi que les fragments de la nation palestinienne et qui condamne le citoyen palestinien d’Israël à une situation de perpétuelles infériorité et discrimination.
La solidarité ne se mesure pas en nombres ; il ne s’agit pas de savoir combien de personnes sont venues à une manifestation pro palestinienne. Il s’agit de savoir pourquoi ces personnes sont venues. Se battre aux côtés de 50 Israéliens qui sont véritablement engagés dans la cause palestinienne est par conséquent beaucoup plus important et valable que de marcher à l’ombre de milliers d’Israéliens qui pensent que la Palestine est simplement la Cisjordanie et la bande de Gaza.
Sur sa page Facebook, la marche de Jérusalem du 15 juillet avait pour titre en hébreu « marche pour l’indépendance de la Palestine » tandis que le titre arabe disait « ensemble vers la libération de la Palestine ». Il y a une énorme différence entre une libération et un « État indépendant ». Pour les Palestiniens, la « liberté » va bien au-delà de la création d’un bantoustan en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. L’incohérence entre les intitulés en arabe et en hébreu en dit long, mais ça ne date pas d’hier et il n’est pas non plus rare que les organisations israéliennes de « gauche » tiennent un langage et adoptent un ton différents selon qu’elles s’adressent à un public palestinien ou israélien.
Parmi la centaine de Palestiniens qui ont assisté à la marche beaucoup s’y sont peut-être joints parce qu’ils croyaient à tort que son but était d’exiger la liberté plutôt que de demander une « indépendance » bidon. En outre, les membres des comités populaires palestiniens de Cheikh Jarrah et de Silwan, dont les quartiers risquent d’être démolis et qui subissent un processus silencieux et écrasant de nettoyage ethnique, avaient l’impression de n’avoir d’autre choix que de se joindre à la marche pour attirer l’attention sur leur lutte. Mais leur détresse a été exploitée par les organisateurs pour annoncer une lutte « conjointe » afin de marquer des points politiques et d’aider à améliorer leur image.
Il ne faudrait pas dévaloriser la contribution du mouvement de solidarité de Cheikh Jarrah, principal organisateur de la marche du 15 juillet. Les manifestations hebdomadaires organisées à Cheikh Jarrah et à al-Lydd ont mis en lumière la lutte des habitants palestiniens contre la politique israélienne systématique de démolition de maisons et d’expulsions. Les membres proéminents du mouvement de solidarité de Cheikh Jarrah et d’autres organisations israéliennes de gauche luttant pour la paix subissent des attaques virulentes de la part de la droite israélienne, notamment des menaces de mort et des accusations de trahison.
Ceci ne veut pas dire qu’ils sont à l’abri de toute critique. En dépit de leur militantisme, ils n’ont pas pleinement embrassé le public palestinien, ni ne l’ont fait participer. Leurs manifestations sont dominées par des sionistes libéraux séculiers blancs et la voix palestinienne, qu’ils sont censés faire entendre est inaudible dans le tintamarre des chants en hébreu sur la paix et la coexistence. Même les slogans et les panneaux brandis pendant les manifestations ont été rédigés préalablement par les organisateurs israéliens, transformant les défilés en une routine ennuyeuse, terriblement prévisible et élitiste.
En somme, la « solidarité » israélienne est une épée à double tranchant. Elle a le potentiel de faire progresser la cause palestinienne et d’influencer l’opinion publique israélienne ainsi que d’introduire la lutte palestinienne dans les grands médias. Toutefois, il existe le risque de voir certains groupes détourner le mouvement croissant de la résistance populaire palestinienne en le plaçant sous la bannière de la solidarité et de la coexistence.
Le fait qu’il y a une déferlante d’extrémisme éhonté chez l’élite au pouvoir en Israël et dans la société israélienne en général ne signifie pas que les Palestiniens doivent applaudir avec reconnaissance aux « compromis » d’un sionisme doux. La solidarité n’est pas un acte de charité ou un festival de rodomontades et de discours creux. C’est une obligation morale qu’il faut remplir par un engagement total, sans faille et inconditionnel.
Ceux qui veulent de la reconnaissance et de la gratitude feraient mieux de rester dans leurs relax à Tel-Aviv. Il faut dévoiler et lutter contre les tentatives d’exploiter le sort des Palestiniens à des fins politiques et de transformer la cause palestinienne - une lutte pour les droits humains la justice la liberté et l’égalité- en un simulacre d’indépendance.

* Budour Youssef Hassan, originaire de Nazareth, est une militante socialiste palestinienne et étudiante en troisième année de droit à l’Université hébraïque de Jérusalem. Vous pouvez la suivre sur Twitter : twitter.com/Budouroddick.

Du même auteur :
28 juillet 2011 - The Electronic Intifada - Cet article peut être consulté ici :
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Traduction : Anne-Marie Goossens

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